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Pierre Goldman, notre ami
Libération, 9 décembre 1974
Article de Marc Kravetz
Retranscription de Sandra Sparfel

Cet après-midi, s'ouvre à Paris le procès de Pierre Goldman. Il est accusé de trois vols qualifiés, qu'il a reconnus et d'un double meurtre et de deux tentatives de meurtre, commis lors d'une agression contre une pharmacie, le 19 décembre 1969, boulevard Richard-Lenoir (Paris 12e). Pierre Goldman, en prison depuis le mois d'avril 1970, a toujours nié avoir participé à cette agression.

Difficile de parler d'un ami quand l'actualité en fait le héros involontaire de la rubrique des faits-divers. Pour les trois vols qualifiés qu'il a reconnus, pour le crime dont on l'accuse et qu'il nie, les jurés des Assises auront à se prononcer sur l'accusé Pierre Goldman. Il n'appartient évidemment pas à ses amis de le juger. La conviction que nous avons de son innocence est le résultat d'une démarche rationnelle. Ses amis sont unanimes sur ce point : Pierre n'est pas l'homme qui, le 19 décembre, a tué les deux pharmaciennes, blessé un client et un policier, boulevard Richard-Lenoir. Nombreux étaient ceux qui voyaient Pierre régulièrement à cette époque et jusqu'au jour qui a précédé son arrestation. Leurs opinions sont formelles et convergentes sur ce point. La police eût pu d'ailleurs enrichir son enquête en les interrogeant : elle s'en est bien gardée. Elle tenait un "coupable" : elle n'allait pas risquer d'affaiblir cette construction fragile qu'elle avait élaborée en approfondissant une investigation qui en aurait sapé les bases. Mais s'il est essentiel, aux yeux de la justice et pour le sort immédiat de Pierre Goldman, que cette innocence soit affirmée, ce n'est pas, pour les amis de Pierre, l'essentiel. Eût-il été réellement coupable de ce dont on l'accuse qu'au fond rien ne serait changé.

L'itinéraire de Pierre, des luttes de la Sorbonne dans les années 60, aux maquis vénézuéliens du temps où Ernesto Che Guevara proclamait qu'il fallait "créer un, deux, trois, plusieurs Vietnam", aux vols qualifiés qu'il commet pendant l'automne et l'hiver 69-70, a quelque chose d'exemplaire. Un itinéraire dans lequel les amis de Pierre, ceux qui ont aujourd'hui le même âge ou qui ont participé aux luttes, mais aussi aux rêves et aux angoisses de ces années-là, ne peuvent pas ne pas se reconnaître. A la différence peut-être de beaucoup d'entre nous, Pierre a simplement conduit cet itinéraire jusqu'à ses conséquences les plus rigoureuses. S'il faut, en guise de références, l'identifier à des hommes plus célèbres les noms de Paul Nizan et d'André Gorz viennent sous la plume. Pour l'intransigeante rigueur du refus de l'un et son obsession de la mort, pour la conscience aiguë de l'exclusion et de la différence de l'autre (ce qu'ils appellent parfois Gorz et Goldman, leur "judéité", à quoi le très beau livre de Gorz, "Le traître" est consacré). Incapable de se soumettre aux exercices scholastiques qui tenaient lieu d'enseignement de la philosophie en Sorbonne en 1963 - les choses n'avaient guère changé depuis que Nizan écrivit "Les chiens de garde" - Pierre "rata" ses études. Ce qui ne l'empêchait pas de suivre avec passion les discussions de l'Ecole pratique des hautes études où l'on n'avait pas attendu que ce soit à la mode pour "relire" Marx, Hegel, ou connaître Marcuse. Cela n'empêche pas non plus que Pierre participe, par des textes d'une surprenante qualité, aux débats théoriques de l'UEC et des "gauchistes" de l'époque.

"Aller jusqu'au bout" dans la pensée comme dans l'action : ce n'est pas pour Pierre une formule convenue. Elle restera vraie jusque dans le désespoir.

L'obsession de l'Amérique latine qui fut la sienne, des milliers d'autres militants la partagèrent en même temps. L'ambiance ramollie et confinée des années qui précédèrent Mai 68, l'"appel" du Che, le sentiment que le destin de la révolution se jouait au Vietnam et dans les "focos" guérilleros guatémaltèques, colombiens ou vénézuéliens et dont Régis Debray fut alors un témoin passionné, ce fut, pour nombre d'entre nous, matière à rêver douloureusement. Il fallait rompre les amarres, rejoindre un combat où se combinaient l'intransigeance révolutionnaire et un sens de la fraternité humaine dont les "révolutionnaires" auto-brevetés d'ici n'étaient que la dérision. Erreur, déviation "petite-bourgeoise" : laissons aux juges et aux justes de l'extrême-gauche le soin d'en juger. Pierre, en tout cas, ne vivait que de cette obsession. Et il ne se contentait pas d'en rêver.

Mai 68. La fin du tunnel pour tous ceux qui avaient vu d'années en années se déliter le combat d'avant. Une occupation de la Sorbonne fut préparée le 21 février 1964 avec Pierre. Evidemment, elle échoua. Les étudiants de 1968 matérialisent les rêves avortés et lointains de quelques centaines.

Pierre était à Paris en Mai 68, de passage. Insoumis, il devait prendre des précautions en public, mais cela n'explique pas tout. Nous avions trop attendu pour penser à autre chose que ce qui se passait ici. Pierre avait depuis longtemps cessé d'attendre. Ayant échoué dans une première tentative, il s'appliquait à réussir cette fois son départ en Amérique latine et il rencontrait en Europe des militants révolutionnaires vénézuéliens.

Quand il revient un an et demi plus tard, l'échec de la guérilla lui donnait à réfléchir. Il y avait beaucoup d'amertume aussi dans ce retour. Quant à nous, nous commencions à vivre l'après-gauchisme. Nous ne le savions pas encore. Et nombre des anciens amis de Pierre ne savaient pas à quel point ils le vivraient mal. Certains même devaient mourir. Repartirait-il, ne repartirait-il pas ? Que faire ? Cette question que Pierre posait à tous, personne ne pouvait y répondre. Il choisit une réponse à sa manière : ce furent les trois hold-up que l'on sait. Réponse du désespoir, suicide à sa manière. Il est seul à pouvoir le dire.

Ce désordre, cette angoisse, ce refus du laminoir social qui succédait à Mai, nous l'avons tous vécu. Pierre ne le supporta pas physiquement et intellectuellement. Le reste, les faits comme on dit, appartient à la chronique judiciaire.

Il est un peu dérisoire de dire, d'où nous sommes et là où il est, que son combat est le nôtre et que nous nous reconnaissons dans ses errances. Mais il faut dire quand même, pour lui, pour nous et pour ceux qui le jugent, que l'homme qui comparaît aujourd'hui aux Assises de Paris est un ami et un frère.

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