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Nos amis les chanteurs
(Thierry Séchan, 1992)

Nos amis les chanteurs
Thierry Séchan, 1992

Vêtu de probité candide, Goldman marche, perdant ses amours et ses cheveux en chemin, chanteur frileux, aux textes désespérément honnêtes. Qui songerait à lui chercher des poux dans la tonsure ? Patrice Delbourg s'y essaya naguère, avec le talent qu'on lui connaît, dans un article demeure fameux dans les annales de la provocation suicidaire : "Jean-Jacques Goldman est vraiment nul".

Le "vraiment" était sans doute de trop, puisque cet amusant brûlot manqua coûter sa (précieuse) place à son auteur. Un bon millier de lettres d'injures, quelques dizaines d'abonnements résiliés, il n'en fallut pas plus pour que notre grand Kahn désapprouvât, en conférence de rédaction, les propos subversifs de son employé. Et Delbourg, non seulement fut haï un peu plus, mais encore il fut méprisé.

Bien sûr, Jean-Jacques Goldman n'est pas vraiment nul. Il provoque cependant une sorte d'émerveillement - que Bruel décuplera - que l'on pourrait ainsi résumer : comment peut-on accorder autant d'importance à des gens qui - aussi sympathiques soient-ils - ont aussi peu de génie ? Dans le cas de Jean-Jacques, il suffisait, semble-t-il, de "coller" à son époque et d'épouser ses médiocres idéaux. En une décennie, en effet, JJG est devenu le meilleur représentant de cette idéologie molle qui règne aujourd'hui dans nos cours d'école, éthique d'instits de la Troisième, morale de bazar de la charité, incendie en moins, hélas.

"On a toujours raison de se révolter" disait jadis Jean-Paul Sartre. Aujourd'hui, on a toujours tort. Pourquoi ? Parce que la vérité n'existe pas, nous dit-on, parce que rien n'est tout a fait blanc, rien n'est tout à fait noir, mais "entre gris clair et gris foncé" (J.-J. Goldman), parce que l'on ne peut agir sur la réalité, qui nous échappe, cette terrible réalité qui broie tous ceux qui voudraient la transformer, comme elle broya Pierre Goldman. (1)

Ces foutaises fonctionnent, ces foutaises façonnent la génération des 15-25 ans, cette génération qu'un journal assez culotté avait surnommé "la génération morale". "A génération morale, chanteurs éthiques", lisait-on dans l'éditorial, les chanteurs en question n'étant autres que Goldman, Feldman et Bruel. Moi, j'écrirais plutôt : "A chanteurs éthiques, génération amorphe", c'est-à-dire sans forme.

Goldman énonce ses doutes, ses interrogations moroses. "Si j'étais né en 17 à Leidenstadt" chante-t-il. Toute sa vie semble n'être qu'un gigantesque ''si". Si je n'étais pas juif, si je m'appelais Dupont, si mon frère ne s'était pas appelé Pierre. Si ma tante en avait.

Et si j'étais ne en 17 à Leidenstadt Sur les ruines d'un champ de bataille (2) Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens Si j'avais été allemand?

Cette interrogation est non seulement absurde, mais aussi proprement scandaleuse, puisqu'elle incite implicitement à la passivité, au scepticisme généralisé. Or, c'est là une idée typiquement goldmanienne, une idée centriste, une idée frileuse. Désireux de s'opposer aux idées tranchées - mais mortelles - d'un demi-frère marqué par l'exemple d'un père qui fut un héros de la Résistance, Jean-Jacques Goldman expose dans ses chansons une philosophie de l'engagement minimal, une esthétique de ni-ni (ni blanc ni noir, mais gris ; ni chaud ni froid, mais tiède, etc.), avec au bout du compte un dégoût de tout (ou plutôt une absence de goût) qui désespérerait Billancourt si Billancourt avait encore un espoir.

L'engagement minimal, c'est l'engagement humanitaire "raisonné" (prétendument neutre), du style "chanteurs sans frontières", "SOS racisme" ou "les Restaurants du coeur". Le disque "Ethiopie" des "Chanteurs sans frontières", opération lancée par Renaud et largement bénéficiaire, - mais pour qui ? - nous instruisit très précisément sur la pensée politique de Jean-Jacques, sur son sens si désespérant de la mesure, son absence si navrante de romantisme révolutionnaire.

