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Raphaël Noir : “Je ne suis pas quelqu’un de simple”

Entretien exclusif pour "Parler d'sa vie", enregistré à Paris le 23 décembre 2005
Parler d'sa vie, le 31 janvier 2006

Retranscription de Aurélie Amedeo, Jean-Philippe Combes, Nathalie Darche, Jean-Michel Fontaine, Anna Kriz, Elsa Léal-Martinez, Amandine Nachez, Elisabeth Pasquier, Eldrine Personnaz, Delphine Roger, Céline Téani.

Propos recueillis par Jean-Michel Fontaine

Toutes les photos de cette page ont été prises par Delphine Fontaine / Jean-Michel Fontaine / D.R.
Reproduction interdite sans autorisation préalable.

Raphaël Noir, alias Monsieur Bidouille, alias Jerry Black, est sans doute né, au mauvais endroit, au mauvais moment : on l’imagine en effet plus sorti d’un improbable remake suisse d’Austin Powers que de la paisible Vallée de Joux, à quelques encablures du Lac Léman. Adepte du funk des années 1970 pour ses projets personnels, orfèvre d’un son pop-rock mâtiné de folie douce aux côtés de Jérémie Kisling, Raphaël révèle au public de multiples facettes, un véritable Docteur Noir et Mister Bidouille, que j’ai la chance d’avoir face à moi ce soir. Raphaël Noir, bonsoir…

[amusé] Bonsoir.

Est-ce que je n’ai pas trop dit de bêtises jusqu’à présent ?

[amusé] : Non, c’est… intéressant !

Je te propose de te laisser, dans un premier temps, carte blanche pour te présenter. D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Comment es-tu venu à la musique ? Quels groupes, quels chanteurs, quels musiciens ont fait de toi celui que tu es aujourd’hui ?

Ouh la la ! Beaucoup de questions ! La première question, c’était ?

Qui es-tu ? D’où viens-tu ?

[hésitation] Ouh la la, c’est une sacrée question [rires] ! Je viens en effet de la Vallée de Joux. Je pense que je suis un Suisse qui a peut-être un peu mal d’être suisse, un protestant qui a peut-être un peu mal d’être protestant...

Et fils de pasteur...

Un fils de pasteur, oui. Un très grand sensible, un immense idéaliste qui en est très content, parce qu’il a l’impression de voir clair et de voir juste avec cette sensibilité. Je ne suis pas quelqu’un de simple, parce que je pense que le monde n’est pas simple, et les réponses simples ne sont pas pour cette vie-ci. Mais il y a un immense espoir, une immense lumière en moi qui me porte quand même et qui a certainement à voir avec l’héritage que j’ai reçu en étant fils de pasteur. Il y a une foi, en fait, simplement, qui n’a pas forcément une forme très religieuse [rires] ou très ecclésiastiquement correcte, mais je pense que c’est une foi plus vivante simplement, qui sort du cadre habituel de ce qu’on peut imaginer du protestantisme justement, une foi que je partage d’ailleurs et dont je parle avec Jérémie par exemple aussi beaucoup. On se retrouve, en fait. Voilà, ça, c’est une chose. Après, pourquoi la musique ? Très très jeune la musique, le piano. D’abord une initiation à la musique vers l’âge de 5 ans, et à 9 ans, j’ai décidé de me tourner vers le piano. J’ai fait sept ans de piano classique, mais c’étaient déjà d’autres choses qui bouillonnaient en moi. C’était déjà, sur le petit synthétiseur qu’on m’avait acheté à l’âge de 12 ans, le son "rock organ" qui me plaisait le plus, ou "jazz organ" qui m’intéressait le plus, ou le son "clavinet" qui m’intéressait. Et puis on m’en a offert un autre à l’âge de 15 ans où là, j'ai commencé à composer. Des trucs nuls, mais c’étaient des exercices de style pour apprendre à jouer, à composer, à arranger.

Mais pourquoi les années 1960 et 1970 en particulier ? Tu n’étais pas né pour les années 1960 et tu étais très jeune pour les années 1970...

