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Pierre Goldman : "On n'est jamais vieux puisqu'on est toujours assez jeune pour mourir"
Libération, 21 septembre 1979
Article de Régis Debray
Retranscription de Muriel Bruguier

Un entretien inédit réalisé après sa sortie de prison.

Pierre Goldman entretenait avec les médias des rapports réservés, inquiets. Il écrivait souvent dans Libération mais répugnait à se faire interviewer. Lors de la sortie de son second livre, "L'ordinaire mésaventure d'Archibald Rapoport", il n'avait accordé qu'un entretien au quotidien Rouge avant de filer aux Antilles pour ne pas avoir à refuser les sollicitations des journalistes littéraires.

L'entretien qu'on lira ci-dessous est donc un document exceptionnel. D'autant plus qu'il fut réalisé à l'automne 1976, peu après la sortie de prison de Pierre Goldman. Celui-ci n'avait accordé après sa libération qu'une interview à Rouge, par "fidélité politique" et en précisant qu'il n'adhérait pas pour autant aux positions de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Régis Debray, qui préparait alors le lancement d'un mensuel (Ça ira), avait réalisé un autre entretien avec Pierre Goldman, sous le titre "Je rentre dans l'ombre". Dans ce long texte resté inédit, puisque le magazine ne devait jamais paraître, Pierre Goldman s'explique sur son procès, sa détention, sa libération, et sur le statut d'écrivain qu'il avait acquis entre les murs d'une cellule.

A vingt ans, tu envisageais de faire de la prison ?
Quand j'ai adhéré aux Jeunesses Communistes à l'âge de quinze ans, j'ai toujours pensé qu'un jour, peut-être, je serais emprisonné. Ou tué. Pour des activités politiques. Je considère en effet la révolution comme une chose sérieuse même s'il m'arrive de na pas être sérieux dans d'autres domaines. Je ne pensais pas être emprisonné pour des faits de droit commun. Ceci dit, j'ai toujours pensé qu'un jour je serais accusé d'un crime terrible que je n'aurais pas commis. Je l'ai pensé ou je l'ai désiré. A ce niveau, pensée et désir ne font qu'une seule et même chose. (…) Je me suis toujours battu pour qu'on ne fasse pas une théorie politique de mon expérience personnelle. J'ai toujours refusé d'être mythifié.

As-tu tenté à un moment donné de justifier politiquement ta délinquance ?
Ma délinquance, il faudrait d'ailleurs l'appeler criminalité au sens strict du code pénal (j'entends par "crime" une infraction qui relève des Assises et non pas "meurtre", comme le dit le sens commun). J'ai pensé et vécu ma criminalité sur un mode politique dans la mesure où j'ai tenté de résoudre dans le banditisme des problèmes politiques. Dans la mesure où il y avait dans mes actes de brigandage quelque chose qui en atténuait le caractère "droit commun" : j'effectuais mes actions frauduleuses en compagnie de complices, ou plutôt de coéquipiers noirs.

Etait-ce suffisant ? Est-ce que toute action illégale commise par un noir est un acte de rébellion ?
Là, il y a deux choses. Je pense effectivement qu'un acte de violence illégale commis par un colonisé est toujours chargé de signification politique, quand bien même cette signification est occultée à son propre auteur. Ça, c'est un point. Le deuxième point, c'est qu'à l'époque où j'ai commis ces hold-up, j'étais extrêmement intéressé, inquiété, fasciné par la problématique politique du mouvement "Black Panthers" et "Black Power". J'avais été amené à considérer qu'il n'était pas possible, par la force des choses, qu'une relation de fraternité authentique puisse s'établir entre un noir et un blanc. Je pensais que le blanc était toujours enfermé dans… dans sa blancheur en quelque sorte. Mais je donne à ce mot un contenu culturel, politique, historique. J'ai eu cette idée que, finalement, le seul moyen pour que cette fraternité s'établisse, c'était de commettre une action criminelle en compagnie d'un noir. Il y avait dans le mouvement "Black Panthers" tout un débat sur le lumpen comme élément de rébellion politique. Evidemment en France, c'était tout à fait abstrait et absurde. Disons que je me suis donné le plaisir douloureux d'avoir des relations privilégiées avec des noirs dans le cadre d'une action violente, c'est-dire un vol à main armée et qu'il m'a semblé que j'avais été dans ce domaine, au bout de quelque chose d'important, même si je me trompais. (…).