Interrogé par Jacques Erwan - journaliste intègre, ce qui n'a jamais couru les rues - Renaud dira, en mars 1986, ce qu'il en fut de l'intervention idéologique de Goldman dans l'affaire "Ethiopie".

- "Une fois écrit, le texte d'"Ethiopie" a-t-il été modifié ? - Il a été modifié. - Par qui? - Par moi et mon frère Thierry qui m'a soufflé quelques mots. Le premier refrain (la neige sur nos villes sur nos banlieues / a emporté quelques vieux malheureux / au soleil à petit feu / pendant ce temps sous nos yeux / l'Ethiopie meurt peu a peu) gênait un certain nombre de personnes. On l'a donc modifié. Ensuite, Jean-Jacques Goldman a émis certaines critiques - d'ailleurs assez justifiées et intelligentes - relatives à une phrase de l'un des couplets qu'il trouvait fausse. Il est intervenu pour que je la modifie, mais sans l'exiger ni censurer quoi que ce soit. Il s'agissait de :

Sur cette terre de sécheresse Ne fleurissent que les tombes Des victimes de nos richesses De nos usines, de nos bombes.

Goldman trouvait que c'était un argument un peu tiers-mondiste. Il pensait que les responsables de la souffrance des enfants d'Ethiopie n'étaient pas seulement nos richesses - celles des pays industriels - mais aussi, disait-il précisément : Dieu (3), le soleil, les pays frères africains, Mengistu ce mariole. Ce n'est pas ce terme qu'il utilisait mais un mot équivalent : ce doux dingue ou ce bouffon, peut-être. Il me disait que cela le gênait considérablement de chanter des choses qu'il ne pensait pas. (...) En accord avec lui, j'ai modifié mon texte, écrit effectivement à partir d'une idée toute faite :

Sur cette terre de sécheresse ne fleurissent que les tombes Malgré toutes nos richesses Leur soleil nous fait de l'ombre. (4)

JJG n'aime pas les arguments tiers-mondistes. JJG n'aime pas les tiers-mondistes. Dont acte. Il est vrai qu'il est moralement plus confortable, plus arrangeant, de mettre la famine en Afrique sur le dos du bon Dieu ou du méchant soleil. Cela s'appelle la bonne conscience. Le champion de la bonne conscience fut Daniel Balavoine, l'homme qui tenta de "moraliser" le Paris-Dakar en offrant aux indigènes quelques pompes a eau qui ne fonctionnent déjà plus, faute de pièces de rechange...

Les interventions idéologiques de Jean-Jacques Goldman sont d'autant plus navrantes que ce jeune homme au regard franc est un être profondément moral. Désespérément moral. Du reste, tout son discours nous appelle les "leçons de morale" que nous subîmes dans les années cinquante, ce lavage de cerveau visant à fabriquer des citoyens dociles et respectueux des lois de la République. "Qui vole un oeuf, vole un boeuf", n'est-ce pas ? Et Goldman de chanter :

...L'amour, tu peux tout le garder Un soir je te l'avais donne Et reprendre, c'est voler.

Un être moral. Un type bien, quoi. Pas un voyou. Hélas. Dans la foulée d'"Ethiopie", JJG adhéra à toutes les bonnes causes qui passaient - sous réserve qu'elles ne fussent pas "politisées". Ainsi, très comiquement, le vit-on participer aux concerts de "SOS racisme" organisation naguère financée par le parti socialiste... Aussi, tragiquement, le vit-on participer aux concert des "Restaurants du Coeur", organisation dirigée par Véronique Colucci, grande amie de Michel Charasse, notre ineffable ex ministre du Budget. Voila. On se croit très avisé et l'on se fait allègrement manipuler. Laisse tomber, Jean-Jacques. Fais comme Bruel, un petit concert annuel pour "Amnesty", petit bénef' pour l'organisation, grosse plus-value publicitaire pour ta pomme, et oublie tout le reste. De toute façon, la charité, c'est dégoûtant.

"Entre gris clair et gris foncé", Jean-Jacques Goldman s'ennuie. Ah, s'il pouvait se fondre dans cette grisaille, s'y noyer, si sa vie pouvait devenir absolument banale, comme il serait heureux ! Tandis qu'il souffre comme un damné de son vedettariat, minettes hystériques accrochées à sa cravate, odieuse corvée des autographes... Pauvre Jean-Jacques, pauvre misère. Le petit cordonnier de "Il changeait la vie", voilà un homme heureux. "J'aimerais tant changer de sang, chante Goldman. Changer de rêves et de tête et d'accent". On a compris, JJ. Tu t'aimes pas trop, hein ? Et moins encore depuis que tu es célèbre. Ah, être un autre !...