Ça, c’est beaucoup plus tard. Après, j’ai eu toutes sortes de groupes, de projets. Au début de l'époque du lycée, j’ai rencontré des musiciens qui m’ont lancé dans le jazz et avec le jazz, je suis arrivé petit à petit au funk. Les morceaux qui me plaisaient le plus du répertoire du Big Band du coin étaient des morceaux de Herbie Hancock. J’ai commencé à monter des groupes de mon côté, à l’âge de 15-16 ans. C'est au milieu des années 1990 que j’ai commencé à monter vraiment mes groupes à moi, des projets. J’avais un groupe qui s’appelait Kiss The Frog, et plus tard Pancake, qui a été MA grande expérience. Là, on a commencé à découvrir le mouvement acid jazz anglais, en 1995 exactement, James Taylor Quartet sur scène, Corduroy, Mother Earth… Tous ces groupes mythiques pour moi. Jamiroquai et les Red Hot qui étaient aussi derrière. On a vraiment découvert un grand plaisir dans cette musique rythmique. Après, j'ai voulu m'intéresser à la musique Funk. J'ai trouvé ça bien, j'ai trouvé qu'il y avait plein de choses. Plus j'avançais dans le temps, et plus j'avais envie de reculer. D'abord, c'était Earth Wind and Fire, des choses comme ça, et après, quand on reculait, c'était les premiers Cool and the Gang, et puis après c'était même James Brown depuis 1965. Et il y a eu tout à coup ce truc qui a fait que j'ai fait un mémoire sur le rock, que je me suis renseigné sur le rock. J’en suis venu à découvrir la culture des années 60, et là ça a été la révélation.

Vincent Delerm a consacré son mémoire de maîtrise à François Truffaut, qu’il cite depuis régulièrement dans ses chansons et ses interviews. Tu as rédigé un mémoire de fin d’études qui porte notamment sur l’hypothèse d’une écriture rock dans l’œuvre de Michel Houellebecq. Peux-tu imaginer, un jour, t’inspirer des écrits de Houellebecq pour écrire des chansons ou même, à l’instar de Stephan Eicher avec Philippe Djian, collaborer avec Houellebecq sur un projet d’album ?

Je pense que je suis beaucoup trop loin de la manière d'écrire de Houellebecq pour arriver à collaborer avec lui. Je pense que c'est réellement l’un des plus grands écrivains de la décennie, mais je pense que je suis beaucoup trop loin de son univers. J'écris beaucoup à côté, des poèmes notamment. D'ailleurs, Jérémie en a profité pour le dernier disque. Mon registre est hyper sentimental, très naïf, au fond assez proche de celui de Jérémie, un peu plus romantique en fait. Ça n'a rien à voir avec l'écriture de Houellebecq. Par contre, le disque de Houellebecq, que je t'ai fait écouter, est pour moi un disque capital, extraordinaire. Cette manière de croiser la poésie ou la musique avec Bertrand Burgalat, qui est un de mes pontes en musique…

Fait très peu connu effectivement : Michel Houellebecq a sorti un album en l’an 2000, "Présence humaine", dont il a bien évidemment écrit tous les textes, et dont les musiques ont été composées par Bertrand Burgalat. Est-ce qu’il y a un extrait de l’album que tu aimerais écouter en particulier ?

S'il y a un titre sur lequel j'ai vraiment été complètement accroché, c'est "Paris-Dourdan", qui traduit ce trajet en train, avec un roulis de musique qui s'applique derrière comme une espèce de monotonie infernale, des orgues avec des sons extrêmement plats, qui donnent ce côté linéaire du trajet en train. Et j'adore cette phrase : "Je me réveille à Montparnasse / Tout près d'un sauna naturiste / Le monde entier reprend sa place / Je me sens bizarrement triste" et cette écriture là, cette intuition de la grosse solitude, existentielle, face au monde, cette intuition-là, je m'y reconnais complètement.

[Michel Houellebecq : Paris-Dourdan]

Afin de mieux te découvrir, je te propose de réagir à ces quelques citations de Michel Houellebecq, qui n’ont pas du tout été sélectionnées au hasard :

"Pendant la première partie de sa vie, on ne se rend compte du bonheur qu'après l'avoir perdu".

