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Jérémie Kisling : “Mon album a beaucoup de points communs avec le spleen baudelairien”

Entretien exclusif pour "Parler d'sa vie", enregistré à Lausanne le 18 avril 2010
Parler d'sa vie, le 3 mai 2010

Propos recueillis et retranscrits par Jean-Michel Fontaine

Crédits photos : Delphine Fontaine / Jean-Michel Fontaine / Delphine Fontaine / Raphaël Fontaine

Dimanche 18 avril. Lausanne. 10h45. Jérémie Kisling entre à la Couronne d'Or, fait la bise à chacun des convives présents et nous rejoint à la table qu'il a réservée pour nous. “Le patron est un ami très proche”, nous glisse-t-il. Jérémie s'installe, nous commandons. Brunch de 2h30, entre dégustation, questions / réponses et confidences sur la vie qui va et le temps qui passe.

Je te propose de reprendre cet entretien là où nous l'avons laissé en septembre 2005.

Ça fait tant de temps que ça ?

Et oui ! “Teddy Bear” est un clin d’œil à Laurent Voulzy à travers ses quatre premières notes, qui sont identiques à celles de “Belle-île-en-Mer”. Est-ce que “Alice a les yeux clairs” et le solo de violon sont des hommages à “Comme toi” de Jean-Jacques Goldman ?

Non, je ne crois pas.

Je fredonne, sur l’air d’Alice : Alice a les yeux clairs / Et la robe en velours / A côté de sa mère / Et la famille autour.

[rires] J’ai beaucoup écouté Jean-Jacques Goldman quand j’étais jeune, dans les périodes où je commençais à chanter à tue-tête dans ma chambre, avec ma raquette de tennis en guise de guitare. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir fait du plagiat de quoi que ce soit. La mélodie d’Alice est clairement éloignée de celle de “Comme toi”.

“Puisque tu pars” est diffusée lors de nombreux enterrements, alors que ce n’est pas une chanson qui parle de la mort. En écoutant “Là où”, je me suis dit que certaines paroles pourraient conduire à une interprétation similaire : Laisse tes regards amers / Et tes retards à terre / Laisse couler ton poids (…) / Va là où l’âme prend l’air / Où la raison se perd / Et retrouve la joie (…) Là où le vent accélère / Referme tes paupières / Voilà, envole-toi.

C’est aussi une manière de quitter la vie sans regrets. Je suis d’accord avec ça. La mort rejoint la vie de plein de manières. Il y a de belles manières de vivre comme il y a de belles manières de mourir. C’est un joli parallèle. Je n’avais jamais vu la chanson comme ça.

Ces dernières années, tu as participé à plusieurs projets collectifs : tu as repris “Un autre monde” pour les Inédits de Radio Paradiso, “L'internationale” pour une compilation du Parti Socialiste Vaudois, La “Chanson pour l’Auvergnat” pour le cd “Chante la planète”, “Le Lundi au Soleil” pour un hommage à Claude François. Comment choisis-tu les projets auxquels tu participes ? Et les chansons ?

Je choisis les chansons plus que les projets. Dès que c’est une bonne cause, que les gens sont sérieux, et que j’ai le temps, je dis oui. Je ne choisis que des chansons que j’aime. Quand j’ai dû choisir une chanson de Claude François, j’ai choisi ma préférée – et en plus, c’est un Suisse, Patrick Juvet, qui l’a composée.

Quand le Parti Socialiste Vaudois t’a contacté, c’est toi qui a proposé “L’Internationale” ?

Oui !

Avec le changement de paroles qui parle de l’U.D.C. ?

J’avais écrit un poème pour le nouvel an suisse, il y a cinq ans, à peu près. J’ai juste adapté les paroles. Je trouvais que cela allait bien avec “L’Internationale”. Et je savais que cela ferait plaisir au Parti Socialiste ! J’ai bien aimé faire une version neurasthénique de “L’Internationale”.

