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Les dents longues
(Rock & Folk n° 106, Novembre 1975)

Les dents longues
Rock & Folk n° 106, Novembre 1975
Retranscription de Jean-Michel Fontaine et de Céline Vallet

Etrange idée, a priori, que de rapprocher deux groupes qui semblent ne pas avoir grand chose en commun. Et puis, si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que c'est précisément cela qui fait l'intérêt d'un tel article, à savoir qu'ils n'ont en fait ABSOLUMENT RIEN DE COMMUN, ni dans leurs personnalités et leurs « images », ni dans leurs ambitions, objectifs, démarches ou productions musicales : d'un côté un groupe de musiciens quasi-amateurs (au sens social du terme) dont aucun dans l'état actuel des choses ne prétend vivre de son art ; de l'autre, de solides professionnels qui tous ont fait de la musique leur unique gagne-pain, et qui, ce pain, le gagnent tant bien que mal et plutôt mal que bien, au gré des changements d'humeur d'un public versatile et d'activité inégale d'un showbusiness qui, à leur égard, et c'est le moins qu'on puisse dire, apparaît hésitant, sinon totalement apathique. D'un côté des musiciens pour lesquels le succès commercial est une condition sine qua non, non seulement de leur existence en tant que groupe, mais aussi de leur progression et de leur passage futur à la scène, un groupe qui ne tourne pas encore ; de l'autre, un groupe qui tourne aussi souvent qu'il en a l'occasion, mais qui combat pour faire reconnaître la musique quelle qu'elle soit, mais en particulier la sienne, comme activité culturelle déficitaire « par définition », à l'image du théâtre par exemple, ou de la musique « classique », et donc, comme eux, objet de subventions privées ou publiques, de fondations culturelles comme c'est le cas aux Etats-Unis ou au Canada, ou de l'État et des collectivités locales comme dans certains pays scandinaves ou germaniques. D'un côté un groupe ayant fait sien tout le patrimoine anglo-saxon du rock de « l'après Beatles » et ne se reconnaissent que cette unique influence, à l'exclusion de toute autre racine plus proprement continentale ou française ; de l'autre, des musiciens revendiquant pour eux-mêmes l'identité de compositeurs classiques, et pour leur musique la qualité de musique originale européenne. D'un côté, un groupe dans la plus pure tradition du rock (même « symphonique »), avide d'une reconnaissance massive et immédiate, et se donnant les moyens de cette politique ; de l'autre, un groupe imbu de valeurs esthétiques, confiant dans celle de sa musique, parfaitement persuadé qu'elle saura s'imposer par elle-même, et donc à l'abri de ce qu'il considère comme des concessions (musicales ou autres) aux méandres du showbusiness. D'un côté Tai Phong et une interview de Khanh, Taï et Jean-Jacques Goldman ; de l'autre Zao et une conversation avec François « Faton » Cohen, Yochko « Jeff » Seffer et Gérard Prévost.

Khanh et Taï : frères, nés au Viet Nam, respectivement 29 et 27 ans, donc plus tout jeunes, mais ça ne se voit pas, et ça leur donne des têtes solidement ancrées sur les épaules. Khanh est ingénieur du son dans un studio parisien (où il a d'ailleurs participé à la prise de son du prochain album de Zao) ; il est l'éminence grise de Tai Phong au point de vue technique et semble partager la direction « stratégique » du groupe avec Jean-Jacques Goldman. Taï a été directeur artistique dans une maison de disques.

Jean-Jacques : 24 ans, né à Paris, diplômé d'une école supérieure de commerce, vend des survêtements et des baskets à Montrouge ; aussi volubile que Khanh et Taï sont calmes, mais tout aussi clair et déterminé qu'eux en ce qui concerne la politique du groupe. Ensemble, ils présentent et racontent tout à la fois, les musiciens, le groupe, leur histoire et leur approche originale pour un groupe français, car très anglo-saxonne, de la musique et du business.

Khanh : Mon frère et moi, cela fait quinze ans que nous jouons de la basse et de la guitare : on n'a jamais fait d'études formelles, académiques, sinon des cours de piano dans l'enfance. Au début, on a formé un premier groupe, Mousson, avec lequel on a gagné le championnat de l'Île-de-France quatre années consécutives. La cinquième, ils ont refusé qu'on se présente pour laisser une chance aux professionnels. On avait le même matériel que les Shadows, c'était très rare à l'époque, Fender, Vox et tout. L'année du bac, on a arrêté à cause des pressions familiales ; on a tout vendu. Moi, j'ai arrêté complètement et Taï est reparti en Angleterre où nous avions fait nos études dans un collège et il a gratté dans le métro, les pubs...