Ouais [rires], définitivement oui. Je suis en pleine réflexion là-dessus. Dans ma vie actuelle, je suis dans une phase où je suis en pleine réflexion sur cette question-là… Le bonheur, c'est l'épaisseur du monde, et l'épaisseur du monde c'est quelque chose qui est au fond totalement instable et éphémère. Le reste du temps, on est confronté à cette immense solitude. En effet, je crois que quand on a eu accès à une période de bonheur - parce qu'au fond ce ne sont que des éclairs, ce ne sont que des périodes - et bien c'est extrêmement dur de revenir à un monde transparent, extrêmement difficile. Mais ça revient toujours.

Tu n'irais pas jusqu'à, comme Gainsbourg : "fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve" ?

Non, alors, au contraire, il faut aimer de toutes ses forces, continuer à aimer, quitte à en mourir à chaque fois, comme un phénix. C'est la seule chose qui donne un sens. En sachant qu'au fond, tout est devenir et que tout peut m'éclater dans les mains à chaque seconde. Pendant très longtemps, j'ai défendu une position très romantique sur le rôle justement très platonique qui consistait à me détacher des choses. J'ai changé un peu, je crois. J’ai écrit beaucoup de poèmes là-dessus : "M’embarquer dans mes rêves et me prouver qu’ils flottent" par exemple. Je crois que c’est vraiment nécessaire de prendre la vie à bras le corps et de l’aimer passionnément. Aimer ses amis, aimer les projets, s’investir complètement. Et je crois qu’au fond ma personnalité aujourd’hui est plus juste. Je suis plus posé parce que j’ai accepté ça. Je suis beaucoup plus calme parce que j’ai accepté que j’étais passionné !

Quelle relation entretiens-tu avec tes instruments ? On dit souvent que jouer d’un instrument, c’est comme jouer à Tetris. Au bout d’un moment, on n'y réfléchit plus, ça passe par le système nerveux central.

C’est même plus que ça : au bout d’un moment, l’instrument devient un prolongement de toi-même et n’est qu’un vecteur. Il y a une relation hyper physique. Je n’ai pas envie de tomber dans des théories un peu simplistes, mais au fond c’est très sensuel comme expérience. C’est très, très sensuel, à condition d’avoir un instrument qui permette ça, mais je crois qu’il y a beaucoup d’instruments qui permettent ça. C’est quelque chose que beaucoup d’amis musiciens m’ont dit : ils étaient étonnés de voir à quel point je tenais mon piano. Il y a une relation extrêmement forte. C’est vraiment une expérience sensuelle, au sens philosophique du terme, vraiment c’est un contact avec les sens et où le monde disparaît. Ce n’est même pas au bout d’un certain temps. C’est quand on vient sur le piano. Il y a une espèce d’échappée dans l’instinct.


"L’instrument devient un prolongement de toi-même..."

"L'art ne peut pas changer la vie".

Non, l’art dit la vie.

"Plus on a du succès, plus on devient timide". Ça, c’est une question qui te concerne plus directement en tant qu’artiste.

Je ne sais pas.

Il y a souvent ce malentendu à propos des artistes : plus ils sont connus, plus on dit qu’ils sont distants. Alors que finalement, ce n’est pas l’artiste qui change, ce sont les gens qui changent à leur contact. Il y a un moment où on doit se protéger.

Exactement.

"N'ayez pas peur du bonheur : il n'existe pas".

Je ne suis pas d'accord avec ça. Il existe, il joue à cache-cache. Il n'est pas, il devient. Comme Heidegger le dit, la véritable dimension de l'être, ce n'est pas une pérennité, c'est un devenir, c'est un début et une fin. Et quand je dis "présent", c'est déjà un passé. Quand je dis "je suis heureux" maintenant, ce que viens de dire, c'est déjà passé.

Cali chante une phrase très belle sur son deuxième album : "l'amour est un chien qui traverse une quatre voies". Ça, c'est terrible comme phrase...

