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Olivier Gann : “Je n’aspire à rien de plus que ce que j’ai”

Entretien exclusif pour "Parler d'sa vie", enregistré à Saint-Julien-en-Genevois le 7 août 2010
Parler d'sa vie, le 6 février 2011

Propos recueillis par Jean-Michel Fontaine

Retranscription de Bénédicte Charles, Jean-Michel Fontaine, Julie Lajeunesse, Delphine Roger

Crédits photos : D.R. / Delphine Fontaine

C’est notre quatrième interview en quatre albums. Est-ce qu’on a encore des choses à se dire ?

J’espère ! [rires] J’espère qu’on a des choses à se dire. En général, quand on est bien avec les gens, on a toujours plein de choses à se dire. Ce n’est pas la quantité qui fait, c’est la qualité.

Tu as fait quatre albums, comme les quatre points cardinaux. Ton premier album, "On m’a dit", c’est l’Est, le soleil qui se lève. Ton deuxième album, "Instantané" c’est le Sud, les instincts primaires, la méditation, la chaleur humaine. Ton troisième album, "A l’Ouest" forcément, c’est l’Ouest, l’espoir du renouveau. Ton quatrième album, "Les éoliennes", c’est le Nord, l’inconnu, le mystère, la fin d’un cycle. Qu’en penses-tu ?

C’est une bonne vision, c’est pas mal. C’est vrai que chaque album est différent, donc ça peut être imagé comme ça. C’est vrai que l’ouest, c’était facile [rires]. Le nord, ce n’est pas faux, avec “Les Eoliennes”: je pense qu’il doit y avoir plus d’éoliennes dans le Nord. Quoique non, dans le Sud, quand je vais en Espagne, j’en vois pas mal. Donc c’est une vision sympathique.

Ce qui est intéressant avec le Nord, c’est que la symbolique, c’est la fin d’un cycle.

Pourquoi est-ce que c’est la fin d’un cycle, le Nord ?

C’est une symbolique que j’ai trouvée sur Wikipedia. Je trouvais intéressant qu’au bout de quatre albums, tu sois arrivé à la fin d’un cycle et que tu commences ensuite quelque chose de nouveau.

Pour moi, ce n’est pas du tout la fin d’un cycle. Je n’ai pas ce sentiment. C’est une continuité. Je n’ai pas l’impression d’être arrivé à un terme. J’essaie à chaque album d’amener un peu plus, d’amener des choses nouvelles, en tout cas avec un peu plus de fraîcheur à chaque fois. J’essaie de garder la fraîcheur que j’avais au début, c’est surtout ça. Maintenant, j’espère que je le sentirai quand il faudra que je m’arrête. Parfois, il y en a qui devraient s’arrêter et qui ne le sentent pas.

On ne donnera pas de noms [rires]

Non, je déteste ça ! [rires]

On retrouve également quatre éléments dans les couleurs des cartes. Le Cœur, ce sont les liens de sang, alors ce serait plutôt ton premier album. Le Carreau, c’est le mouvement, les voyages, la communication, l’énergie, donc ce serait plutôt ton troisième album. Par contre, le Pique, c’est le pouvoir de l'action et l’action du pouvoir. Le Trèfle, c’est l’argent et la protection, alors dans un cas comme dans l’autre, je ne pense pas qu’"Instantané" et "Les Eoliennes" correspondent à l’une de ces deux symboliques.

Non, c’est vrai. Mais "Les Eoliennes", c’est un peu un mélange du deuxième et du troisième albums : il a la dynamique d’"A l’Ouest", il a la production d’"Instantané", c’est un mélange des deux. Il y avait beaucoup de choses que j’aimais dans "Instantané", il y avait beaucoup de choses que j’aimais dans "A l’Ouest". Le mélange des deux donne une couleur, une couleur que moi en tout cas j’apprécie. Je trouve que c’est autre chose, mais je ne suis pas sûr que par rapport aux cartes, on arrive à faire un rapprochement.

Parlons un peu de tes auteurs… Tout d’abord, on retrouve Véronique Chanat, qui signe trois textes sur ce nouvel album, et qui a d’ailleurs écrit sur chacun de tes albums.

Oui, c’est vrai.

En tout, elle t’a offert dix textes. On en parle à la sortie de chaque album, mais ces trois nouveaux textes ont-ils été écrits à Astaffort quand vous vous êtes rencontrés en 1997 ?

Je ne sais pas s’ils ont été écrits à Astaffort en 1997, mais je les ai découverts à cette époque-là. Je pense qu’elle les avait écrits, pour la plupart déjà, bien avant, parce qu’elle m’a envoyé ces textes en 1997-1998, jusqu’en 1999 je crois. Donc toutes les chansons de Véronique Chanat que je chante aujourd’hui, ce sont pratiquement des chansons qui ont plus de 10 ans, voire 15 ans. Après, on les remanie, je lui demande de remanier certaines phrases, certains mots, certaines choses. Mais c’est vrai que je n’ai pas de nouveautés… à moins que je n’aie un trou de mémoire. [il réfléchit] Je ne pense pas avoir de nouveautés venant de sa part. Ça prouve bien que ce sont d’excellents textes, puisque ce sont des textes qui ont 15 ans et qui n’ont pas pris une ride. Ça veut dire que l’écriture est quand même bien ciselée.

Et tu as d’autres textes que tu n’as pas encore mis en musique ?

Bien sûr. Elle m’en avait envoyé plus d’une centaine… Plus que ça, 150 ! J’ai plein de textes, en fait, mais il faut que je sois dans un certain état d’esprit : je peux lire un texte – je pense à des chansons comme "Tout le reste", que j’ai lue peut-être dix fois, vingt fois sans avoir de déclic, sans vraiment me dire : "Ça me convient". Et puis un jour, je suis dans l’état d’esprit du moment. Je lis le texte, on change quelques mots et une mélodie arrive très vite : la chanson est faite. Il y a un temps de gestation qui est très, très long avec moi, ça peut prendre un bout de temps. On peut m’envoyer des textes, je ne flashe pas, et tout à coup j’ai une révélation. C’est comme cela que je fonctionne.

