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Entretien avec Alter Goldman
(L'homme qui est entré dans la loi : Pierre Goldman)

Entretien avec Alter Goldman : L'homme qui est entré dans la loi : Pierre Goldman
Editions La Pensée Sauvage, supplément à la revue "les temps modernes" numéro 353, décembre 76
Wladimir Rabi

Voici comment le père s'exprime malgré son allergie "à toute mise en avant de ma personne". Pudeur, sobriété, noblesse, jusque dans le final concernant le serment. Se dégage aussi ici tout le climat psychologique d'une génération de juifs immigrés : L'acharnement au travail, la volonté d'enracinement de normalisation, la lutte pour la justice sociale, le combat contre le nazisme, enfin la marque indélébile d'Auschwitz.

[Entretien du 19 janvier 1976 à Montrouge]

"Vous croyez vraiment que mon cas est intéressant ?

C'est surtout Pierre qui est en question et non pas moi. Pourtant voici quelques indications. Je suis né en 1909 à Lublin. Je n'ai pas connu mon père qui est mort lorsque j'avais 6 mois. A l'âge de 15 ans, c'était en 1925, j'ai quitté la Pologne. Tout seul. A quinze ans je n'étais plus un enfant. J'avais derrière moi 4 ans de militantisme. J'appartenais à la section juive du parti communiste. Vous savez que le Bund qui était le grand parti socialiste juif en Pologne s'est scindé en 1921 entre la tendance socialiste et la tendance communiste. Pourquoi ai-je quitté la Pologne ? Pour l'unique raison que je ne pouvais supporter d'avoir à lutter pour avoir les même droits que les autres. Pour moi, il était impossible de supporter la discrimination. Je suis donc parti, naturellement, clandestinement. J'ai travaillé pendant 6 mois en Allemagne et puis je suis arrivé en France. Pourquoi la France ? La France c'était pour moi Victor Hugo, c'était 93, c'était la révolution française. Dès l'âge de 13 ans, j'ai regretté de n'avoir pas connu cette période et de ne l'avoir pas vécue. Des gens comme moi, il y en avait des milliers. Quel était mon travail ? J'avais le métier de tailleur. Mais j'étais dégoûte des métiers qu'on appelait les métiers juifs. Je voulais exercer le métier d'un vrai prolétaire. Quand je suis arrivé en France, clandestinement, je me suis engagé comme mineur, oui, mineur en Bretagne, à Tremison dans des mines de fer et d'argent. Je voulais devenir un vrai prolétaire. J'y ai travaillé pendant environ 1 an. Puis je suis retourné à Paris, comme ouvrier mécanicien chez un confectionneur. Je travaillais aux pièces, et je gagnais deux fois plus. C'est la raison pour laquelle j'ai quitté la mine. Mais tous, nous avions la fascination du prolétaire, de l'industrie lourde. Devenir comme les autres, travailler comme les autres, avoir les mêmes droits que les autres. Et aussi renoncer aux métiers juifs : tailleurs, boutiquiers et même intellectuels. Quand j'ai eu 20ans, n'étant pas majeur, j'ai demandé à ma mère de m'envoyer par le canal du consulat de France une autorisation de naturalisation. Je me souviens encore de ce que m'a dit le commissaire de police quand j'ai eu à présenter ma demande. Il a dit (car j'étais un sportif) : "allez, on peut le prendre, ça fera un bon soldat".

Je pratiquais dans une organisation qui s'appelait Yask presque tous les sports : basket, athlétisme et le rugby dans un club français (FSGT). J'ai devancé mon appel en 1930. Et j'ai fait mon service dans les chasseurs d'Afrique. Je voulais voir du pays et puis, je voulais faire du cheval. Là aussi, je voulais être comme les autres. J'ai donc été cavalier et même bon cavalier. J'ai pu lire une fois la note suivante dans mon dossier militaire "excellent cavalier…. mais indiscipliné". Le club Yask était un club sportif à tendance progressiste. Mais vous savez, je n'ai jamais pu supporter la discipline du parti. Quand en 1936 éclate la guerre d'Espagne, je me trouvais avec une équipe de basket de mon club à Barcelone. Beaucoup de mes camarades ont fait partie des Brigades internationales, dans la compagnie Botwin. Mais pas moi. La raison était sans doute dans les procès de Moscou des années 35. Je ne pouvais comprendre que des hommes que j'admirais avaient pu devenir un objet de haine et que j'aurais désormais à les haïr. Les procès de Moscou m'ont bouleversé. C'est pourquoi, à partir de ce moment, je me suis tenu sur la réserve, tout en conservant mes aspirations de jeunesse.

