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La chanson française : comment vendre une musique qu'on n'entend pas ?
(Le Monde, 27 janvier 1993)

La chanson française : comment vendre une musique qu'on n'entend pas ?
Le Monde, 27 janvier 1993
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Retranscription de Monique Hudlot

En octobre 1992, les études réalisées par la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), à partir des relevés de programme communiqués par les réseaux de radio, révélait que la part de la chanson française et francophone sur les trois grands réseaux FM destinés aux jeunes, NRJ, Fun Radio et Skyrock, s'était effondrée depuis le début de l'année.

Or, cet effondrement intervenait au terme d'un long processus institutionnel visant à renforcer la présence de la production française sur les antennes. Dès 1991, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait inclus des conditions de programmation musicale lors des renouvellements d'autorisation d'émettre. En août de la même année, M. Jack Lang, ministre de la culture, brandissait la menace du recours au Parlement pour l'imposition de quotas de chanson française, si les réseaux FM ne tenaient pas leurs engagements. En janvier 1992, à l'occasion du MIDEM, les trois réseaux signaient avec les éditeurs phonographiques regroupés au sein du SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique) des accords prévoyant un taux minimum de chanson française dans leur programme (12,5 % pour Fun Radio, 15 % pour Skyrock, 20 % pour NRJ), ainsi que la part que chaque réseau devait faire aux "nouveaux talents".

Face au non-respect de ces engagements, les éditeurs phonographiques, la SACEM et les artistes du Syndicat français des artistes-interprètes se réunissaient au sein du CLIM (Comité de liaison de l'industrie musicale) en décembre 1992, afin d'imposer le respect des minima. Le 14 décembre 1992, le CSA adressait une mise en demeure aux trois grands réseaux. Non sans effets, puisque, en décembre, la part de la chanson francophone était remontée à 8,1 % sur Fun-Radio, à 10,9 % sur Skyrock.

"Un assassinat de la curiosité"

Comment se passer d'un média que huit Français sur dix écoutent régulièrement ? Les stations généralistes (RTL, Europe 1, France-Inter) à forte programmation française, arrivent en tête des audiences cumulées. Mais les réseaux "jeunes" de la bande FM ont assuré leur emprise sur le public qui achète des disques, un auditoire jeune (15-35 ans), grâce à une programmation calquée sur les radios nord-américaines : musique en boucle, priorité aux tubes, playlist (liste des titres les plus fréquemment diffusés) réduite et déterminée par des panels (échantillons) d'auditeurs à qui l'on propose de juger - souvent par téléphone - des titres joués pendant trente secondes. Aux premiers rangs des radios commerciales musicales, NRJ (9,3 points, soit environ quatre millions deux cent mille auditeurs quotidiens, Fun Radio (5,8), Skyrock (5,5), suivies par Europe 2 et Nostalgie (4,5) qui visent une cible plus âgée (25-40 ans).

Sur une radio périphérique à vocation généraliste, fait remarquer Dominique Farran, directeur musical de France-Inter (11 points en audience cumulée), "un titre qui passe souvent est joué de deux à quatre fois par semaine, huit fois dans les cas exceptionnels". Sur la FM, la playlist regroupe une quarantaine de titres, et les rotations peuvent aller jusqu'à un passage toutes les quatre-vingt-dix minutes. Les FM font vendre. Il suffirait qu'elles fassent preuve d'un peu d'audace, en matière de programmation.

Pour François Dacla, qui fut président de RCA-BMG avant de fonder en 1986 EPM, un label entièrement consacré à la chanson française (Léo Ferré, Anne Sylvestre, Bill Deraime), "les FM sont toutes engagées dans une course- poursuite avec NRJ. C'est un club où on ne prend surtout pas de risques. Donc, même si les jeunes ont envie d'écouter du Ferré, aucun programmateur de FM n'aura le courage de l'imposer". Paul-René Albertini, PDG de Polygram-disques, explique : "Les FM ne jouent pas le jeu. Ce sont des moulinettes infernales, des radios que l'on n'écoute plus, même si on les entend. C'est un assassinat de la curiosité". Trop de chanson française, dit-on dans les FM, fait baisser les taux d'écoute. Il y a des exemples et des contre-exemples. En France, Nostalgie (77 % de chanson française) est une des rares à afficher des résultats largement bénéficiaires. A contrario, M 40 (30 % de variétés nationales) plafonne sans rémission (audience : 1,4 point). Brandir la menace institutionnelle ne résout pas tout : le dispositif législatif se contourne aisément. Ainsi les réseaux français s'apprêtent-ils à satisfaire aux injonctions du CSA, mais en diffusant les valeurs sûres de la chanson française (Jean-Jacques Goldman, Jacques Dutronc, Patrick Bruel). Rien pour les nouveaux talents. L'exemple québécois montre que l'instauration de quotas élevés de chanson francophone (65 % pour certaines radios) a favorisé l'émergence de nouveaux artistes comme Jean Leloup ou Luc de Larochelière, sans catastrophe majeure pour les diffuseurs.