En 2005, tu as fait la connaissance de Bernard Glotin, un journaliste qui réalisait un reportage sur toi pour le compte de Saint-Nazaire Magazine. Visiblement, un déclic a eu lieu ce jour-là, puisqu’il a décidé de se mettre à l’écriture et qu’il t’a offert "Billet vert", un texte caustique sur une femme dépensière. Cette chanson me fait penser à la citation de Sacha Guitry : "Un homme qui a réussi, c’est un homme qui gagne plus d’argent que sa femme ne peut en dépenser".

[rires] C’est une belle formule, je ne la connaissais pas. Bernard Glotin, c’est une belle rencontre, une rencontre humaine. Il avait fait un article sur moi. Ensuite, il a découvert ce que je faisais, ça lui plaisait. Il s’est mis à écrire des textes et puis il me demandait mon avis. Je lui disais : "Tu sais, je ne suis pas auteur, je peux juste te donner mon avis de musicien, en tout cas d’une personne qui prend des textes aux autres". Et puis petit à petit, je trouve qu’il a appris à changer son écriture : c’est devenu plus poétique, c’est devenu plus "chanson" aussi. Il faut que les mots aient une consonance, il faut qu’ils puissent être chantés. Les textes qu’il écrivait au départ étaient plus des poèmes, des écrits. Au fur et à mesure, ce sont devenus des chansons. Et puis on se connaît très bien, parce que c’est devenu un copain. Il a failli y avoir une chanson à lui sur "A l’Ouest", une chanson qui s’appelait "Je m’ferais bien", qui parlait à peu près du même thème. "Je m’ferais bien", ça parlait beaucoup d’argent : "Je m’ferais bien une banque, les poches de mon patron…"

"Je m’ferais bien la fleuriste…" ? [rires]

Non, ce n’est pas ça du tout [rires]. Ça n’a rien à voir ! Justement, c’était à double sens : on peut s’imaginer un sens comme ça. C’est une chanson que j’aime beaucoup. J’ai hésité à la mettre sur "A l’Ouest" et puis il m’a écrit "Billet vert" assez vite. Là, j’ai craqué et je me suis dit, "c’est parfait pour une mélodie légère". J’avais envie d’une chanson légère sur cet album, comme j’avais pu avoir sur "On m’a dit", le premier album : j’avais une chanson qui s’appelait "C’est pas une vie" qui était légère, sans prétention. J’avais envie de revenir un peu à ça. Je m’aperçois qu’en concert, elle fait rire, elle fonctionne, la musique est enjouée, c’est agréable. Et puis, c’est un super mec.

En trois albums, Nérac est devenu un fidèle, puisqu’il t’a déjà écrit 19 titres.

[étonné] 19 titres !

19 titres, oui, et une musique. Celle de "Le danger" dont il signe paroles et musique et qu’il interprète sur son album du même nom. Est-ce que j’ai le droit de dire que je préfère sa version à la tienne ?

Tu as tout à fait raison parce que je pense… enfin, ce n’est pas que je pense, c’est que j’en suis sûr : son interprétation est meilleure. D’abord parce qu’il a une déchirure quand il la chante que moi je n’ai pas. Et d’ailleurs une remarque d’Erick Benzi m’avait beaucoup plu : je lui avais envoyé ma version une fois finie, et il m’a reproché le côté – et je suis entièrement d’accord – trop clinique de mon interprétation. Je trouve que le mot était bien choisi, parce que c’est un peu ça. C’est trop propret, c’est trop gentil, il faut une certaine déchirure, une certaine douleur dans la voix pour la chanter. Il a écrit paroles et musique. C’est rare aussi que je reprenne des chansons… Pourquoi j’ai repris cette chanson sur l’album ? C’est parce que justement, je trouvais son interprétation magnifique, mais j’étais moins fan de la réalisation finale… J’avais travaillé sur les arrangements de ce titre – c’est un peu comme ça que j’ai découvert cette chanson – et je n’étais pas super satisfait de la réalisation finale. Lui l’est. Tant mieux d’ailleurs, parce que c’est sa version. Il l’aime comme ça. Moi, j’avais envie de la transformer légèrement, de l’adoucir. Je prends du plaisir à la chanter, mais je reconnais que c’est sa chanson et qu’il la défend bien mieux que moi.

Je dirais que ta version est désinvolte, que tu ne la vis pas, alors que lui, on sent que ça vient des tripes.

Oui, c’est une chanson qu’il ressent plus que moi. Moi, je me suis fait plaisir, sur cette chanson-là. J’avais envie de la chanter et je me suis fait plaisir. C’est un peu comme “J’écoute le dernier”, la chanson de Pierre-Olivier Berthet sur mon premier album : j’avais envie de la chanter mais il faut reconnaître que Pierre-Olivier la défendait beaucoup mieux. Donc tout ça me permet de dire aujourd’hui qu’il vaut mieux que je chante MES chansons et MES mélodies, puisque je me les approprie beaucoup mieux. Mais c’est un petit plaisir. Il faut se faire plaisir dans la vie !

Donc le nouvel album de Nérac, qui s’appelle "Le Danger", comme la chanson du même nom, a été réalisé par Erick Benzi. Erick Benzi a récemment créé ses propres Rencontres d’Astaffort en proposant des stages, collectifs et individuels, dont on peut retrouver les artistes sur le site "Label pour tous". Erick Benzi n’a plus rien à prouver à personne, ayant vendu des dizaines de millions d’albums, en tant que réalisateur, musicien ou compositeur. Que penses-tu de sa démarche ?

C’est une démarche saine. Ça veut dire qu’il n’a pas oublié ce qui fait qu’on a envie de faire ça au début. Ce n’est pas pour faire carrière, ce n’est pas pour être connu, ce n’est pas pour gagner beaucoup d’argent. En général, ce n’est pas ça : c’est le plaisir de partager de la musique, des valeurs, de rencontrer des gens. Donc monter des stages d’écriture où les budgets pour les stagiaires sont vraiment limités, où le côté financier n’est pas du tout moteur, je n’en pense que du bien. De plus, Erick Benzi s’associe à Nérac pour ça : ils sont vraiment très complémentaires tous les deux. C’est plutôt bien. Je vois ça d’un bon œil.

Comment s’est fait la rencontre entre Nérac et Erick Benzi ?