Oui, mais Cali dit des choses terribles et je crois qu'au fond, il a choisi ce rapport-là, qu'il a décidé de s'y plonger et d'y laisser à chaque fois un peu plus de plumes. Il est un peu condamné à ça. La plus grande difficulté pour un poète ou un artiste ou pour n'importe qui d'écorché, qui ressent les choses un peu fortement et qui est sensible, c'est-à-dire quelqu'un qui pour des raisons qui lui sont propres a décidé de ne pas se blinder, de ne pas mettre d'écorce sur lui-même, et qui n'a peut-être pas réussi (et au fond je ne lui souhaite pas de le faire), c'est qu'il va vivre toutes choses intensément…


"Il se donne le beau rôle..."

Dans un chat récent sur telerama.fr, Jérémie Kisling disait, à propos de toi, "Avec sa fausse assurance qui cache une personnalité angoissée, il fait parfaitement contraste avec ma fausse timidité".

Il se donne le beau rôle [rires], voilà ce que j'en pense. Je ne sais pas…

Mais comme tu le disais, c'est un personnage. Le fait même d'avoir des pseudonymes, de s'appeler Monsieur Bidouille ou Jerry Black plutôt que Raphaël Noir, en soi, ça dénote une envie d'être un autre soi sur scène. Un peu comme "M" est la version extravertie de Matthieu Chédid.

C'est ça. Dans le privé, avec mes amis et mes proches, je suis quelqu'un d'assez sérieux. Je peux rigoler à certains moments, je ne suis pas du tout timide ou bourru et je crois m'aimer relativement bien. C'est une histoire de sociabilisation après. Mais c'est vrai que le Raphaël de la scène est beaucoup plus démonstratif que la réalité quotidienne.

…Tombeur de première !

Non, moi, j’ai décidé que j’allais les faire rire, que j’allais les faire sourire, que j’allais les faire rêver.

Parlons maintenant de ton premier groupe connu, Pancake. Comment ce groupe est-il né ?

Comme j’ai dit avant, c’était d’abord un groupe de lycéens, où on faisait un certain nombre de reprises et on s’amusait en local avec de la musique. On découvrait des sons. J’ai acheté mes premiers claviers vintage à ce moment-là. Après, à Londres, on allait chercher des claviers dans des banlieues, sur les petites annonces, c’étaient de vraies recherches, des espèces d’expérimentations, d’un son, d’une culture. On était assoiffés de trouver des nouveaux disques, des choses qui nous parlaient. On était extrêmement exigeants. On voulait des disques qui nous parlent du début à la fin, à 100 %, sinon on ne les faisait pas. On a commencé à créer comme ça, et on était hyper inspirés par la musique de films, et principalement par Lalo Schiffrin, la grande référence pour moi en matière de musique de films pour son talent d’arrangeur, particulièrement.

"Mission impossible"…

Voilà, "Mission impossible", "L’inspecteur Harry"… Enormément de bandes son chez Lalo Schiffrin… Parce qu’au fond, pour moi, une mise en scène, c’est sonore et visuel à la fois. C’est pour ça que j’aime tellement les costumes : la musique doit éveiller des images dans la tête. Et moi, je suis très visuel - même si j’ai des lunettes et que je suis très hypermétrope et très atteint des yeux - je suis très visuel. J’ai besoin de ça, je marche énormément au visuel et la musique doit être un produit dérivé des images qu’on arrive à créer.

Tu t’es produit pour la première fois le 14 septembre 1996, aux Esserts-de-Rive, dans la vallée de Joux. Entre 1996 et 2002, Pancake s’est produit une septantaine de fois. Est-ce que cette expérience a été formatrice pour la suite ? Qu’as-tu appris de la scène, fondamentalement ?

À surprendre les gens à chaque seconde, à ne jamais les lâcher, à soigner l’arrangement énormément, à soigner l’arrangement visuel aussi, les enchaînements de morceaux, à fasciner les gens, à être persuadé d’une chose, c’est qu’il n’y a pas plus grande rock star que moi le moment où je suis sur scène, en sachant bien que c’est une immense foutaise, mais en étant persuadé de ça afin de n’imiter personne, mais d’être vraiment pleinement moi. Ça m’a appris à diriger des musiciens aussi, à coacher un projet, à composer, à améliorer la composition, à travailler dans ce sens-là, à rencontrer des gens, à croire en ce que je faisais, mais particulièrement à diriger des projets et dire, "ma direction n’est pas forcément la meilleure mais c’est ma direction, venez avec moi parce que je me sens capable de vous amener là". C’est comme ça que j’ai rencontré Jérémie, donc ça m’a appris énormément.