Françoise Hardy vient de sortir un nouvel album. Elle décrivait les qualités qu’elle attendait d’un auteur. J’ai eu l’impression qu’elle parlait de toi. Sur le principe, cela t’intéresserait-il de collaborer avec Françoise Hardy ?

J’aime bien le premier extrait, “Noir sur blanc”. Je ne sais pas qui l’a écrite [NDJMF : paroles : Françoise Hardy - Patrick Loiseau, musique : Calogero - Gioacchino Maurici]. D’un autre côté, elle vient de sortir un livre où elle expose ses idées de droite, et ça m’a un peu refroidi. [rires]. Il y a plein de gens pour lesquels j’aimerais écrire. Je n’ai pas forcément envie de courir après eux, mais si on me le propose, ce sera avec plaisir.

A ma connaissance, tu as offert des titres à deux personnes pour l’instant : Hubert-Félix Thiéfaine (“L’étranger dans la glace”, que tu as composé sur un texte déjà fini) et Dominique Fidanza.

Exact. J’étais en train de réfléchir à la deuxième chanson, et je ne la trouvais pas ! [rires]. Pour Dominique Fidanza, j’ai adapté une chanson qui existait déjà en italien. J’ai galéré, parce que les accentuations ne sont pas du tout les mêmes en italien. Je suis content du texte. “Vite”, c’est une chanson qui parle de la surconsommation, sur la vie en accéléré.

Ecrire pour quelqu’un d’autre est-il plus facile qu’écrire pour soi ?

C’est plus dur. Ce serait plus facile si je le faisais de façon légère. D’ailleurs, dans la plupart des cas, tu sens chez certains auteurs-compositeurs des fonds de tiroirs qui sont vidés comme ça.

Tu fais du sur mesure, donc ?

Oui. Je te dirai peut-être quelque chose de différent dans vingt ans, mais pour l’instant, quand on me demande, j’essaie de me mettre dans la peau de l’interprète, dans son univers, dans ce que j’imagine.

Si je te donne dix interprètes, quel est le premier thème de chanson qui te vient à l’esprit, que tu pourrais écrire :

Michael von der Heide.

Rien. Il ne m’inspire pas. [rires].

Rufus Wainwright.

[long silence] C’est difficile comme question, parce que quand je pense à quelqu’un, je pense plus à sa musique qu’à ses paroles.

Les sœurs Tschanz.

Nostalgie.

Jeanne Cherhal.

Elle a vachement changé de style. Je dirais, un truc sexy.

Grégory Wicky.

C’est un poète. Je parlerais de son enfance. Il en parle assez peu. J’ai l’impression qu’il a développé son univers créatif à ce moment là.

Et si tu écrivais pour ton père ?

Je parlerais bien de son rapport à la paternité. De ce qu’il aurait envie de dire à ses enfants, parce qu’il ne parle pas beaucoup.

Clarika.

Je pense que l’on va commencer à écrire ensemble bientôt. On s’est toujours bien entendus. Ils [NDJM : Clarika et Jean-Jacques Nyssen, son compositeur et compagnon] m’avaient demandé de composer une chanson pour son album “Joker”, et je n’avais pas eu le temps. Elle a collaboré avec Florent Marchet, sur cet album, d’ailleurs. Ce serait dur d’écrire des paroles pour quelqu’un qui écrit aussi bien ! J’adore la chanson qu’elle a écrite sur ses relations avec sa fille [NDJM : “Lâche-moi”].

Guillaume Aldebert

Il écrit beaucoup sur l’enfance, donc ce serait un thème adulte. Une chanson sur les problèmes existentiels.

Pauline.

Je ne connais pas.

Johnny Hallyday.

Ce serait une chanson subtile. En dehors des albums de Goldman et de Berger, la plupart des chansons qu’il a chantées ces dernières années sont des chansons lourdes, qui enfoncent des portes ouvertes.

Imaginons que l'on te propose de participer à un album hommage à Jean-Jacques Goldman. Quel titre reprendrais-tu, et pourquoi ?