Il faudrait le leur demander, je ne sais pas. Je ne suis pas dans la confidence. [sourire]

Le quatrième auteur de cet album est Nicolas Peyrac, avec qui tu interprètes "La dernière fois" sur un texte de Véronique Chanat. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Grâce à MySpace. J’ai su très vite que Nicolas Peyrac était sur MySpace via un ami. J’ai toujours été client de ses chansons : j’aime beaucoup ce qu’il fait, son univers, sa voix. J’adore sa voix ! J’ai fait une "demande d’ami", il a accepté. Parallèlement, il est allé écouter ce que je faisais et il m’a envoyé un message me disant : "Je ne te connaissais pas, vraiment j’adore". Je doutais que ce soit Nicolas Peyrac, parce qu’il y a toujours des rigolos qui s’amusent à se faire passer pour des personnalités sur MySpace, donc je lui ai répondu : "Es-tu vraiment Nicolas Peyrac !?". Il m’a envoyé son numéro de portable, on s’est appelés. Depuis, au-delà de la rencontre artistique, c’est une vraie rencontre humaine. Je n’ai pas beaucoup de liens sur mon site, mais j’ai ajouté le sien en précisant : "C’est LA rencontre de mes dix dernières années." Et je le pense. C’est quelqu’un qui est généreux avec moi et d’une force… Il me fait profiter de sa notoriété : on a fait beaucoup de concerts, une émission de télé dernièrement. Il est vraiment présent, et on s’appelle beaucoup parce que je n’ai pas peur de dire que c’est un peu le grand frère que je n’ai pas ! Voilà, c’est un peu ça. Mon frère écoutait beaucoup Nicolas Peyrac, ça me rappelle un peu toute cette période. Il a le côté cash que j’aime bien, il n’est pas dans la mièvrerie. C’est un mec que j’aime beaucoup, il n’hésite pas à me dire ce qu’il a à me dire… et vice-versa.

Il t’a également écrit le texte de "Rendez-vous manqués", qui parle des aléas, positifs et négatifs, de la vie du chanteur en tournée. Et toi, as-tu laissé des bouts de toi au creux de chaque endroit ?

[rires] Mais de quelle phrase t’es-tu inspiré ? De quel chanteur plutôt ? Oui, bien sûr. J’ai pris ce texte parce qu’il y a la phrase "déclencheur" : "Les faux amis, les poignards dégainés". J’ai choisi de chanter ce texte parce qu’il y avait cette phrase-là. Je n’avais pas de chansons comme ça. Forcément, on a tous eu des trahisons dans la vie, qu’on digère plus ou moins bien. Moi, on ne peut pas dire que je les ai mal digérées, puisque je ne suis pas quelqu’un de rancunier. Je ne suis pas quelqu’un qui ressasse, je vais plutôt de l’avant. C’est l’avenir qui m’intéresse mais ça ne m’empêche pas d’y penser, et de regretter, de me dire : "C’est dommage que je sois tombé sur des gens qui n’aient pas été intègres". C’est ennuyeux, plus qu’autre chose. "Les rendez-vous manqués", j’ai quand même tendance à les oublier et je suis plutôt content d’être comme ça.

Le gimmick de cette chanson est "J’oublie rien". Pourquoi ne pas avoir donné ce titre à cette chanson plutôt que "Rendez-vous manqués" ?

Tout simplement parce que d’abord, c’était un peu évident et puis surtout, j’avais déjà fait "J’oublie pas" sur "A l’Ouest". "J’oublie pas", "J’oublie rien", c’était trop proche. Je trouve que "Rendez-vous manqués" collait mieux. Ça collait mieux en tout cas au propos, parce que "J’oublie rien", c’était juste dans les couplets : j’oublie rien de tous les bons moments. Ce n’était pas ça : le thème de la chanson, c’est, "Les rendez-vous manqués, je les oublie finalement". Je les ai digérés.

Que t’inspirent les carrières de chanteurs comme Nicolas Peyrac, Michel Delpech ou Maxime Le Forestier, qui ont eu un succès énorme dans les années 70, puis sont revenus de façon plus ou moins confidentielle, 15, 20 ou 30 ans plus tard, après un long passage à vide ?

Tout dépend du long passage à vide qu’ils ont connu, et je ne connais pas bien leur vie. Maintenant, je connais Nicolas Peyrac, mais je ne sais pas bien pourquoi il est resté dix ans à l’écart. Je sais qu’il est parti au Québec. Mais après, c’est leur vie privée, je ne sais pas. Je pense que ces gens-là ont un tel talent que c’est surtout lié à leurs vies personnelle et familiale qui ont dû altérer cette vie professionnelle, parce que c’est très difficile. Il faut avoir une vie plutôt solide pour tenir, parce que c’est difficile. Il faut avoir une vie saine, en tout cas un certain équilibre pour pouvoir durer. Je pense qu’ils ont dû connaître des déboires, dans différents domaines. A un moment, il a dû y avoir une cassure. Parce qu’artistiquement, il y avait aucune raison pour que ça s’arrête. Parfois, ça s’arrête aussi parce qu’artistiquement c’est moins bon, mais ce n’était pas leur cas visiblement. Pas à ces trois-là, en tout cas, je ne crois pas.

Le succès, ça doit être difficile à vivre. En tout cas, un énorme succès doit l’être.

On dit souvent que les artistes changent avec le succès, mais j’ai quand même le sentiment que ce sont les gens autour qui changent et qui sont différents. Et puis, plus de sollicitations, plus de choses vont faire qu’à un moment on cherche à se protéger et ce n’est pas toujours très bien perçu. C’est difficile. Il y a un mélange difficile. Moi, à mon stade de notoriété toute relative, je m’en rends compte déjà. Donc j’imagine quelqu’un qui a une forte célébrité. Au quotidien, il faut le gérer. Forcément c’est comme tout, on a le revers de la médaille. On ne peut pas être une star et rester anonyme, ça n’existe pas.

Beau clin d’œil ! [rires]

[rires] A garder !

Tu abordes les thèmes suivants sur ton quatrième album : l’amour extraconjugal ("Les éoliennes"), les papas divorcés ("L’épaule du général"), la solitude ("Le pharmacien de garde"), le rôle du chanteur dans la société ("Si c’est pas"), la séparation et le manque de l’autre ("Tellement"), la fin d’une relation ("La dernière fois"), la tentation de l’adultère ("Le danger"), l’utilité de notre place sur Terre ("Pourquoi"), les amours déçues ("Sans importance"). Et sinon, toi, ça va ?