"Il n’y a pas plus grande rock star que moi..."

On va revenir sur cette rencontre, mais quand tu mets en scène le spectacle de K par exemple, comment procèdes-tu ? Est-ce que tu te fies à ton instinct, ou à cette expérience de tous les concerts accumulés depuis Pancake ?

L’expérience résonne naturellement, mais je suis très instinctif. C’est-à-dire que le premier truc qui se passe c’est vraiment, "Qu’est-ce que je ressens ?" Ça passe là et j’ai cette chance au fond aussi par mon parcours estudiantin de bien savoir communiquer, bien savoir formuler les choses, d’être extrêmement précis dans les termes, très bien savoir convaincre les gens et c’est un tout, c’est une pédagogie. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait une formation pédagogique, ça me sert maintenant énormément dans ce genre de cas. On a une intuition, on écoute beaucoup de disques et on a une intuition ou une impression très forte de ce que doit être ça, ce projet-là. Après, on essaie, par des moyens techniques, qu’on connaît, d’accumulation de savoir-faire, qu’on a acquis depuis des années, d’amener à la réalisation de cela. Ça passe par tout, la couleur des chaussettes, du choix des instruments à la mélodie du saxophone, à la position des musiciens, à la pose de la voix, à la phrase qui va être dite avant le morceau, c’est un ensemble de choses.

J’imagine que "Sergeant Pepper" pour toi, d’un point de vue visuel, artistique et mélodique, est une référence ?

Ce n’est pas l’album qui m’a le plus touché, non, c’est marrant.

D’un point de vue visuel, la pochette…

Oui, alors là, magnifique…

Quand on voit tes costumes de scène...

Oui, c’est clair. D’ailleurs, j’ai rêvé des vestes à la Sergeant Pepper, des vestes de soldats de la garde royale britannique. J’en ai trouvé.


"Le reste de la semaine je suis habillé très standard, un peu comme toi, même moins chic..."

Une question qu’on m’a posée pour toi : où trouves-tu tes costumes de scène ? Question très importante... :-)

Dans mille endroits, dans des choses au fond extrêmement banales, dans des choses extrêmements pointues, des magasins de grande distribution de vêtements - je ne citerai pas de noms - mais on en trouve très facilement... Tout comme dans des friperies obscures dont je connais les adresses, ou dans des fins de stocks, enfin des trucs pas possibles. Il faut juste prendre du temps et chercher. La seule chose qui compte, c’est qu’on dise quelque chose avec. C'est un moyen d'expression. Et après, ça peut aussi être à Londres, des marchés à Londres, des friperies à Paris, tout... Ça prend du temps, mais j’y passe moins de temps aussi maintenant. J’ai mes costumes pour les personnages de scène, le reste de la semaine, je suis habillé très standard, un peu comme toi, même moins chic [rires].

En 2001 sort "Drugstore", que tu qualifies de "l'album pop du plus rock des groupes de funk suisses". Mais encore ?

Bah ça suffit, non? [rires] Non, ça dit bien ce que ça veut dire, que c’est un jeu, un exercice de style, un immense exercice de style où on n’est pas rythmiquement assez techniques pour être un vrai groupe de funk, et pas assez méchants, hargneux et autodestructeurs pour être un groupe de rock, trop positifs surtout, et pas assez "variété" pour être un groupe de pop [rires] – non, pas trop je crois, et c’est pour ça que j’ai appelé mon titre comme ça. Je crois que je fais de la pop en fait, c’est ça qui m’intéresse, c’est toucher le plus grand nombre de personnes possibles.

Et c’est un album hommage à Corduroy, que tu qualifies de mélange entre Lalo Shifrin et les Sex Pistols.