Taï : C'était très enrichissant, surtout dans les pubs. Il suffisait de se mêler aux groupes pour jouer, et n'importe quel musicien t'apportait toute son expérience, surtout musicalement. Il n'y avait rien de comparable en France.

Khanh : Nous avons recommencé il y a trois ans avec Taï Phong, nous deux et des copains de notre coin. Mais c'était très dur pour eux de jouer tous les soirs, après le boulot, pour rien et sans public. Alors, ils sont restés six mois puis ils sont partis. Là-dessus, nous avons cherché d'autres musiciens, on a même passé des annonces dans le Melody Maker. Un Américain et un Anglais se sont présentés et nous avons joué six mois ensemble, puis l'Américain est allé rejoindre son ancien groupe qui venait tenter sa chance en France. Et il y a eu des problèmes d'ego avec l'Anglais qui avait la grosse tête (parce qu'il était anglais). On a de nouveau cherché d'autres musiciens et par relations, on a rencontré Jean-Jacques.

Jean-Jacques Goldman est l'autre guitariste de Tai Phong qui, avec Khanh, possède donc deux solistes ; il joue également du violon et participe au chant et aux harmonies vocales qui sont un des points forts du son Tai Phong.

Jean-Jacques Goldman : Moi, je suis né à Paris, dans une piscine. Je suis le seul marié, cela donne une certaine considération, un certain poids, surtout qu'elle est enceinte ! Comme mes camarades, j'ai des racines françaises très profondes : mon père est né en Pologne, près de Varsovie, et ma mère en Allemagne ! Je suis un fils de l'exode. A six ans, comme dans toutes les familles juives, on m'a mis au piano. Si, chez les Vietnamiens, artiste est le dernier des métiers, chez les Juifs, c'est très bien vu, mais il faut avoir du succès, il faut que ça marche... en dollars ! Le mythe du génie incompris, cela n'existe pas... Ensuite, j'ai fait une dizaine d'années de violon. Paradoxalement, jusqu'à 16 ans, je n'avais même pas entendu parler des Beatles. J'ai eu mon premier choc à 17 ans dans une boîte où j'avais suivi des copains : Aretha Franklin. Je suis entré dans un petit groupe de R.& B., à l'orgue puis à la guitare. J'ai finalement très peu d'influences classiques... Je suis entré dans Taï Phong alors que l'Anglais était encore là. On l'a vidé, très étonné qu'il était ! Et Jean-Alain (Gardet) nous a été présenté par des amis, et après que nous l'ayons engagé, nous nous sommes aperçu que nous étions voisins...

Jean-Alain Gardet, tous les claviers (piano, orgue, synthé), le seul membre du groupe avec le batteur ) à ne pas avoir actuellement d'activité lucrative extra-musicale ; le seul avec le même à se produire occasionnellement hors du groupe, comme récemment avec le groupe qui accompagnait Jacques Emile Deschamps au Carré Thorigny.

Khanh : Jean-Alain a 15 ans de piano, il a commencé à sept ans. Fils d'éditeur de musique et de jazzman, il a d'abord fait dix ans de classique puis s'est mis au jazz et a joué avec des petits orchestres amateurs. Il aime surtout Corea, Hancock, Elton John et Genesis. Il était en prépa HEC quand on l'a recruté.

Jean-Jacques Goldman : ... Le premier batteur était bien, surtout que nous n'étions pas spécialement un groupe rythmique. Nous jouions la musique de la deuxième face de l'album mais à notre première expérience de studio, nous nous sommes aperçus qu'il ne jouait pas du tout « en place ». Ce qu'il nous fallait, c'était un batteur qui sorte un peu du baloche, qui puisse faire à la fois de la musique un peu intéressante, de la musique Taï Phong, et tac-tac-poum de « Sister Jane ». On a entendu une quinzaine de batteurs, dont certains connus et qui avaient plus de dix ans de pratique, et on s'est rendu compte à quel point il y avait des musiciens géniaux mais incapables de jouer « en place » des trucs très simples si on leur demandait. C'est terrible. C'est à ce moment-là, il y a un an, que nous avons recruté Stéphane (Caussarieu).