[rires] C’est vrai que les thèmes abordés ne sont jamais très gais. D’ailleurs quand je suis en spectacle, je dis : "Je vais vous chanter une chanson qui s’appelle "Quarante ans", c’est la seule chanson positive de mon répertoire, profitez-en". Souvent, je dis cette formule parce que c’est vrai, mais en même temps il n’y a que Lara Fabian pour chanter des chansons où tout va bien : "Je t’aime, je t’aime, je t’aime" [rires].

Mais moi aussi je t’aime Olivier ! [rires]

[rires] Je parlais de la chanson de Lara Fabian ! Elle le fait magnifiquement bien d’ailleurs, c’est une chanson à part, c’était un petit clin d’œil. Je pense que je ne suis pas du tout un cas unique. Si on écoute les chansons de Francis Cabrel ou de plein d’autres artistes, on va très vite se rendre compte que ce n’est pas non plus la joie dans le monde. Mais ça laisse à réfléchir. Et puis souvent, les chansons, c’est le résultat de choses qui t’ont touché. Quand tout va bien, on n’a pas forcément envie d’écrire. C’est plutôt des choses qu’on remarque : des écarts de la vie, des difficultés, les gens qui se séparent autour de nous… On voit ça un peu partout, la douleur, les enfants au milieu. Tout ça me touche beaucoup et j’ai envie de le raconter à ma manière, par l’intermédiaire des auteurs évidemment, parce que je ne suis plus auteur.

Et c’est bien pour ça, en fait, que ces chansons ne sont pas autobiographiques comme celles de ton premier album.

Disons que ce n’est pas tout à fait vrai. Le premier album n’avait pas que des chansons autobiographiques. Il y en avait certaines, même celles que j’ai pu écrire. Mais finalement, sur le premier album, il y en avait aussi beaucoup qui n’étaient pas du tout autobiographiques. J’ai pris des chansons, des textes en l’occurrence, qui me plaisaient beaucoup. Je pense à des chansons comme "Univers virtuel", "Partager l’instant" : ces chansons-là n’avaient rien du tout d’autobiographiques. Même si je n’écris pas les textes, je choisis en général les thèmes, quand on m’en propose plusieurs. Et je me retrouve dans pratiquement toutes les chansons, ou en tout cas dans des situations que j’ai vues ou que des amis proches ont vécues.

Tu parles de chansons qui te touchent. Ça me fait penser à une chanson de Michel Delpech que j’adore, une chanson magnifique qui s’appelle "Les divorcés". Tu parles également des papas divorcés sur ton album. C’est une chanson qui n’était pas autobiographique quand il l’a enregistrée. Malheureusement pour lui, elle l’est devenue deux ans plus tard.

Bien sûr. Là, en plus, on touche à des sujets très larges : la séparation des gens. Je ne sais pas combien de couples ça touche.

Un sur deux.

Un sur deux. Voilà. J’ai une chance sur deux, une malchance sur deux plutôt, que la chanson à laquelle tu fais allusion, "L’épaule du général", devienne réalité.

Tu connais le secret de la paix des ménages? Olivier Gann. Non. C’est quoi ?

Deux salles de bain.

Deux salles de bain. C’est Bénabar qui disait ça : "Monsieur voulait une cave à vin. Ce sera une deuxième salle de bain". [rires]

Tu as créé une association, Musikalouest, qui te permet de distribuer tes albums ainsi que ceux d’une trentaine d’autres chanteurs. Comment choisis-tu les artistes que tu distribues ?

On est plusieurs. On est quelques personnes, dont Nérac, d’ailleurs. Nérac a fait la bio de Musikalouest. Il y a une jolie phrase qui introduit la bio de Musikalouest et qui dit, "Musikalouest n’est pas une maison de disques. C’est une maison d’artistes". C’est exactement ça. C'est une maison d’artistes. Ça ne veut pas dire que l’on va prendre tous les artistes de la terre, mais on essaie de garder une certaine couleur. Ce n'est pas de la nouvelle scène française, ce n’est pas de la variété, ce n’est pas de la chanson. C’est un mélange de tout ça. On essaie de trouver, pas des choses qui nous ressemblent, mais qu’il y ait une qualité à nos yeux. Ou plutôt, à nos oreilles. On a beaucoup de demandes, parce que les maisons de disques signent de moins en moins. Il y a aussi un facteur de temps. Il faut du temps pour s’en occuper et je ne peux pas avoir un catalogue de 2’000 artistes. Ce serait impossible à gérer. On limite aussi. On ne prend vraiment que quand on a un coup de cœur.

Mais concrètement, quelle est la démarche ? Arriver avec un produit fini ?

C’est uniquement de la distribution sur le net. On ne s’occupe que de ça. On dit aux artistes, "ça vous permet d’avoir une crédibilité", c’est-à-dire d’avoir un distributeur, même s’il n’est que sur le net. On arrive quand même à être implantés dans quelques magasins quand l’artiste tourne beaucoup. Ça donne de la crédibilité à l’artiste, et de la visibilité à Musikalouest. Plus il y a d’artistes, plus on est visibles. C’est un échange de bons procédés.

“On arrive quand même à être implantés dans quelques magasins”

Ton premier cd, un quatre titres, était produit par François Robinet, qui a également écrit "Vague à l’âme". Depuis, vous avez écrit ensemble dix-sept titres, lui aux paroles, toi à la musique. Est-ce que tu te souviens des titres de toutes les chansons ?

Oh, non ! C’est impossible !

Que comptez-vous faire de "Pour un Instant", "Coup de soleil", "Evasion", "Elle rêve", "Message confidentiel", "Confidence", "Anne", "Plus loin", "Un jour une heure", "La métamorphose", "S’offrir", "Dans mon enfance", "En dix ans tout", "Matins d’automne", "Tête de choux et cœur de vélo", "Vague à l’âme", "Lueur d’espoir" ?

Ce que je compte en faire ? Rien du tout.