Oui, c’est exactement ça. [rires]

A cette occasion, tu rencontres Jérémie Kisling, qui s’appelait encore Jérémie Tschanz. Comment Jérémie s’est-il retrouvé sur l’album de Pancake ?

J’ai rencontré Jérémie en 1995, à l’université. On s’est recroisés sur un festival en 1998, où il jouait avec son groupe Shy, un groupe de rock à l’époque. Moi, je jouais avec Pancake et j’avais été interpellé par ce mec qui chantait juste, ce qui était assez rare dans les groupes de lycéens de l’époque. On se recroise en 2001 et je lui dis "écoute, c’est fou, je te croise, j’enregistre un album dans deux mois et j’ai besoin de quelqu’un" et je lui fais écouter. Il me dit "super" et on y va. Et il vient chanter ce morceau qui s’appelle "Velvet Striped".

[Velvet Striped]

En 2002 sort Climax, le deuxième et dernier album de Pancake, uniquement en vinyle. Climax devient également le nom de ton nouveau groupe. Que s’est-il passé à ce moment-là ?

Alors, Climax, l'album double vinyle, c'était un délire qu'on a décidé de s'offrir pour la fin de la tournée. C'était un disque hommage qu'on allait offrir à tous les fans qui venaient voir les concerts d'adieu. Et là, tout à coup, j'avais décidé de partir sur autre chose de beaucoup plus rock : "Qui me suit ? Parce que moi, j'ai envie de faire ça". Etonnamment, j'en ai eu quand même trois sur sept qui ont décidé de me suivre. On a juste retrouvé un batteur et ils m'ont dit : "Je te suis". Et cette confiance-là m'a beaucoup touché, et je me dis, "et bien voilà, on va faire ça". Et je suis encore plus décidé sur ce que je veux faire artistiquement maintenant avec Climax. Et les textes sont beaucoup plus personnels - les textes en anglais, même si on a l'impression que je braille des tas de choses pas très très audibles et au fond pas très cohérentes - ce sont des textes extrêmement profonds, qui reparlent des questions philosophiques qu'on a évoquées au départ. Voilà pourquoi ce changement de direction.

Parallèlement à cette nouvelle aventure, tu rejoins Jérémie Kisling pour son premier album, "Monsieur Obsolète", et tu deviens le pilier de son groupe sur scène. Qu’est-ce qui t’a convaincu de rejoindre un univers qui est a priori très éloigné du tien ?

D'abord, cette amitié, cette immense amitié qui m'a donné envie de faire plein de choses avec ce type. Et, au fond, le grand talent de Jérémie, le talent de mélodiste et d'auteur, extraordinaire. On s'est rendu compte après coup qu'on avait suivi les mêmes cours de poésie et de littérature à l’Université, qu'on était fascinés par les mêmes profs l'un et l'autre et sur les mêmes aspects. Ça devient un immense dialogue et c'était la possibilité tout à coup de réunir mon amour pour la littérature ou la poésie et la musique. Et j'avais le sentiment que ce mec avait vraiment des choses à m'apprendre, parce que cette intériorité hyper forte, hyper grande, c'était ce dont je manquais. Ça, c'est un cadeau de cette rencontre-là et c'est la même chose pour lui. Lui aussi s'est beaucoup plus ouvert, est beaucoup plus démonstratif. Il assume beaucoup mieux. C'est un cadeau, une de ces rencontres qui fait que tu évolues et que tu grandis. Peut-être une de mes rencontres les plus importantes de ces dix dernières années.

Quel rôle joues-tu exactement auprès de Jérémie, dans les arrangements des chansons, la mise en scène du spectacle, par exemple ?

On parle beaucoup d'abord de ce qu'on ressent, de la musique, de la vie, de nos impressions, c'est très très émotionnel. On parle beaucoup et tout à coup, il y a des idées qui viennent et après, on revoit des spectacles. On en voit peu mais on en parle beaucoup, et on essaie de trouver des choses, de grappiller à gauche et à droite, notamment sur les enchaînements…

Prenons deux exemples précis : "Love boat" au milieu de "Si j'étais un homme"…

C'est une idée de notre producteur.