“Pas toi”... “Envole-moi”, mais sans le côté eighties. Franchement, il y en a plein ! Il y en a bien une trentaine que je trouve imparables.

Je trouve que "Doux" a été écrite sur mesure pour toi.

Ce serait trop facile ! [rires] Ce serait trop évident.

Comme la plupart des chansons acoustiques de “Entre gris clair et gris foncé” d'ailleurs : “Tout petit monde”, “Filles faciles”, “Je commence demain”, “Qu'elle soit elle”, “Doux”, “Reprendre c'est voler”, “Il y a”, “Appartenir”…

Je pense que je reprendrais “Tout petit monde” plutôt que “Doux”. “Coca et kalachnikov”. Je trouve les paroles incroyables, magnifiques ! J’ai toujours adoré cette chanson. A l’époque, je jouais “Filles faciles” au piano pour que mon père la chante. “Appartenir” aussi. Ça se jouerait entre “Pas toi”, “Tout petit monde” et “Appartenir”.

Cet album a-t-il une signification particulière pour toi ?

“Non homologué” et “Entre gris clair et gris foncé”, ce sont les albums de mon adolescence. Avec les albums de Renaud aussi. On les achetait avec mes sœurs. Un album sortait, on l’écoutait en boucle pendant des mois. On variait entre Renaud, Goldman et les albums qu’écoutait mon père, comme Brassens.

Ton nouvel album, “Antimatière”, alterne les chansons les plus sombres avec quelques rayons de soleil. Oserais-je dire, justement, que c'est un album “Entre gris clair et gris foncé” ?

Ce titre pourrait tout à fait correspondre au contenu de l’album. L’envie de décrire un monde qui n’est pas comme on le souhaite. Je pense que c’est ce qu’a voulu faire Goldman.

Tu sais que la plupart des chansons acoustiques de “Entre gris clair et gris foncé”, ce sont des chansons qu’il a gardées pendant dix ans parce qu’il n’osait pas les mettre sur un album ? Il les trouvait trop personnelles…

[Je reviens à son album]

En fin de compte, tu aurais très bien pu appeler ce nouvel album “Le ours bipolaire”.

[rires] “Le ours polaire”… [il comprend le jeu de mots]. “Le ours bipolaire” ! Ah oui, pas mal ! C’est drôle.

Ma psy a trouvé ça très drôle aussi…

[rires]

Lorsque je t’ai entendu chanter “Antimatière” pour la première fois, en novembre 2007 au Théâtre de Poche de la Grenette à Vevey, il me semble qu’elle était autant au premier degré que “J’ai mal” ou “Savon liquide”. Est-ce que c’est une impression ?

Ton impression est juste. Il y avait sûrement beaucoup plus de poids dedans. Mais c’était sans doute à cause de l’émotion des premières fois aussi.

Est-ce pour atténuer le côté extrêmement et profondément saturnien du texte que les arrangements musicaux sont devenus plus légers ?

Ce n’est pas parce que la chanson est désespérée que tu ne peux pas mettre de l’espoir dans la musique ou les arrangements. Si tu regardes certaines chansons des Beatles, des Beach Boys ou de Simon & Garfunkel, qui faisaient des paroles tristes, la musique est très rarement déprimante. Si la chanson est déjà triste dans les paroles, tu n’as pas forcément besoin d’enfoncer le clou. L’important, c’est qu’il y ait une certaine mélancolie dans la mélodie. Brassens faisait ça très bien. Un contraste entre des paroles tristes et des arrangements joyeux. Ou le contraire, parfois.

Quand tu as écrit “J'ai trente ans”, tu n'avais pas trente ans. De la même manière, j'ai l'impression que “Savon liquide” parle d'un quadragénaire, voire d'un quinquagénaire.