Mais ces chansons existent. Elles ont été déposées, enregistrées…

Elles ont été maquettées, on va dire. C’étaient les chansons que j’ai commencées. J’ai dû commencer la toute première quand j’avais 15 ans. Ça m’a peut-être pris quatre ans, cinq ans pour composer et enregistrer ces chansons. Je ne sais plus exactement. Mais c’étaient les toutes premières chansons. Je crois savoir, sans dévoiler quoi que ce soit, que Francis Cabrel, avant de garder ses premières chansons, en a enlevé une bonne quarantaine. Et les quarante premières, n’étant pas content de lui, il ne les a jamais utilisées. Il ne les a jamais chantées. Je ne suis pas sûr de ça, mais je l’ai entendu dire. Moi, en tout cas, c’est mon cas. Je n’en ai pas beaucoup finalement. J’ai fait peu d’essais : dix-sept chansons, une vingtaine à tout casser. Ce sont des chansons qui pour moi étaient plus des essais, des tests. Ne sachant pas si j’allais les exploiter, elles ont été déposées. C’est le cas de plein d’artistes. Certains mêmes ne les exploitent jamais. Ils les protègent en se disant que, peut-être un jour un chanteur va les chanter, ou que ce sera sur un disque et là, c’est bien de les protéger. On ne sait jamais.

Dans ces chansons, il n’y en a pas que tu aimerais retravailler, ou utiliser ?

Non, aucune.

Il y a un chanteur qu’on aime bien tous les deux, qui a commencé sa carrière avec une voix plutôt haut perchée. Même s’il ne chante plus beaucoup aujourd’hui, sa tessiture a baissé au fil des années. En réécoutant tes premières chansons, je me suis fait la réflexion que c’était l’inverse, en ce qui te concerne.

Olivier Gann [étonné] : Ah ?

As-tu conscience que tu chantes plus haut depuis ton deuxième album, et, le cas échéant, existe-t-il une raison particulière à cela ?

Non. C'est surprenant, parce que plusieurs personnes me l'ont dit, notamment des radios. Le dernier single est bien rentré en radio et ça fait plutôt plaisir. C'est ce qu'on m'a dit et je ne m'en suis pas rendu compte du tout. Je l'ai fait naturellement. Je n'ai pas le sentiment de chanter plus haut qu'avant. Loin de là d'ailleurs. J'ai plutôt l'impression d'avoir descendu certaines chansons. Je dois me tromper, parce que plusieurs personnes me l'ont dit. Ça se fait naturellement: les mélodies sont arrivées comme ça, dans la tonalité comme ça. C'est un constat, mais je n'ai pas ce sentiment-là. Ce n'était pas un calcul de ma part.

Lors de notre premier entretien, nous avions parlé de Jean-Jacques Goldman et de Francis Cabrel. Pour le deuxième entretien, nous avons parlé de Bénabar et De Palmas. Pour le troisième entretien, nous avons parlé de Bénabar et de Manu Servé. Depuis 2007, depuis notre dernier entretien, qui a pu te marquer dans la grande famille de la chanson française ? Renan Luce ? Clarika ? Julien Déniel ? Pauline ?

Alors j'ai bien aimé quelques titres de Pauline, le côté pop-rock qu'on n’entend plus beaucoup, ce petit air de Zazie que j'aime bien. Clarika : j'ai eu l'occasion de la voir sur scène entre les deux. J'aime beaucoup son univers, même si je n'aime pas tout. J'aime bien cette ambiance. Ce que j'aime, c'est que c’est à l'inverse, à l'opposé de ce que je fais sur scène. Elle est capable de ne pas sourire de la soirée, ou très peu, et d'embarquer les gens là où elle veut. Moi, à tort ou peut-être parce que j’ai besoin d'en faire trop, je ne peux pas m'empêcher de faire le pitre. C'est une manière de rajouter presque des sketchs dans mes chansons. Elle, elle fait des sketchs mais toujours pince-sans-rire. J'aurais aimé être comme ça et je sais que ce n'est pas mon tempérament. Donc j'aime beaucoup Clarika pour ça. Puis là, il y a un nouveau que j'aime vraiment beaucoup. Je ne sais pas s'il est sorti encore. Sur MyMajorCompany, il s'appelle Dumè. Dominique Mattei de son vrai nom, qui était un compositeur pour Hallyday et d'autres artistes. Il vient de sortir, là, maintenant. J'ai entendu son premier single et j'ai écouté les autres titres. Il me plait beaucoup. C'est un univers que j'aime bien.

“Je ne peux pas m'empêcher de faire le pitre”

Je sais que tu chantes du Renan Luce quand tu fais des concerts de reprise. C'est un des rares auteurs-compositeurs-interprètes qui défend ses chansons de A à Z. Qu'est-ce que tu penses de lui ?

Plutôt du bien. Je suis très partagé avec Renan Luce. Il y a des chansons que j'aime beaucoup et d'autres qui, je trouve, s'adressent à un public plus jeune. Je pense que je dois être aujourd'hui trop vieux pour ça. A partir du moment où un artiste a un vrai univers, a de vraies chansons, a une voix, une personnalité, que c'est bien écrit, qu'il a une écriture bien à lui, bien particulière, je ne peux qu'approuver.

C'est une bête de scène aussi.

Je n'ai pas eu l'occasion de le voir. Ça me donne envie d'y aller.

Tu viens de parler de Dumè. Que penses-tu de MyMajorCompany, qui permet aux internautes de produire des artistes, comme Grégoire, pour citer le plus connu ?

Je trouve que c'est très bien pour plein de raisons. D'abord, c'est très intelligent. Les maisons de disques comme elles ont existé par le passé, ça devient de plus en plus difficile : trouver le financement, l'investissement du point de départ pour qu’un artiste marche pour en produire dix autres. C'était un peu ça la politique. Aujourd’hui, les disques se vendent beaucoup moins. Donc je trouve ça très intelligent de commencer par le point de départ qu'est le public. On revient un petit peu à la même chose - sauf que là ça se fait par le net - que dans le temps où il n'y avait pas de disques, où les gens étaient connus par la scène. Ils faisaient d'abord de la scène, ils remplissaient les salles et accessoirement, ils faisaient un album. Donc je trouve ça plus simple. Je ne connais pas bien le fonctionnement. Je trouve ça plus sain. Ça permet d'impliquer les gens aussi. Après, impliquer, les gens sur tout ce qui est production, réalisation, commercialisation, les pochettes, là je pense que c'est réservé plus à un travail de professionnels. Si chacun met son grain de sel, sur 1’000 personnes, il y aura 1’000 avis différents. C'est bien de laisser les professionnels travailler. Par contre, que le public participe et aide au développement d'un artiste, je vois ça d'un bon œil.