Tu étais là, à Fresnes, quand Buffet et Bontemps ont été exécutés ?
Oui, j'étais là. Et je me souviens toujours de ce mardi 28 novembre. On l'a su au réveil. Il y avait une espèce de silence naturel qui régnait sur la prison. Bien que Buffet et Bontemps aient été exécutés à la Santé. Mais Buffet, je l'ai connu à Fresnes. Quand j'y suis arrivé, il était à quatre ou cinq cellules de moi.

Il savait ce qui l'attendait ?
Je crois que personne ne peut dire que Buffet savait qu'il serait exécuté et je crois surtout que personne ne peut dire si Buffet désirait ou non être exécuté. Lui-même ne le savait pas.

Tu es contre la peine de mort ?
Absolument. En matière de droit commun. Je pense par contre que son application est inévitable dans certaines conditions historiques, en matière politique, quand la politique est la continuation de la guerre par d'autres moyens. (…).

Quelle a été ta plus grande douleur en prison ?
Ma plus grande douleur en prison, je ne peux pas en parler.

Et les petites ?
A part cette douleur, la plus grande a été d'être condamné à la prison criminelle à perpétuité pour un acte que je n'avais pas commis. Mais c'est une douleur que je n'ai pas ressentie sur le champ. Je l'ai comprise un jour après. Mais sur le moment, j'ai vécu ça sur le mode du plaisir qu'on éprouve à la tragédie.

Tu y assistais un peu en spectateur ?
En spectateur et en acteur. J'étais inséré dans la pure tragédie théâtrale de la scène judiciaire qui est d'éprouver un certain plaisir esthétique ou métaphysique à des choses en fait insupportables qu'on regarde avec sérénité comme des embellissements théâtraux ou littéraires.

Entre les deux procès tu as écrit ce livre. Pourquoi ne pas l'avoir écrit avant le premier procès ?
Je n'ai pas écrit ce livre avant le premier procès parce qu'un jour je m'étais dit, pratiquement juré, que jamais je n'écrirais. Et j'ai écrit ce livre, pas du tout pour devenir un "grand écrivain". J'ai écrit ce livre parce qu'il y a eu un moment très précis où je me suis dit : c'est fini. Le verdict ne sera pas cassé, je resterai condamné à la réclusion à vie et je ferai entre dix-huit et vingt ans de prison. Je ne supportais pas l'idée de faire ces années de prison et j'ai voulu. J'ai voulu faire reconnaître mon innocence parce que, pour moi, c'était le problème principal, qui l'emporterait sur mon désir de liberté, qui l'a toujours emporté sur mon désir de liberté. J'ai voulu faire du mal à ceux qui m'avaient, crapuleusement à mon avis, condamné. Je me suis dit que le seul moyen de leur faire du mal, c'était de reprendre en quelque sorte, mes armes naturelles d'intellectuel, parce que je suis aussi un intellectuel, bien que je ne sois pas seulement cela, et que la France, le pays de l'idée (c'est pas moi qui dit ça), c'est aussi un pays où l'écriture jouit d'un statut exceptionnel. J'ai pensé que le seul moyen, à la fois de faire du mal et de me libérer, c'était d'écrire. Alors j'ai écrit. J'ai écrit ce livre et j'ai été écrit par ce livre. Il a jailli de moi ; je ne veux pas dire : il a jailli de moi comme un cri parce que ça, c'est une formule triviale, mais il y a quand même eu un bouillonnement, il a coulé de moi. (…).