C’est exactement ça. C’est dû à une volonté de saisir les choses avant qu’elles ne m’arrivent. Tous les maux que je décris dans “Savon liquide”, ce ne sont pas forcément des choses qui me font spécialement peur. C’est une chanson qui parle de ce que je vois autour de moi, plutôt que de mes peurs personnelles.

Ce n’est pas une façon de dédramatiser une certaine angoisse de l’avenir ?

C’est un sujet qui m’intéressait depuis longtemps. C’est en réaction à une société qui te dit que quand tu as plus de quarante ans, tu ne sers plus à rien. J’aimerais mieux un monde où on se réfugierait dans des valeurs spirituelles et philosophiques. Ces valeurs-là, elles grandissent en nous jusqu’à la mort. Ces valeurs viennent avec la sagesse, la vieillesse.

“Savon liquide” est une chanson plutôt désabusée, mais qui se termine par une note d'espoir : Mais avant que tout s’oxyde, j’aimerais bien trouver quelqu’un / Trouver quelqu’un qui me guide, tout gentiment vers la fin. Est-ce un hasard si ce titre est directement suivi par un duo avec Capucine ?

Ce n’est pas du tout un hasard ! Les deux chansons n’étaient pas du tout liées quand je les ai écrites, mais ce n’est évidemment pas un hasard de les avoir mises l’une après l’autre. L’album commence par des chansons assez légères (“Ton papa”, “Le bec dans l’eau”, “Rien qu’un ciel”) et j’ai voulu une cassure avec “J’ai mal” où l’on prend les choses un peu plus profondément, jusqu’à “Savon liquide”. La fin de l’album est une consolation. C’est évidemment un clin d’œil d’avoir mis “Reste la même” après “Savon liquide”. Pour dire que pour moi, ça ne va pas si mal. Ça fait du bien d’être dans une relation qui marche !

“Rien qu’un ciel”, l’un des rares rayons de soleil de l’album, est une reprise du groupe Il était une fois. Pourquoi ce choix ?

J’ai entendu cette chanson à une soirée, et je me suis dit qu’il fallait qu’elle soit sur l’album. Je ne me suis pas demandé pourquoi. Je savais que c’était important pour moi. Je savais que je pouvais en faire un truc chouette. Je savais que l’album en avait besoin. J’ai adoré travaillé dessus avec John Tonks [producteur, réalisateur et directeur artistique anglais qui a travaillé avec des artistes aussi différents que Neneh Cherry, les Sugababes ou Steve Winwood]. On s’est beaucoup amusés à la décortiquer et l’arranger le mieux possible. Cela nous a demandé beaucoup plus de travail que pour les autres, peut-être parce qu’elle n’est pas de moi.

“Par dessus la terre”, que tu as déjà interprétée en concert, est disponible uniquement sur la version québécoise d'Antimatière. Pourquoi ne pas la proposer en téléchargement payant pour que tout le monde puisse en profiter ?

Je préfèrerais la mettre sur mon prochain album plutôt que de la proposer comme cela sur une plateforme de téléchargement payant. C’est une chanson très forte. Je crois encore aux albums. Il y a dix, quinze, vingt ans, quand tu aimais bien une chanson que Goldman avait déjà interprétée en concert, tu attendais l’album suivant ! Maintenant, avec le net, on a envie d’avoir tout tout de suite. C’est aux artistes de dire non, de créer l’attente. J’essaie de ne pas tout donner tout de suite. Je le fais déjà en concert. Si elle était disponible partout, il n’y aurait pas ce sentiment de rareté quand je la chante sur scène.

Ces dernières années, tu disais que ton prochain album serait un double album, puis que tu avais dû renoncer à ce projet dans la mesure où il y avait trop de chansons mélancoliques. Que sont devenus les titres qui ne figurent pas sur “Antimatière” ?

