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La preuve par les tueurs
Libération, 21 septembre 1979
Article de Marc Kravetz
Retranscription de Muriel Bruguier

Qui a tué Pierre Goldman ? Nous le saurons peut-être un jour. Mais nous savons déjà de quoi il est mort. Tant de haine accumulée, malgré les années, cela suffit à tuer un homme. Le reste est affaire de patience et la patience des tueurs est inépuisable. Policiers, para policiers, obsédés de la légitime défense ou sinistres vengeurs de la France profonde, fascistes de vocation ou de conviction, si l'identité est inconnue, leurs motivations ne sont pas mystérieuses.

Lors des deux procès en assises, à Paris puis à Amiens, de Pierre Goldman, un certain Me Garraud, qui plaidait en partie civile pour le brigadier Gérard Quinet - le policier blessé lors de l'agression de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir - avait à sa manière annoncé la couleur. Si vous innocentez Goldman, assurait-il en substance aux jurés de la Somme, d'autres se chargeront de faire justice. Propos d'avocaillon médiocre, certes, mais aussi bon reflet d'une certaine France.

Coupable ou pas, il fallait qu'il paie. Qu'il paie pour les incendiaires de voitures de 1968, quand bien même Goldman n'eut pas l'occasion de participer aux évènements de Mai, qu'il paie pour le terrorisme politique, quand bien même ce qu'on lui reprochait n'avait strictement rien à voir avec une cause quelconque, qu'il paie pour la drogue, pour les tumultes lycéens, pour les nouveaux délinquants et pour le sentiment général d'insécurité complaisamment nourri par les différents ministres de l'Intérieur. Comme Pierre Goldman n'était pas précisément innocent et qu'il avouait trois hold-up, c'était bien le diable si on ne pouvait pas lui accrocher le double meurtre et la double tentative de meurtre du boulevard Richard Lenoir.

Et Goldman était juif. Rien ne permet d'affirmer que le verdict de Paris le condamnant à la détention perpétuelle ait eu le moindre relent d'antisémitisme. Mais celui-ci pesa tout au long des débats, dans les dépositions de quelques témoins, dans les allusions de la partie civile, parfois même dans les comptes rendus d'audience de certains organes de presse. Oh, rien de direct, rien d'affirmé, seulement le ton, une ambiance. Une manière de souligner la différence. Le signalement de l'assassin avait varié du mulâtre au basané de type méditerranéen, assez et assez peu à la fois pour cadrer un coupable-type. Un arabe frustre aurait pu faire l'affaire ; il ne s'en est pas trouvé qui fournisse un suspect plausible. En revanche, on tenait Goldman, juif, donc intelligent - "trop intelligent" - dira-t-on : on lui a bâti le dossier ad hoc (traduction de la version policière "on va te tailler un sacré costume aux assiettes").

On sait que Goldman, rejugé, fut finalement innocenté de l'affaire Richard Lenoir. Un vaste mouvement s'était élevé en sa faveur ; Pierre était devenu en prison un écrivain célèbre et reconnu, il était assisté à Amiens d'une défense exceptionnelle. La Justice, comme on dit, a fini par triompher.

Aujourd'hui, cet épilogue résonne avec une sanglante ironie. Victime d'une injustice bancale à Paris, Pierre était sauvé à Amiens, par une justice qui n'était guère meilleure. Les douze jurés du premier procès avaient fondé que Goldman, coupable ou pas, était tout de même le plus vraisemblable des coupables, ceux du second qu'un tel homme ne pouvait pas être coupable. La "présomption d'innocence" qui a elle seule aurait dû non seulement lui valoir un non lieu à Paris mais en "bonne justice" de ne pas même être jugé pour des faits aussi mal établis, est restée une clause de style.

Pour le brigadier Gérard Quinet, pour les policiers qui avaient chargé le dossier, Goldman était le coupable. Le verdict d'Amiens ne leur était pas seulement insupportable parce qu'il démolissait la mécanique policière mais bien plus encore parce qu'il résultait pour eux de la pression conjuguée des intellectuels, des gauchistes et des "libéraux" du pouvoir.

Que Goldman, sortant de prison, écrive un livre, qu'il collabore à Libération, que de manière publique, il revendique des convictions politiques "subversives", qu'à sa manière enfin, il réussisse sa vie, non pas en taulard récupéré ou en truand repenti mais en intellectuel, en homme déchiré et "marginal" selon les normes, voilà qui ne pouvait qu'alimenter la haine infiniment recuite des dingues de la gâchette qui pensent que l'Occident court à sa perte si la police n'y met pas bon ordre.

Tout cela, Pierre Goldman le savait. Non pas qu'il se sentit menacé personnellement. C'est en politique qu'il analysait le danger. Par trois fois, il avait annoncé qu'il n'écrirait plus dans Libération. Il ne supportait pas ce qu'il appelait nos "complaisances" à l'égard des signes extérieurs du fascisme, les Croix de Fer de la punkitude, l'antisémitisme de salon ou les éloges ambigus de la "nouvelle droite". Il n'acceptait pas le prétexte de provocation ou d'un non-conformisme qu'il trouvait passablement ranci. Pour Pierre, cet esthétisme de la décadence était la face brillante de forces plus obscures qui se préparaient à des combats de l'ombre en attendant le jour où elles pourraient enfin se manifester en pleine lumière.

Dans ces ruptures éclatantes, aussitôt démenties par l'intéressé ("Je ne peux pas écrire ailleurs", nous confiait-il une fois sa colère apaisée), beaucoup n'ont vu qu'une obsession quasi-paranoïaque, celle du militant inconsolable des grandes débâcles idéologiques de la décennie, celle aussi de l'enfant tourmenté d'un couple de résistants juifs qui avaient payé cher pour qu'on ne plaisante pas avec les signes et les mots.

"Un jour, vous verrez", disait Pierre. Un jour on comprendrait que ce combat solitaire, cette rage d'écrire, cette volonté démesurée de ne pas renoncer quand bien même il n'y eut plus d'autre cause que celle-là.

Les tueurs ont compris plus vite.

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