J'aimerais tant être au pluriel Quand mon singulier me rogne les ailes

Etre une star en restant anonyme Vivre à la campagne mais en centre ville.

"Mais qui est qui ?" conclus-tu. Bonne question. Pas fastoche d'y répondre, surtout ces temps-ci, puisque :

Les diables ne sont plus vraiment noirs Ni les blancs absolument innocents.

Y'a même des rouges qui virent au vert, et des verts, au vert-de-gris. Jean-Jacques ne veut être ni lui-même ni un autre. Hum. Ce garçon a un problème d'identité. Un problème d'identité, mais aussi un problème d'image. Outre son impossible rêve d'anonymat, le beau Jean-Jacques caresse le désir d'être laid. Ce désir, il le réalise en illustrant ses disques par ses photos les plus moches. Curieux personnage. Au bout du compte, Goldman se retrouve plus désabusé que jamais. Démoralisé. Il n'a plus de goût à rien, Jean-Jacques. Plus d'intérêt - ou si peu - pour ce qu'il fait. Et cela ne date pas d'hier. Déjà, en mai 1987, il donnait une interview hallucinante au "mensuel de la chanson vivante".

Pour commencer, il se posait cette douloureuse question, tarte à la crème de la réflexion du chanteur moyen : "Je me demande si un artiste n'a pas tout dit en quatre albums?"

Fort heureusement, Fred Hidalgo venait immédiatement a son secours : "Mais n'est-ce pas chez les créateurs une chose banale, que cette impression d'avoir déjà dit l'essentiel ?"

- Je ne sais pas si ce que j'ai dit était vraiment essentiel (rire), mais en ce qui me concerne, j'ai vraiment l'impression de n'avoir plus rien de nouveau à apporter, tant sur le plan musical qu'à celui des textes".

Bien. Jean-Jacques va donc nous annoncer qu'il arrête tout, retraite dorée à Montrouge, pavillon discret "entre gris clair et gris foncé". Pas du tout. Il continue son chemin de croix, même s'il tient a préciser : "Il ne faut pas s'attendre à des choses extrêmement originales..."

Et le dialogue surréaliste se poursuit ainsi :

- C'est un album qui va se situer dans la continuation des autres ? - Oui, et puis même un peu dans la redite ! (rire) - Ça, on jugera sur pièces ! - Ah, mais ca ne m'empêche pas de faire de belles chansons (rire)... Eventuellement ! Mais j'ai plutôt l'impression, c'est un peu difficile à expliquer, d'être dans un phase descendante... et je dis ça sans déplaisir, au contraire même, ça ne m'embête pas, non..."

Ce "au contraire"... Hallucinant Jean-Jacques Goldman, aussi désarmé que désarmant, humain, trop humain, et infiniment sympathique. Cher Jean-Jacques, doux Jean-Jacques qui doute, plus effrayé par la vie qu'une chauve-souris par le jour, pauvre Jean-Jacques qui ne parvient pas à ne plus avoir de succès...

En mai 87, il annonçait son imminente disparition :

"J'ai 35 ans aujourd'hui, j'en aurai 36 quand sortira le prochain album, je partirai alors dans une longue tournée que j'achèverai à 37 ou 38 ans... La chanson étant un art pour jeunes, du moins il me semble, c'est comme si je tirais mes dernières cartouches..."

Aujourd'hui, J.-J.G. à quarante ans passés, et il est toujours là. Courage, Jean-Jacques. Ça finira bien par finir !

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foot-note (1) : Demi-frère de JJG, Pierre Goldman eut l'itinéraire des enfants sacrifiés de mai 68. Passé du gauchisme au banditisme, il fut condamné à perpétuité en 1974 pour le meurtre de deux pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir. Son procès ayant été révisé, Pierre Goldman fut rejugé et acquitté en 1976, avant d'être assassiné trois ans plus tard, par l'organisation "Honneur de la police".

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foot-note (2) : Je voudrais signaler a mon ami Jean-Jacques que jamais l'on ne s'est battu sur le sol allemand lors de la première guerre mondiale.

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foot-note (3) : On ne voit vraiment pas ce que Dieu vient foutre là-dedans.

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foot-note (4) : Paroles et Musique, No. 58, mars 1986


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