En 1939, j'ai été mobilisé et j'ai fait la guerre dans la 3ème DLM. En 40, j'ai été démobilisé et suis revenu à Paris. J'y suis resté quelques mois puis, je suis allé en zone sud à Lyon. En 42, un camarade du Yask m'a fait entrer dans la résistance. La résistance juive n'existait encore qu'à l'état d'embryon mais c'était un commencement. Et le combat commença en 1942. Plus tard, en 43, l'organisation fut plus achevée, dans le cadre de la section juive de la MOI (Main d'Oeuvre Immigrée) qui travaillait avec les FTP. Il y avait plusieurs directions d'action : presse, propagande, solidarité, travail anti allemand, combat. J'ai été chargé du travail militaire et de l'organisation de groupes de combat. C'est ainsi que j'ai connu celle qui allait devenir la mère de Pierre. Elle était la secrétaire de l'organisation pour la région lyonnaise. C'était une militante. On l'a appelée après la libération : la passionaria juive. L'année 44 fut une année terrible et très dure à Lyon. Il y avait des attentats tous les jours. La mort pouvait survenir à tout instant, pour chacun de nous. Elle a dit "je veux avoir un enfant". Et quand elle est devenue enceinte, elle a dit "envers de contre tout, je veux cet enfant". Quelle raison à un tel comportement ? Certes, il y avait chez elle la conviction de lutter ainsi contre la mort qui nous menaçait tous à l'époque. Mais aussi, selon moi, le fait que cette militante qui avaient eu toujours une vie de militante désirait être une femme dans la pleine acceptation. Pierre est né dans un hôpital à Lyon et a été inscrit sous un faux nom le 22/06/44. Puis, à la mort du chef de la résistance à Grenoble, elle a été appelée à le remplacer à Grenoble et elle y est allée avec Pierre. L'enfant a donc été de nourrices en nourrices, jusqu'à l'âge de 5 ans. La mère était une militante professionnelle. Quant à moi, politiquement, j'étais plus réservé. Je ne voulais pas participer à la vie d'un parti. Pour moi, avec la fin de mon activité militaire, je voulais revenir à la vie normale. Nous vivions séparés. Mais lorsqu'en 1947, elle a dû revenir en Pologne, je me suis insurgé. Je ne voulais pas que Pierre aille dans un pays antisémite comme la Pologne. Il était à ce moment chez sa mère et je l'ai littéralement kidnappé. Il a vécu chez ma sœur.

Quand je me suis marié en 1949, Pierre a vécu avec nous et nous avons régularisé ses papiers d'identité à la mairie. De 5 ans à 13 ans, il n'a pas posé de problèmes pour nous. Il vivait avec nous, avec ses demi-frères et sœur de la même manière qu'eux et entouré de la même affection. Entre 7 et 13 ans, il a été scout chez les éclaireurs de France. Les problèmes ne sont venus qu'après. Il est ainsi passé dans divers lycées : Voltaire, Michelet, Evreux, Compiègne, Chauny. Au lycée, il était soit le premier soit dernier selon la manière qu'il aimait ou bien détestait. Ainsi il était le dernier en maths, mais premier en histoire et français. Lorsqu'il fait Sorbonne, il ne venait plus qu'irrégulièrement mais il avait sa chambre toujours à la maison. Nous savions qu'il était doué, un ami nous l'avait affirmé. Mais il refusait tout travail qui ne lui convenait pas totalement. "Je ne veux pas mettre le doigt dans l'engrenage" disait-il. Nous en avons souffert naturellement. Moi, j'appartenais à une génération qui n'avait pas que le but de s'intégrer par un travail régulier et tenace. A un certain moment, je lui ai dit : Pierre, il faut te stabiliser, fais le service militaire, cela te permettra de réfléchir pendant un certain temps. Il a dit "oui". Il a été résilier son sursis, a reçu l'ordre d'appel pour Nancy. Mais il n'a jamais été à Nancy. Quand j'ai lu son livre, j'ai compris. Je lui ai dit, à la prison de Fresnes : "Pierre j'ai appris à te connaître en lisant ton livre, je ne te connaissais pas". il m'a répondu : "Moi non plus, je ne me connaissais pas, j'ai appris à me connaître en écrivant ce livre". Comment en est il venu à être à tel point fasciné par la résistance ? Moi, je ne lui en parlais guère. Mais chaque année, pendant les vacances scolaires il allait en Pologne chez sa mère. Sa mère et surtout beaucoup des amis de sa mère, qui avaient vécu et combattu en France, rappelaient les événements de la guerre à laquelle ils avaient participé. Ils parlaient aussi d'Auschwitz. Et comment pourrait-on ne pas en parler en Pologne ? C'est ainsi qu'il a été peu a peu hanté par cette expérience historique qu'il n'avait pas vécu.