Est-ce que tu penses que la justice a été indulgente, sévère, ou simplement juste avec toi ?
Dans la mesure où elle m'a acquitté de ce que je n'ai pas fait, elle a été vraiment juste. Et c'est le seul moment où on peut dire de la justice qu'elle a été juste. Pour le reste, la justice, elle est judiciaire, elle n'est ni juste ni injuste. Elle n'a pas été indulgente pour moi, ça c'est faux. J'ai commis trois hold-up. Le tarif à Paris, c'est entre huit et douze ans. Il suffit de consulter les statistiques.

Si tu n'avais pas écrit le livre, crois-tu que tu aurais été absous, à Amiens, du chef d'accusation principal ?
Non. Je crois que si je n'avais pas écrit ce livre, le verdict n'aurait pas été cassé. Et si par hasard, le verdict avait été cassé, j'aurais été condamné à nouveau. (…).

Comment expliques-tu ta mise en liberté conditionnelle ?
Là, il y trois choses. D'abord, il y a une loi. Tout condamné qui n'est pas récidiviste légal peut bénéficier de la libération conditionnelle à mi-peine. Moi, je n'ai pas été libéré à mi-peine, c'est faux. J'ai été condamné à douze ans de réclusion mais j'avais dix ans à faire car j'avais une réduction de peine de deux ans. J'ai donc fait six ans et demi sur dix ans. Pourquoi cette réduction de peine ? D'abord pour mes examens, et ce n'est pas un cadeau. J'ai eu ensuite un autre type de grâce, une grâce administrative de onze mois quasiment automatique depuis 72. Tous les ans, chaque prisonnier à droit à trois mois de grâce s'il fait preuve de bonne conduite : s'il n'est pas allé trop souvent au mitard. Au mitard, j'y ai été une fois au début parce que je possédais un poste de radio, et je suis passé je ne sais combien de fois au prétoire, y compris le jour où je comparaissais devant la commission de libération conditionnelle, parce qu'on m'avait accusé d'avoir filé un coup de couteau à un détenu. En somme, je n'ai eu ni plus ni moins d'histoires qu'un autre détenu ! Et enfin, comme peut-être des centaines de prisonniers, pour bonne conduite pendant les émeutes de 74. (…).

Et maintenant, qu'est-ce qui va se passer pour toi ? Comment vas-tu vivre ?
Il va se passer que, bon, j'ai peu d'argent qui me vient de ce livre qui est aussi un objet mercantile comme tous les livres et que je prépare un autre livre. Je me suis résigné à l'idée d'être un écrivain et de vivre de mon travail d'écrivain, ce qui ne veut pas dire que je vivrai de ma plume, car je ne sais pas si mes livres rapporteront ou non de l'argent ; l'expression est scandaleuse en soi, mais c'est comme ça que cela se présente dans ma vie et dans cette société. Pour l'instant, j'envisage surtout de me retirer en quelque sorte, de me reposer. (…).

Tu te résignes à n'être qu'un écrivain ?
Non, bien sûr, je ne m'y résoudrai jamais. Je ne suis pas un écrivain ; à supposer d'ailleurs que je sois un écrivain, quoi qu'on dise, mais la vérité, c'est que je ne me résoudrai jamais à n'être que quelque chose de précis. Disons que je ne me résoudrai jamais à la simplicité et à l'unicité.

Ne pas être ce qu'on est et être ce qu'on n'est pas, c'est un peu sartrien, non ?
Je ne suis plus sartrien, mais si tous les gens étaient comme je suis, l'Être et le Néant serait un ouvrage scientifique.

En dehors de la culture, qu'est-ce qu'il y a pour toi, maintenant ?
Ma vie personnelle mais je n'en parle pas. Y a la politique, y a l'histoire, y a la révolution, y a la beauté des choses, y a la volupté de certaines musiques.

Quel âge as-tu ?
Trente deux ans. Dans huit ans, j'aurai quarante ans. En même temps, on n'est jamais vieux parce qu'on est toujours assez jeune pour mourir.

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