Ils sont enregistrés ! Il y en a huit, non, neuf. Il y a “J’attends le printemps”, que j’avais écrite pour être chantée par une fille. Je trouvais drôle de la chanter moi, mais je vais l’offrir à quelqu’un… Vanessa Paradis, peut-être. Ces chansons, elles sont là, je les aime, mais nous avons dû faire un choix. Si je ressors un album bientôt, la plupart seront sur ce disque. Cela dépendra du nombre de morceaux que j’écris d’ici là. Il y en aura que nous garderons comme inédits, pour la scène. Si on prend en compte les quelques chansons que j’ai écrites depuis, j’ai de quoi sortir un nouvel album très bientôt.

Finalement, au lieu de sortir un double album, tu as sorti un album double…

[rires] Pas mal ! [long silence] Pour moi, c’était plus intéressant de faire un album plus court, mais où les choses étaient bien condensées, où il y avait plein d’émotions différentes, plutôt que de balancer directement vingt chansons fortes émotionnellement à la tête des gens. Si tu vas voir un film très marquant, peut-être que tu préfères qu’il dure une heure et demie ou deux heures, plutôt que quatre heures… Ceci dit, on n’a pas enlevé que des chansons tristes ! Il y a “Petit chagrin”, une chanson sur ma grand-maman, que tu as déjà entendue à Label Suisse [concert du 19 septembre 2008 au Métropole de Lausanne, diffusé le 20 septembre 2008 sur Option Musique]. C’est une chanson assez légère sur les grands-mamans qui partent, que j’aime beaucoup. Il y a “Présence d’esprit”, qui est super énergique, que je verrais bien passer à la radio. On n’a pas enlevé toutes les chansons trop tristes. C’est plutôt qu’on ne voulait pas mettre, ou toutes les chansons gaies, ou toutes les chansons tristes. Et il y a aussi “L’étranger dans la glace” [chanson composée pour Hubert-Félix Thiéfaine, sur un texte d’Hubert-Félix Thiéfaine], que nous avons ré-enregistrée à ma façon, comme je l’avais écrite à la base. Thiéfaine était d’accord.

Comment sont arrivées les chansons, chronologiquement ? En novembre 2007, tu chantais déjà quasiment la moitié des titres de ce nouvel album (“Antimatière”, “Savon liquide”, “Le bec dans l’eau”, “Le sommeil m’épuise”, “L’encore”).

Tu t’en rappelles plus que moi ! “Antimatière” est l’une des dernières que j’ai écrites. J’ai fini d’écrire les paroles un mois avant de commencer le studio.

Parmi ces titres figurent un poème d’Aragon, “L’encore”, sur lequel tu as posé ta musique. Est-ce que la démarche est différente quand tu composes sur un texte déjà existant ?

La seule fois où j’ai composé sur un texte imposé, c’était pour “L’étranger dans la glace”. Thiéfaine a un talent d’auteur, de prosodie, de versification, qui fait que c’était relativement facile. Composer sur un mauvais texte, c’est tout aussi difficile que d’écrire sur une mauvaise musique !

En résumé, tu préfères travailler tout seul ?

J’adore faire les deux ! Si on me demande d’écrire pour un artiste, je préfère faire les chansons en entier… Maintenant, s’il s’agit de co-écrire avec Paul McCartney ou Rufus Wainwright, je ne dis pas non !

Et pour “L’encore” ?

Pour “L’encore”, c’est une coïncidence qui relève de la magie… C’est Florian Zeller [jeune écrivain et auteur de théâtre français] qui me l’a proposé. Les paroles correspondaient exactement à une musique que j’avais écrite ! C’est un cadeau de la vie…

C’est Aragon qui t’a offert le texte, en fait…

Exactement ! [rires] Souvent, les chansons pré-existent. Le texte existe quelque part. La mélodie existe quelque part. Ils n’attendent plus que de se rencontrer. Beaucoup de chanteurs pensent la même chose. Je suis hyper fier de cette chanson. Je trouve que la cohésion est parfaite entre le texte et la musique. J’ai l’impression de ne pas y être pour grand-chose, parce qu’on m’a donné le texte, et je n’avais pas de prétention particulière avec cette mélodie.