Ceci dit, en tant que producteur de Grégoire, on m'a demandé mon avis concernant le choix des singles, concernant les arrangements. On tient vraiment compte des avis des producteurs.

Le choix du single, c'est bien. C'est toujours un casse-tête. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de maisons de disques qui se sont trompées, d'artistes aussi qui se trompent en disant, c'est le single qu'il faut. Demander aux gens le choix du single, c'est bien. Après, l'intérieur d'une chanson, je suis un plus sceptique. Mais pourquoi pas. C'est peut-être parce que moi, je travaille beaucoup tout seul. La collaboration pour une musique ne me convient pas. J'ai essayé de co-écrire des musiques, ça a toujours été un échec. Ça ne fonctionne pas. Je suis solitaire dans l'écriture et la composition. Mais ça ne veut pas dire que j'ai raison.

Précisément, pour "Toi+Moi", MyMajorCompany nous avait demandé s'il fallait commencer directement par la partie chantée, ou garder les huit notes d’introduction au piano. Les avis étaient unanimes sur le fait qu'il fallait laisser le piano, parce qu'en quatre notes, on reconnaît la chanson.

Oui, c'est vrai, mais en même temps, ça reste un détail. Dans le jargon, ça s'appelle le klaxon. C'est ce qui démarre, ce qui va interloquer. Démarrer avec la piano, hors tempo, comme ça, c'est plutôt bien vu. Demander aux gens comme ça, c'est bien. Je pense que c'est plutôt aussi la politique. En intéressant les gens, forcément on se sent impliqué. C'est dans le sens où je dis que c'est très intelligent. C'est bien vu.

Plus largement, comment vois-tu l’avenir de l’industrie du disque, toi qui gagnes plus d’argent en autoproduisant tes albums que quand tu étais sous contrat avec Sony ?

Je ne sais pas si tout le monde peut faire comme moi, mais je les encourage un peu. Je les encourage [rires], mais en même temps, il faut beaucoup tourner. Si on autoproduit son album et que l'on reste chez soi, on a peu de chance de gagner des sous. Mais si un artiste tourne beaucoup, il a autant intérêt à faire ses disques lui-même, d'autant que maintenant les coûts de production ont sensiblement diminué. Et puis c'est aussi en fonction de la musique qu'on fait. Si on est très mode, qu'on est susceptible de passer sur NRJ, il faut peut-être y réfléchir à deux fois. Comme je fais de la musique qui ne révolutionne pas du tout la chanson française, c'est plus judicieux de produire mes albums et de les vendre comme je le fais, effectivement.

Allez, à toi de travailler un peu. Est-ce que tu peux me faire une explication de texte de chacun des titres de ton album ? "Les éoliennes".

L'explication de texte sur "Les éoliennes". C'est un amour impossible. C'est l'amour impossible.

Pour moi, "Les éoliennes" c'est plus que l'amour impossible. Pour moi, c'est l'amour adultérin. C'est l'amour extraconjugal.

Oui. Pour moi, ça va plus loin que ça. Elle a été écrite d'une manière légère. La mélodie est légère. On en fait toujours un fromage. C'est une douleur. Ça peut l'être d'ailleurs. Ça peut être extrêmement douloureux. Mais là, c'est l'histoire de deux personnes qui s'aiment et qui ne sont pas ensemble, qui ont pris le parti de se dire, "après tout, c'est la fatalité. C'est comme ça. On n'est pas sûr de quitter nos vies. Mais on est bien ensemble. On va en profiter. Peut-être qu'un jour il se passera quelque chose mais c'est aussi peu probable qu'une éolienne qui s'envole".

"L'épaule du général".

Alors là, c'est une histoire que je n'ai pas vécue, puisque ça raconte un père qui est séparé de sa femme, et qui attend son fils dans un jardin d'enfants. Je n'ai pas vécu ça. J'espère ne jamais le vivre, honnêtement. Il attend et l'enfant ne vient pas. La seule chose à laquelle il peut se raccrocher, c'est de voir son gamin tous les 15 jours. Ça raconte cette histoire-là, cette mélancolie. Je voulais une chanson un peu blues, avec des connotations blues, sur l'album. Je suis content de l'avoir trouvée. Bien que j’adore le blues, j’ai du mal à composer des musiques un peu blues.

"Le pharmacien de garde".

Là, c'est du pur Nérac. Il avait ce texte-là. On n'a pas changé une virgule. On n'a pas changé un mot. Il m'avait même donné plus de texte que je ne pouvais chanter. Ça, c'est du Nérac. J'étais très sceptique au début. Je ne pensais pas la chanter. Je n'étais pas content de ma mélodie. Et c'est lui qui m'a convaincu : "Mais non, c'est super".

"Si c'est pas".

"Si c'est pas", alors là, c'est un choix délibéré. J'ai fait retravailler Véronique Chanat. C'est un choix délibéré de chanter ça en disant, "c'est toutes les raisons pour lesquelles on chante, pour lesquelles je chante". C'est les raisons pour lesquelles je fais ça. C'est aussi simple que ça. Alors à chaque fois, c'est pour changer le monde, pour tout ça. Mais finalement c'est tout l'inverse. C'est des futilités, des banalités: pour donner un peu de joie, être bien, partager ce moment-là, comme le concert chez toi hier.

Véronique Chanat n'est pas interprète ?

Pas du tout.

Donc ce texte-là, ça parle du chanteur dans la société.

Oui, c'était ça. Véronique Chanat, je ne pense pas qu’elle chante. Je ne l'ai jamais entendu chanter. Elle peut peut-être chantonner ? En tout cas, c’est quelqu’un qui observe énormément, le peu que je m’en souviens, car cela fait une dizaine d’années que je ne l’ai pas vue, voire plus. Je n’ai pas vu Véronique Chanat depuis les rencontres d’Astaffort. Je l’ai peut-être revue une autre fois, deux ans après, et encore, je n’en suis pas sûr. On ne communique que par téléphone. On se contacte très peu. C’est une fille très discrète, très mystérieuse, c’est un vrai personnage.

Comment a-t-elle été amenée à participer aux rencontres d’Astaffort ?

Elle a envoyé ses textes, elle a été reçue, on s’est rencontrés là-bas. Elle m’a donné tout un tas de textes qu’elle avait, et je n’ai rien fait avec pendant au moins trois ans.