Sa haine de l'antisémitisme était telle que à Varsovie, il tenait ostensiblement un journal yiddish à la main dans les lieux publics alors qu'il ne connaissait pas le yiddish. Avec ses frères il avait des discussions. J'avais toujours dit à mes enfants : si on vous traite de sales juifs, vous savez ce qu'il vous reste à faire. Un jour, l'un d'entre eux (Pierre était absent) est venu à la maison en racontant qu'il avait été injurié par un antisémite. "Et tu ne t'es pas battu ?" a dit l'autre ? "Ils étaient 10" a répondu son frère". "Il fallait malgré tout répondre". Telle fut la réponse. Voici comment ils étaient. Et ainsi était également Pierre. Et pourtant, enfant, sans doute à cause de son passage de nourrice en nourrice, il était craintif. Ensuite, ce qu'a été sa vie, je ne sais que ce qu'il dit dans son livre. En septembre 1969, il m'a écrit et Debray cite cette lettre, il m'a écrit du Venezuela, "il aura fallu que je fasse partie d'une collectivité dont je partage totalement le but que j'ai intégré en toute liberté pour mesurer à quel point il est vrai que je suis resté 24 ans ignorant de la vie en commun, de l'existence et des rapports avec les autres. Vous aviez raison. Je n'ai eu qu'à apprendre humblement la sévère discipline de ce type d'existence". Il m'écrivait du Venezuela, puis il concluait ainsi : "A bientôt, je reviendrai, je serai un homme et nous serons heureux". Etre un homme, comme nous disions "a mensch". Cela me rappelait une lettre qu'il m'avait écrite le 12/11/62 : "je revendique la responsabilité totale de ce que j'ai fait du 01/10/55 au 19/10/62. En 55, il avait 11 ans et en 62 il avait 18 ans…Nous ne l'avons revu que fin novembre 1969 quand il est revenu du Venezuela. Il est venu à la maison pour mon anniversaire. Puis en avril 70, lorsque j'ai vu son nom cité dans la presse, j'ai cru que son passeport avait été volé. Le lendemain, j'ai vu sa photographie dans les journaux, ce fut affreux. Mais j'ai toujours cru en son innocence. Jamais il n'avait battu un plus faible que lui. Et quand il s'est battu, ce fut toujours aux poings.

Un journaliste de France Soir est venu me voir à cette époque. Il m'a dit que lui-même ne pouvait pas croire à la culpabilité de Pierre. Jamais il n'avait vu un meurtrier capable de commettre un hold up à visage découvert, le lendemain d'un meurtre car c'était là une impossibilité psychologique totale. Il a ajouté que la reconnaissance était pas valable, dès lors que la plupart des témoins avaient vu sa photo dans le journal avant cette reconnaissance. Lorsque l'affaire a éclaté, j'ai cru que les voisins se détourneraient de moi. Mais les gens m'ont fait confiance. Personne ne m'a jamais dit un mot. Ça, c'est la France. Lorsque je me suis décidé à aller voir Pierre à Fresnes, je lui ai simplement demandé : "Est ce toi ou n'est ce pas toi ?". Il a répondu "ce n'est pas moi". Il a aussi, plus tard, porté serment sur la mémoire des morts d'Auschwitz. Mais je n'ai pas prêté importance à ce serment. Je suis contre tout serment. Un serment n'ajoute rien. Une parole d'homme suffit".


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