Tes chansons sont une belle définition de ce que Baudelaire appelait le Spleen.

Je lis régulièrement du Baudelaire. Après avoir fini cet album, j’ai effectivement constaté qu’il y avait beaucoup de points communs avec le Spleen baudelairien. Cette mélancolie profonde, cette détresse, la place de l’artiste dans la société, ce sentiment d’isolement, d’être un peu différent des autres…

“L’albatros”, par exemple ?

Oui ! “L’albatros”, cela ne peut être qu’inspirant ! Je l’ai relu énormément après avoir fini cet album. Les poèmes qui suivent et qui précèdent “L’albatros” sont tout aussi beaux. Pourquoi on est là ? Pourquoi on est différents ? Pourquoi on ressent cette tristesse ? Qu’est-ce qu’elle nous apporte ? En quoi est-ce qu’on est utiles à la société ? Ces questions sont magnifiques ! Baudelaire avait déjà tout écrit ! Mais si tu te dis que tout a été composé avec Beethoven, Chopin, Mozart, et que tout a été écrit avec Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, tu ne fais plus rien… !

Justement. Jean-Jacques Goldman a écrit “Dors bébé dors”. Renaud a écrit “Morgane de toi”. Bénabar a écrit “La berceuse”. Aldebert a écrit “Le bébé”. Les Fatals Picards ont écrit “Dors mon fils”. Sinon, toi, ça va ?

[rires] J’ai déjà écrit “Ton papa”, c’est pas si mal !

Ce n’est pas autobiographique…

C’était autobiographique, à l’époque. Je pensais beaucoup à la paternité. Ma copine de l’époque était métisse. C’est de là que sont venues ces questions. Cela fait longtemps que j’ai envie d’avoir des enfants ! Cela ne s’est jamais trouvé jusqu’à présent, mais cela viendra bientôt, je pense.

Est-ce que c’est une échéance que tu attends avec sérénité ?

Oui. J’ai toujours adoré les enfants. Je me suis toujours pratiquement presque mieux entendu avec les enfants qu’avec les adultes ! Je sais que cela va bien se passer. Je sais que j’aurai du temps à leur consacrer et que c’est du temps qui m’apportera beaucoup. Je n’ai vraiment aucune angoisse quant à cette échéance.

Quand on a la chance d’avoir un père aussi extraordinaire que le tien, comment imagine-t-on la paternité ?

[rires] Tu le connais bien ? Comment tu sais qu’il est extraordinaire ?

Je le connais suffisamment bien pour avoir envie qu’il m’adopte !

Mon père a un charisme, une présence. Il nous a fait confiance, il nous a inspiré confiance. Il ne nous a rien imposé. Il nous a soutenus dans nos choix. Quand j’ai choisi de me lancer dans la musique, par exemple…

Tu as remarqué qu’il se met toujours au fond de la salle, et jamais dans les premiers rangs ?

C’est vrai qu’il n’est jamais au premier rang, mais je n’aurais jamais pensé qu’il se mettait au fond de la salle… Cela ne m’étonne pas de lui. Je respecte beaucoup cette pudeur, cette humilité. Cette discrétion. Et d’un autre côté, ces qualités en deviennent des défauts. Mes parents n’exprimaient pas leurs sentiments, ils ne parlaient pas beaucoup. Je ne sais pas s’ils étaient extraordinaires, mais en tout cas, je ne ferai pas comme eux. Par exemple, je trouve que c’est important de dire à sa famille qu’on l’aime. Bon. Heureusement que tous les parents ne sont pas parfaits ! Sinon, il n’y aurait que des gens uniformes. Ce ne serait pas très intéressant.

Tu n’as jamais caché ton admiration pour le chanteur canadien Rufus Wainwright. Je trouve que certaines de ses chansons te correspondent bien : “I don’t know what it is”, “Beautiful child”, “14th street”, “Go or go ahead” mais surtout, “Cigarettes and chocolate milk”. Est-ce que tu serais tenté de reprendre l’un de ses titres, ou de les adapter en français ?