…ou "Mission to Babylon" à la fin du spectacle de la tournée précédente.

C'est marrant, parce que j'ai joué "Love boat" avec Pancake pendant des années sur scène et j'adorais…. Et ensuite, il y a "Mission to Babylon" : c’est un ancien texte d’un morceau de Pancake et c’était un délire qui est venu assez naturellement. L’idée, c’est de faire des exercices de style très baroques. C’est dire : "Bonjour ! Regardez, on peut vous colorer de plein de choses. Notre univers musical est riche" : c’est l’intertextualité. C’est montrer aux gens tout ce qui nous inspire et c’est très important de ne pas tomber dans le bluff de la Star Ac’ qui fait croire aux gens qu’on a tout inventé il y a dix minutes, alors qu’en fait, ils n’arrêtent pas de reprendre des chansons. Au fond, c’est extrêmement formaté et peu inventif ! Dire aux gens : "Regardez tout ce qu’on représente : on est les héritiers d’une immense tradition et c’est notre cocktail à nous qui est intéressant".


"Un délire qui est venu assez naturellement..."

Sur le nouvel album de Jérémie, "Le ours", sorti en octobre dernier, tu co-écris "Petite nature". Il s’agit, si je ne m’abuse, de ton premier texte publié en français. Qu’est-ce qui t’a inspiré ce texte ?

Une de ces périodes de solitude existentielle, un voyage de quatre jours dans le sud de la France, vers Antibes, avec une amie. C’était super sympa. Des moments de grande légèreté. Le jour où j’ai dû repartir, je savais que j’allais devoir me re-confronter à ces questions, à ces grands drames - évidemment des drames sentimentaux [rires] - mais pas seulement. Du coup, le départ et la grande solitude que ça représente de se retrouver face à ces questions et un de ces matins de printemps où l’on ne sait pas s’il va vraiment faire mauvais temps ou peut-être si ça va changer ou pas. Et une immense instabilité à l’intérieur, où l’on s’angoisse à l’intérieur. Pourquoi ce titre ? Parce que c’est être une petite nature que de vivre les choses comme cela, alors que, au fond, ça va, je ne suis pas mort, j’ai une bonne santé, tout va bien. Et puis c’est aussi une manière de dire à la nature, de pouvoir lui dire : "Tu es toute petite, même si tu me donnes l’impression que je vais me faire avaler par toutes ces grandes émotions et tous ces grands sentiments. Au fond, tu n’es qu’une petite nature et l’amour va me sortir de tout cela".

Ce que disait Jérémie à ce sujet : "Petite nature" c'est un texte que Raphaël a écrit, notamment les couplets, j'ai écrit le refrain. C'est très baudelairien, un peu spleen baudelairien. Raphaël adore ces textes de personnes totalement isolées face à la nature. C'est un peu le contraire de "Là où", cette espèce de tristesse infinie de se faire agresser par la nature ou par les éléments environnants. C'est vraiment une personne qui est triste, qui déprime. Ça parle un peu de dépression ou d'attitudes complètement déboussolées par rapport à la vie. Voilà, c'est des périodes comme ça que notamment Raphaël vit des fois, c'est souvent des personnes extrêmement sensibles. Raphaël c'est quelqu'un de complètement farfelu, clown sur scène mais c'est aussi parce que derrière il y a des immenses moments de doutes et des failles existentielles… Alors moi j’ai commenté que tu vivais pleinement toutes tes émotions. Voilà, exactement, ça parle vraiment de ça et j'ai bien aimé finir l'album là-dessus parce qu'au final ce qui résout ou ce qui enlève cette angoisse latente c'est l'amour. Quand tu t'assois tout près de moi et que tout d'un coup tout est résolu, tout d'un coup tu te sens vivre et tu as une raison de vivre. Voilà j'avais envie de finir sur une note un peu pacifiste. Je crois en l'amour et au fait que c'est le seul truc qui fera avancer le monde vraiment.