“Tellement”.

“Tellement”, c’est une chanson de Nérac. Je trouve que “Tellement” traduit bien le manque d’une personne. Il y a beaucoup de métaphores avec la voiture et ça m’a tout de suite parlé, parce que je roule énormément pour les concerts, je suis toujours en voiture. Quand on rentre, c’est le meilleur moment de la journée, parce que le concert est passé - en général bien - et c’est tant mieux. On a une espèce d’apaisement, mais ressurgissent par contre les personnes qui nous manquent. Cette chanson-là, Nérac devrait la reprendre d’ailleurs dans son prochain album.

“Devrait” dans le sens où il va le faire ?

C’est ce qu’il m’a dit. Il l’a chantée à son dernier concert, un festival de chansons françaises en Haute-Maurienne où il était invité. Je l’ai accompagné à la guitare, et il m’a dit qu’il va la mettre dans son répertoire, et en tout cas sur un prochain album. J’en serais très content.

J’ai beaucoup ré-écouté tes albums ces dernières semaines et je me suis fait la réflexion qu’il y avait une forte filiation entre “Comment je vais”, “J’oublie pas” et “Tellement”, même si ce sont des aspects différents du manque de l’autre.

il y a deux chansons qui traitent pratiquement du même sujet, mais pas de la même personne, mais “Tellement” s’adresse plus à un manque amoureux. C’est un peu différent. Pour “Tellement” ça peut être plus temporaire, mais en même temps, quand quelqu’un vous manque vraiment, si vous ne la revoyez plus, le manque est permanent. Comme je le dis dans une de mes chansons, “Le temps fait des dégâts”. Je ne pense pas que ce soit le manque qui change, mais je pense qu’on l’apprivoise.

“Billet vert”.

Chanson légère, pas prise de tête. C’est une chanson qui me fait marrer. Ce qui me fait marrer, ce sont les personnes qui la prennent au premier degré, qui doivent vraiment être comme ça. Il y a des femmes qui n’aiment pas tellement, je le vois en concert, elles ne sont pas contentes. C’est qu’il doit y avoir une part de vrai. Ça me fait sourire. Pour moi, la parité hommes / femmes, c’est vraiment important. Je ne supporterais pas de vivre avec quelqu’un qui soit en permanence dépendant. Je prône énormément l’indépendance des femmes, même si certaines femmes aiment être dépendantes. Il n’y a pas de règles, il y a des hommes aussi qui aiment être à la maison, dépendants. Chacun vit comme il a envie de vivre. Le modèle que j’ai à la maison, avec une certaine indépendance, me convient parfaitement.

Il y a des gens dont le modèle de réussite, c’est que leur femme n’ait pas besoin de travailler.

Ça, pour moi, c’est la connerie suprême. Si la réussite pour certains c’est ça… La réussite c’est d’être heureux. Si on n’a pas compris ça, on doit être très malheureux.

“La dernière fois”.

J’adore cette chanson. D’abord, parce que Nicolas Peyrac la chante en duo avec moi, ce qui n’était pas du tout prévu. Je le lui ai demandé par hasard lors d’un repas à la maison. Il est venu la faire dans le studio, on a gardé une seule prise. C’était un beau cadeau et ça traduit bien ce moment-là, “La dernière fois”, quand on déménage d’une maison et qu’on ferme la porte à clé, qu’on ne remettra plus les pieds là. La dernière fois qu’on croise quelqu’un. Je trouve que c’est très bien écrit. C’est encore une fois un texte de Véronique Chanat que j’avais dans un tiroir depuis 15 ans et j’étais passé à côté.

“La dernière fois”, ça peut être plus définitif. Un chanteur qu’on aime bien avait dit un jour que vieillir, c’est faire peu à peu des choses pour la dernière fois. Est ce qu’on peut se rendre compte qu’on fait l’amour pour la dernière fois ?

Elle n’est pas si triste que ça cette chanson, car la dernière fois, ça peut être beau aussi. On sait qu’on a vécu quelque chose, on sait qu’il s’est passé plein de choses. C’est bien aussi, la fin d’un cycle, parce que ça veut dire qu’il y a un nouveau cycle qui arrive. Quand on sait que c’est la dernière fois, ce n’est pas non plus la fin du monde, puisque toute chose a forcément une fin.

Si on prend le cas d’un déménagement, il y a un pincement au cœur. Mais la dernière fois où on va faire du vélo, où on va faire l’amour, la dernière fois où on va partir en voyage, c’est quelque chose d’absolu et de tragique, d’autant plus que généralement, on ne le sait pas, à ce moment-là.

C’est pour ça que dans la chanson, on dit, “quand on sait que c’est la dernière fois”. Certaines fois, on ne le sait pas, mais quand on sent que c’est la dernière fois de quelque chose, on se dit, “voilà, c’est fini”.

“Rendez-vous manqués”.

C’est la phrase qui m’avait bien plu, les rendez-vous manqués dans la vie, que j’ai tendance à oublier.

“Pourquoi”.

C’est une petite chanson existentielle, je dois vieillir [rires].

Si on la prend au premier degré, elle est assez terrible !

Je ne la trouve pas noire cette chanson, parce que c’est une chanson sans prétention. Ça me correspond bien. Je ne suis pas d’une nature très croyante, je ne me pose pas ces questions-là. C’est juste au travers d’une chanson : “Pourquoi ça commence ? Pourquoi ça finit ? Qu’est ce qu’on fait là ? A quoi ça sert ?”. On peut se poser toutes les questions du monde. C’est une chanson qui pose plein de questions dont je pense que personne n’a les réponses et je n’ai surtout pas envie d’en donner. Donner des réponses à ça, ça touche au charlatanisme. Et ça m’énerve.

Si elle avait été chantée par Vincent Delerm, on aurait pu s’attendre à quoi?

[rires] Lui y aurait mis beaucoup de second degré, il est très fort pour ça. Il a un sens du second degré, comme Vincent Baguian. Ce sont des gens qui écrivent de manière admirable. Là, on n’est pas du tout dans ce cas de figure là.

“Le Diable au détail”.

Ça arrive à tout le monde. On est bien, tranquille chez soi, on essaie de se préserver et puis ressurgit une ancienne connaissance qui vient bousculer l’ordre établi. On est donc partagé entre tentation et vouloir à tout prix se préserver.