Reprendre, non, parce que ses chansons sont trop récentes, trop proches de ce que je fais moi. Mais par contre, chanter avec lui, écrire avec lui, évidemment !

Et si tu devais faire un duo avec lui sur une de ses chansons ?

“Matinee Idol”… “I don’t know what it is”… Il y a énormément de chansons sur l’album “Want One” que j’adore. Evidemment, “Cigarettes and chocolate milk”, sur l’album précédent. Il faudrait que l’envie de travailler ensemble soit mutuelle, alors je n’ai pas non plus envie de trop me projeter sur un fantasme.

Après t’avoir vu en concert 20 fois en 7 ans, je me faisais la réflexion qu’il n’y avait quasiment aucune trace de tes prestations en public. Est-ce que tu aurais envie d’enregistrer un dvd live qui te permettrait de réunir tous les gens qui ont compté pour toi sur scène ces dernières années, que ce soit tes sœurs, ton père, Grégory Wicky, Raphaël Noir, Jean Rochat, David Noir… Avec quelques guests comme Albebert, Albin de la Simone ou Jeanne Cherhal.

[silence] Chanter avec Pendleton [Grégory Wicky], oui. Avec mes sœurs, oui. Je n’irais pas chercher d’autres chanteurs, je resterais dans l’intimité. Si on continue à tourner avec mes sœurs, on le fera peut-être un jour.

C’est quelque chose qui est prévu, actuellement ?

Non, pas du tout. Je n’en parle pas. Mon manager n’en parle pas. Ma maison de disques non plus. C’est plus facile d’en parler quand tu t’appelles Aldebert et que tu as vendu plusieurs dizaines de milliers de disques pour chaque album. J’en ai vendu quinze mille en France sur trois albums. Je n’ai pas les moyens de faire tout ce que je veux. Et puis il faudrait qu’il y ait suffisamment de gens que cela puisse intéresser ! Je ne veux pas faire de disque pour deux mille personnes, juste pour faire plaisir à ceux qui connaissent mon père ou Pendleton ! [rires] Mais je pense qu’il y aura un projet un jour. Il faudrait que mon père soit filmé quand il vient chanter.

On m’a fait un très beau compliment l’autre jour : une jeune fille, que je ne connaissais pas, a lu notre deuxième entretien, et m’a dit que cela l’avait beaucoup gênée. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu qu’elle avait eu l’impression de violer l’intimité de deux personnes qui discutaient de choses personnelles.

Dans la mesure où tu as une sensibilité qui te permet de comprendre les artistes dont tu parles, en tout cas leurs chansons, leur univers, évidemment que cela donne des interviews qui sont plus profondes ! Il y a énormément de journalistes qui posent toujours les mêmes questions, qui ne connaissent pas ce que tu fais. Cela n’a rien à voir avec un travail de journaliste, ce que tu fais.

Je le fais avant tout pour moi… Mais quand même, j’ai l’impression que tu souffrais, avant, quand je te posais des questions.

Mais c’est ça ! Mets-toi à ma place et réponds aux questions de quinze personnes différentes par semaine. C’est comme si tu avais quinze psys différents et que tu devais à tous leur raconter ta vie. Au début, ce n’est pas très agréable. Maintenant, j’ai plus de facilités, parce que je me connais mieux moi-même, alors je réponds plus rapidement, et je le prends moins à cœur. Quand j’ai commencé ce métier, j’avais vingt-cinq ans, j’étais très introverti, j’avais écrit ces chansons pour moi, alors je ne voulais pas les décortiquer pour expliquer ce qu’elles voulaient dire. Maintenant, ça va. Bon, évidemment, j’ai beaucoup plus de plaisir à répondre aux questions de quelqu’un qui connaît mes chansons et qui comprend ce que je fais.

 

Artistes cités lors de l'entretien :

Sélection de liens consacrés à Jérémie Kisling :

 

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