Côté FM, le raisonnement est simple : il y en a pour tous les goûts sur la bande FM. Les auditeurs ont le choix. Ceux qui écoutent Fun Radio, NRJ ou Skyrock, y trouvent la satisfaction d'y entendre beaucoup de variétés anglo-saxonnes, qu'ils appellent de leurs voeux. "On ne peut pas mettre un flic derrière chaque auditeur", explique Benoît Sillard, PDG de Fun Radio, en passant au crible "les contre-vérités exposées par la SACEM et les producteurs pour démontrer que les FM leaders sont responsables du grippage de la machine, alors qu'elles n'en sont qu'un mince rouage. Il y a mévente, on cherche un bouc émissaire". Les jeunes n'écoutent que les leaders FM ? "Faux. Moins de 25 % des 15-35 ans les écoutent. L'immense majorité passe son temps à zapper".

Le spectre du désinvestissement

Les FM considèrent le français comme un patois et se désintéressent de tout ce qui se produit ici ? "Faux, évidemment". Et de citer les nouveaux artistes soutenus par Fun Radio en 1992 : Alpha Blondy, Pascal Obispo, Zazie ou Pow Wow. Mais, de juillet à août 1992, soixante-treize titres français ont été présentés aux programmateurs de radio, et la société Mediacontrol, qui compile les rotations de titres sur les grandes stations FM (réseaux et radios régionales), n'a relevé que trois nouveaux talents français ou francophones sur les soixante premiers titres.

Roland Faure, qui suit le dossier radio au CSA, ne cache pas que les mises en demeure de décembre etaient les premiers pas d'une collaboration entre l'autorité de régulation et les auteurs et les compositeurs. Même si la mise en oeuvre de sanctions paraît peu probable, le CSA peut s'appuyer sur le renouvellement des conventions dans certains grands centres urbains pour amener les réseaux à résipiscence. Les autorisations d'émettre doivent prochainement être renouvelées à Toulouse, par exemple, et l'on rappelle que les textes recommandent la prise en compte de "l'expérience acquise d'un réseau", lors de l'attribution d'une fréquence à l'un de ses affiliés.

Mais la crise est aussi ailleurs; le lancement d'un nouvel artiste sur le marché français par les moyens classiques (campagne de presse, publicité télévisée, marketing) coûte au moins 1 million de francs. Trop cher pour un indépendant, risqué pour les filiales de multinationale qui commencent à brandir le spectre du désinvestissement. Gilles Paire, président du SNEP et qui dirige le groupe Polygram en France, explique : "C'est un constat. La menace pèse sur nous : celle de voir nos investissements ne pas être rentables". En attendant, les grands groupes essaient de contourner l'obstacle en développant de petites structures et en s'efforçant d'utiliser d'autres moyens de diffusion que les radios FM, ou la télévision, cette dernière étant jugée unanimement "en dessous de tout".

La chaîne hertzienne musicale qu'appellent de leurs voeux les éditeurs semble en effet plus que jamais dans les limbes. Des chaînes généralistes, seule M6 consacre une place importante à la musique, à 70 % française "mais à des heures peu accessibles", note le CLIM. Restent donc les chaînes câblées. MTV Europe, soeur européenne d'un réseau mondial, diffuse de Londres... moins de 5 % de musique française.

En face, MCM Euromusique fait valoir un bilan qui ne se limite pas à la simple diffusion de clips (même si, sur les vingt clips les plus diffusés par elle en 1992, quatorze sont francophones, dont neuf de jeunes artistes). "Rapatriée" à Paris depuis l'été après trois ans à Monte-Carlo, la chaîne a totalisé 4 800 heures de musique française par an et espère se placer comme "la" chaîne musicale francophone, diffusée vers dix pays par satellite et câble.

Dernier point de blocage, enfin, la distribution commerciale. Certains départements français ne comptent plus un seul disquaire. Aujourd'hui, 50 % des disques sont vendus par la grande distribution, hyper et supermarchés. Pour le reste, les multispécialistes (FNAC, Virgin) se taillent la part du lion avec 28 %, les disquaires et les chaînes de magasins de disques (Nuggets, par exemple) ne comptant respectivement que pour 10 % et 6 %. Les majors ont d'ailleurs contribué à la disparition des disquaires en leur imposant des conditions commerciales (minima de commandes très élevés) incompatibles avec leur survie. Aujourd'hui, elles essaient de préserver ce qui reste du secteur de la distribution indépendante en aidant à la constitution de réseaux, comme les "disquaires starters" qui regroupent certains grands magasins de l'ouest de la France. Ces initiatives s'accompagnent de quelques signes positifs : l'augmentation de la fréquentation des concerts, le sursaut des phonogrammes courts avec l'introduction du CD deux titres. Reste que la survie de la musique populaire dépend toujours de multinationales dont aucune n'a son siège à Paris.


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