Je n’étais pas sûr de l’interprétation de la chanson. J’hésitais sur le fait que ce soit un couple qui commence à vivre ensemble en devant faire des concessions l’un envers l’autre, mais je n’étais pas certain.

Non, c’est un couple qui vit ensemble, qui refait sa cuisine, qui bricole, qui range tout, qui est bien et puis son ancien amour dont il avait réussi à se défaire revient, et bien qu’il ne soit pas du tout dans cet esprit là, ça le taraude quand même.

“Sans importance”.

Encore une fois, c’est la chanson du manque. Ce qui me plait bien dans cette chanson, c’est que le refrain dit toujours que c’est pas important, c’est pas grave, alors que tout est grave. [rires] Je me rappelle un ami dont un proche avait disparu. Une semaine après, on s’était appelés, je lui avais demandé, “ça va ?” il m’avait dit “oui” et spontanément j’avais répondu, “bien sûr que ça ne va pas”. Le “ça va” voulait dire “ça ne va pas”. C’est un peu ça dans la chanson. Quand on dit parfois “c’est pas grave”, si, ça l’est, car pour la personne, c’est difficile.

Tu as remarqué que je t’ai posé des questions sur les textes des chansons et par sur les musiques. Ça peut se comprendre parce que je ne suis pas, à mon grand regret, musicien, donc pas en mesure de te poser ces questions là, mais toi, en tant que compositeur, ne trouves-tu pas cela frustrant, quand on te parle de chansons - même si la façon dont on ressent une chanson, c’est à travers la musique au départ - que finalement, ce que retiennent les gens, ce sont les textes.

Non, pas du tout, c’est même une reconnaissance, parce que ces textes là, je ne les ai pas écrits. Je ne m’engage jamais. Je pense que, vus les textes qu’on m’envoie, je vais en faire de moins en moins.

Ça fait dix ans que tu me dis ça ! [rires]

C’est vrai, c’est vrai, mais je n’ai pas changé mon fusil d’épaule ! Depuis dix ans, je n’ai pas refait de textes. Ça veut dire que j’ai choisi de bons textes. Après, la musique, c’est pour servir le texte. Un texte n’a pas besoin de musique. Mais une musique sans texte, ça tomberait à l’eau. Ça prouve bien l’importance du texte, c’est vital. Le texte, c’est ce qui fait que le public adhère au chanteur.

Tu n’aurais pas envie, parfois, de faire partager ton enthousiasme d’avoir trouvé un gimmick particulier ou une suite d’accords originale ?

Non, il n’y a même pas besoin d’en parler, c’est un climat. Les gens écoutent, ils entrent dans l’univers ou pas, mais quand ils y entrent, c’est aussi grâce à ce fameux gimmick, à cette tournerie de batterie, à cette mélodie, à cette manière de chanter…. Les gens qui viennent me voir en concert, me parlent des disques, m’écrivent en me disant qu’ils ont été touchés par une chanson. Et puis même si je ne les écris pas, il y a beaucoup plus d’idées personnelles qu’on ne le croit. Les textes que je chante, je les vis.

Je vais te poser la question différemment. Quand tu parles de tes chansons avec d’autres musiciens ou d’autres artistes, est-ce que vous parlez des musiques plus que des chansons ?

Avec les musiciens, oui. Car le musicien en général se fout des textes. [rires] Il va plutôt se concentrer sur sa partie. Le batteur sur sa partie de batterie, et ainsi de suite. C’est vraiment le public qui n’est pas musicien qui va s’intéresser à la globalité de la chanson, et c’est ça qui m’intéresse. Ensuite, il faut quand même travailler avec de bons musiciens, car la personne lambda ne saura pas si c’est bien joué ou mal joué, mais se rendra compte si c’est bien ou pas bien. Il faut mettre tous les atouts de son côté, et travailler avec les meilleurs.

Quand tu parles de tes chansons avec Erick Benzi, par exemple, j’imagine qu’il te fait ses commentaires en tant que musicien et réalisateur.

Erick Benzi, c’est plus que ça. D’abord il fait du coach vocal, il fait beaucoup de choses. Il n’est pas seulement musicien, réalisateur et arrangeur. Ce qui est intéressant avec lui, c’est qu’il va donner un avis technique mais aussi généraliste, et ça c’est super et c’est très rare. Il a une qualité d’écoute détaillée, c’est très intéressant. Il peut à la fois critiquer la manière de chanter, la partie instrumentale dans le moindre détail (coups de charley, de cymbale…). Il donne un avis qui est le sien et c’est toujours bienvenu. Il a une oreille affinée.

Tu parles de “coach”. Pour faire une métaphore sportive, c’est donc quelqu’un qui permet aux artistes d’aller plus loin, comme un coach peut changer la vie d’un tennisman ou d’un footballeur parce qu’il arrive à tirer le meilleur d’eux-mêmes en les faisant aller plus loin ?

Oui, c’est ça. Il va faire des défauts de l’artiste des qualités. Ce qui est difficile en tant que chanteur, c’est de s’assumer. On cherche tous à être quelqu’un d’autre. Quand on a réussi à s’assumer et à être vraiment soi-même, on passe sa vie à se changer, alors qu’Erick amène les artistes à leur propre personnalité, quitte à ce qu’ils soient moins bien que ce qu’ils pourraient faire s’ils se transformaient. Erick travaille l’authenticité des artistes, des musiciens, et il touche à tout, entre la composition, la réalisation, les arrangements et l’interprétation. Ça fait un sacré domaine d’intervention.

Ce soir c’est ta dernière date de tournée après 40 concerts en moins de deux mois, que vas-tu faire ensuite ?

Des vacances ! [rires] Du bateau. J’ai deux passions, ce sont la musique et la voile. Et je vais profiter un peu de ma famille parce que je n’ai pas été beaucoup là. Je vais bricoler sur le vieux gréement et me la couler douce.

Que peut-on te souhaiter maintenant ?

Que ça dure encore. Je pense que je dis ça depuis dix ans. Je n’aspire à rien de plus que ce que j’ai.

 

Site officiel d'Olivier Gann : www.oliviergann.com

Artistes cités au cours de l'entretien :

Artistes Musikalouest cités au cours de l'entretien :

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