Stéphane Caussarieu, 18 ans, joue de la batterie depuis quatre ans, une vocation suscitée par Bill Bruford alors batteur de Yes, son groupe favori ; suit toujours l'enseignement de l'école de batterie Kenny Clarke ; a remplacé le batteur de Stivell au festival de Reading. Un fanatique.

Khanh : Stéphane n'était pas le meilleur batteur que nous ayons auditionné, mais le plus complet. Il a fait jusqu'à huit heures de batterie par jour, c'est dingue !... Il est arrivé juste après notre premier enregistrement (non publié). Nous avons vu sept maisons de disques, et toutes nous ont proposé un contrat ; pas un refus. Mais nous voulions imposer nos conditions : un contrat spécial stipulant que si au bout de deux ans nous n'avions pas vendu « tant » de disques, nous pouvions nous retirer. Nous ne sommes pas des musiciens de carrière, et nous voulions pouvoir changer de métier si ça ne marchait pas.

Taï : Il y avait une double implication : c'était bon pour eux, car ils se débarrassaient de nous en cas de bide, et pour nous parce que nous gardions une certaine liberté et obligions la maison de disques à nous promouvoir pour nous garder.

Khanh : Nous ne voulions pas avoir à nous battre pour avoir de la promotion, mais que la boîte soit obligée d'en faire. J'ai travaillé chez Barclay et chez Philips, j'ai vu les problèmes d'Ange, de Magma et de Zao. J'ai compris qu'il fallait être en position de force.

Jean-Jacques Goldman : Nous, nous n'attendions pas après une boîte pour manger : nous avions tous de bons métiers, ce qui nous permettait d'être beaucoup plus exigeants et aussi beaucoup plus soudés. Il n'y en avait jamais un qui ne pouvait répéter parce qu'il devait courir le cachet.

Rock and Folk (sournoisement) : Il semblerait que vous devez cela pour beaucoup à vos origines bourgeoises...

Jean-Jacques Goldman : Oui, mais aussi au fait que pour nous, la musique n'a pris le premier plan que tard. Nous avons tous terminé nos études. Cela présente des avantages et des inconvénients : certes, il nous manque une certaine expérience de la galère professionnelle, de la pratique, mais nous avons aussi une façon différente d'aborder les choses. Notre tactique, c'est vendre pour acheter, pour nous équiper. Seul le succès peut nous permettre d'améliorer notre produit, et nous le recherchons sans fausse honte. On va même faire le « Ring Parade » de Guy Lux ! On a déjà fait des concerts, la réponse était excellente, mais nous n'étions pas satisfaits. Techniquement, parce qu'un concert doit être aussi bon au point de vue « son » que le disque et humainement parce qu'il doit apporter quelque chose de plus, une chaleur, un contact qu'il faut savoir créer. Nous manquons encore d'expérience, d'aisance personnelle, pas pour la musique car nous jouons ensemble depuis des mois, mais pour l'ambiance, le show. Nous devrions être prêts pour Pâques, avec le nouvel album. Il y a déjà une équipe branchée sur le visuel, et les problèmes de matériel se résolvent doucement.

Khanh : Notre ambition est d'être mondialement connus. Mis à part le Japon, notre album va être pressé dans les douze principaux pays, dont l'Angleterre et les USA. D'aileurs, nous ne sommes pas un groupe français, tout juste un groupe de France, nous jouons le même genre de musique que les Anglais de Yes, les Italiens de PFM, les Grecs d'Aphrodite Child.

Jean-Jacques Goldman : En fait, Aphrodite Child est notre modèle. Ils ont sorti des tubes « propres » dont ils n'ont jamais eu à rougir, pas de la merde à la « Et mourir de plaisir », et ils ont également produit de la musique intéressante comme « 666 » (un chef-d'œuvre méconnu). Toutes nos racines sont anglo-saxonnes. Qu'on ne nous dise pas qu'il faut chanter en français, ce serait artificiel. Notre authenticité, c'est l'époque symphonique des Beatles, les premiers Crimson. En France, les seules musiques vivantes authentiques c'est Verchuren, et ça ne nous intéresse pas, ou Stivell et les folklores : comment s'identifier à ce que l'on ne connaît pas parce qu'on ne l'entendait jamais avant Stivell ?


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