Oui, c’est exactement cela. Et de nouveau, ce n’est pas une histoire de torture ou de dépression, c’est simplement une histoire de lucidité, et de lucidité sur soi, et sur ses propres inventions et plutôt que de se plaindre, alors qu’on vit un drame, autant le dire avec les mots qui sont touchants et aller très loin là-dedans pour simplement se libérer et être lucide sur ses textes. Tout le monde se sent seul, on est tous seuls. Et au fond autant le dire pour que les gens puissent… Si je ne le dis pas, alors tout le monde croit qu’on n’a pas le droit de le dire, et si je le dis et que des gens s’y retrouvent, alors...

... Alors autant être seul à plusieurs…

Voilà, exactement. "Ah mais tiens, lui aussi !" et cette communauté de solitude, qui est extraordinaire… Je suis parfaitement d'accord avec la conclusion de Jérémie…. Et je l'ai dit avant : aimer à tout prix, continuer à aimer, c'est la seule chose à faire.

Petite nature

Est-ce qu’on peut parler de dichotomie, de grand écart, entre ce que tu fais, entre la musique que tu aimes et ce que tu fais avec Jérémie ?

Non, non, je ne crois pas.

Ce sont deux aspects de ta personnalité ?

La musique que je fais avec Jérémie et la musique que je fais moi ?

Oui.

Non, c'est la même chose. Ce sont des nuances, mais c'est la même chose, c'est le même univers. Pour moi, un morceau comme "Alice" ou un morceau comme "Horizon grillé", il y a une énergie extrêmement forte dedans. C'est très proche de ce que je fais ailleurs. C'est dit, c'est l'exercice de style principalement qui donne les différents aspects de la personne, mais on n'est jamais tout "joie", on n'est jamais tout "tristesse", tout "colère", on est "tout", point final.

Dernière question, qui est extrêmement intime, je trouve. J’étais un peu gêné quand je l’ai eue. C’est une question d’un certain Jérémie Kisling qui s’adresse à toi.

Jérémie Kisling : Alors mon chéri, Raphaël, une question pour toi. Je pense que tu es la personne qui m'a le plus donné ou redonné envie de profiter de la vie et d'aller jusqu'au bout de ce en quoi je croyais au fond de moi, aborder la vie comme un truc fou et comme un truc génial. Merci pour ça déjà. Et j'aimerais savoir si, paradoxalement, je t'ai apporté quelque chose de contraire à cela ou une manière tempérée de voir la vie, ou… qu'est-ce que, dans ce partage immense que l'on a eu dès le début, qu'est-ce que tu retires toi en comparaison avec ce que j'ai dit, moi ?

C’est hyper touchant. Je pense que j’ai été extrêmement, extrêmement chanceux de rencontrer un type comme lui parce que c’est un peu magique. J’aurais pu me consumer moi-même dans cette hyper extraversion, devenir une pure coquille extérieure et oublier de m’arrêter et de me retrouver. Jérémie, c’est un type qui a vraiment la foi. Cela m’a énormément remis en question sur ma prétendue confiance. En ce moment, il déplace réellement les montagnes, on l’a vu, tout le monde l’a vu, et il m’apprend à les déplacer aussi. J’utilise beaucoup plus mes muscles que lui pour les déplacer et au fond, il est en train de m’apprendre à lâcher mes bras et à les porter avec la tête.

Pour conclure, lui qui finalement a été élevé parmi trois sœurs, est-ce que tu n’es pas le frère qu’il n’a jamais eu ?

Peut-être, il en a eu d’autres, mais peut-être, oui. Oui, je pense un peu. Pas le petit frère, pas le grand non plus.

Le frère de sang ?

Oui, le frère de cœur, le frère d’émotions.

Ce sera le mot de la fin. Merci Raphaël.

"Je suis beaucoup plus calme parce que j’ai accepté que j’étais passionné !"

 

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C’est très très beau comme texte. La fin est très touchante, comme Jérémie parle de leur relation. Et merci, je peux enfin mettre des noms sur la musique que Raphaël aime. J’avais bien une ou deux idées, mais je ne suis pas très précise pour ce genre de chose. En fait, ça donne envie de plus le connaître Raphaël, on aimerait qu’il soit notre ami. Merci pour cette interview Jean-Michel !

Séverine, le 1er février 2006

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