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Journée décisive pour Goldman
Libération, 28 avril 1976
Article de Marc Kravetz
Retranscription de Mathieu Duchesne

Pour la première fois, le directeur de la PJ confirme la version de Goldman sur les armes.

Le deuxième jour aura été crucial pour Pierre Goldman. L'agent Quinet aura été moins convaincant qu'au premier procès, mais surtout, en fin de soirée, l'actuel directeur de la PJ Jobart, interrogé sur la nature du renseignement confidentiel à l'origine de l'arrestation de Goldman a confirmé - au conditionnel certes - mais pour la première fois, la version de Pierre : selon le renseignement, Goldman était en possession d'un Herstal à chargeur à grande capacité et d'un P 38. Or, l'expertise balistique est formelle, ce ne sont pas ces armes qui ont tiré boulevard Richard Lenoir. La version de Goldman est, rappelons-le, que c'est parce que l'une de ces armes était capable de tirer plus de onze balles que le délateur a cru que Goldman était l'assassin.

Amiens, de notre envoyé spécial

Aujourd'hui à Amiens, comme il y a quinze mois à Paris, le témoin principal, le seul dont les accusations portent, c'est Gérard Quinet, le policier blessé alors qu'il tentait d'arrêter le meurtrier du boulevard Richard Lenoir.

A l'époque, Quinet, simple gardien de la paix, prenait tranquillement l'apéritif au café d'à côté, le "Jean-Bart" quand des passants sont entrés en criant : "on tire à la pharmacie". Quinet s'est précipité, est arrivé à la porte de la pharmacie quand l'agresseur en sortait, a tenté en vain de la ceinturer, l'a poursuivi sur le terre-plein du boulevard Richard Lenoir. Il y a eu une brève empoignade. Les deux hommes sont tombés et, alors qu'ils se relevaient, le meurtrier a tiré un coup de revolver à bout portant.

Quinet ajoute à cette version construite à partir de tous les témoignages recueillis sur place par les policiers, un fait sur lequel, d'ailleurs, il a varié au cours de ses déclarations et qu'il est en tout cas le seul à soutenir : il serait entré dans la pharmacie quand l'agresseur se trouvait non pas près de la porte de sortie, mais derrière le comptoir en train de tirer vers le sol (sur les pharmaciennes, donc). Et celui-ci, sans tirer sur Quinet, aurait contourné le comptoir pour gagner la sortie.

L'intérêt de cette version Quinet est évident. Outre un avantage moral (elle confirme l'héroïsme d'un homme qui, lui, a un revolver au poing), elle permet au "témoin" Quinet de reconnaître formellement un agresseur qu'il a pu voir durant un certain temps en pleine lumière. Son témoignage devient donc capital ; il devient malheureusement faux. Pourquoi ?

Quinet, dans son récit, fournit diverses précisions. Une fois entré dans la pharmacie, il a vu le meurtrier qui, en se retournant sur lui, l'a braqué en lui disant : "Ne bouge pas, je tire". Quinet, ensuite, voit que l'agresseur tenait à la main une sacoche (même si, aujourd'hui, il est moins précis que dans ses dépositions antérieures), mais il ne remarque pas s'il portait ou non une coiffeuse.

Dans ses premières déclarations, Quinet donne à son agresseur 35 ans et le décrit de façon assez vague : 1,70m ou 75, visage allongé, teint mat. Il ne remarque ni les yeux, ni les sourcils, ni le nez dont il fera état par la suite.

Plus important encore : Quinet affirme donc être entré dans la pharmacie, ce qui implique qu'il en soit sorti. Il n'a remarqué, à ce propos, aucun détail particulier. Or M. Aubert, le mari de la pharmacienne assassinée, qui, lui , est entré dans la boutique quelques minutes après l'agression, a note qu'en poussant la porte, cela déclenchait le signal d'alarme qui retentissait à la fois dans la boutique et dans la rue. En effet, l'officine du boulevard Richard Lenoir était munie d'un système que l'on branchait à l'heure de la fermeture et qui se déclenchait dès que l'on ouvrait la porte. De plus, cette porte, étant commandée par un blount, il fallait bien que l'agresseur songe à l'ouvrir pour sortir. Cela prenait du temps et ce temps est peu compatible avec la version Quinet, selon laquelle l'agresseur lui aurait filé entre les mains dans la boutique, comme si la voie était libre. Et puis, il y a la question de l'étui de revolver, un MAC 50 ou un PA 50 que l'on a retrouvé sur les lieux. C'est justement cette arme qui a tiré sur Quinet. Il est vraisemblable que l'agresseur qui avait vidé son chargeur de P 38, a dégainé le PA 50 pour fuir et qu'il a perdu l'étui à cette occasion.

Quinet était donc, si sa version est vraie, sous le feu d'une arme chargée. Comment imaginer que l'homme qui venait d'abattre Trocard et de supprimer les deux pharmaciennes pour la seule raison qu'elles avaient été témoins de ce meurtre n'ait pas tiré sur le nouvel intrus ?

Cette élémentaire logique et les faites les plus évidents permettent donc d'affirmer avec certitude que Quinet n'a pas vu son agresseur de face, sauf dans la fraction de seconde où celui ci l'a abattu. Ce témoin, dispensé par le fait qu'il est partie civile de la prestation de serment, est un faux témoin.

Il n'empêche qu'il "reconnaît" formellement Goldman. Personne ne doute que la reconnaissance dans les locaux de la brigade criminelle était largement entachée d'irrégularités, que Quinet, notamment a pu voir Goldman encadré par les policiers, menottes aux mains, avant de l'identifier dans la salle de reconnaissance. Au procès de Paris, Quinet avait commis un curieux lapsus : "j'ai désigné le numéro qu'on m'avait indiqué". Aujourd'hui il en fait un autre : "Goldman était au milieu d'un tas de malfaiteurs". C'est, en effet, une méthode usuelle en matière criminelle que de faire reconnaître des suspects au milieu d'autres suspects dans d'autres affaires. En l'occurrence, ce n'était pas le cas, Goldman était entouré de policiers. Les embarras inconscients de Quinet ont un sens : après tant d'années, Quinet ne sait plus bien distinguer ce qu'il a vu, d'une leçon apprise. Quand il parle, c'est presque toujours par formule administrative. On le sent inquiet de s'écarter d'une version qui sent la construction laborieuse.

L'un des arguments majeurs de l'accusation pour conforter la thèse de Quinet, c'est la reconnaissance par celui-ci de Goldman sur une batterie de six photos qui lui avaient été présentées bien antérieurement à l'arrestation. Sur la photo en question, tirée du fichier de la carte d'identité, Goldman a 14 ans. C'est un bel adolescent aux joues rondes et à la chevelure ondulée. Cette photo a circulé sur les bancs de la presse. Parmi les six visages présentés sur la planche, rares ont été les journalistes qui, pourtant, ont Goldman en face d'eux depuis de longues heures, qui ont été capables de le reconnaître. Comment Quinet, qui n'a rien vu, a-t-il réussi cet exploit ? Tout cela sent la machination policière. En tout cas, ce témoignage qui se voulait capital a introduit un doute qui devrait être décisif.

C'est sur un violent incident que l'audience a été suspendue hier après-midi a 17h30. Le docteur Pluvinage était à la barre. Cet homme, à la mémoire éléphantesque et à l'œil de lynx, a tout vu et se souvient de tout depuis le jour où, de sa fenêtre, au quatrième étage, sur le terre-plein mal éclairé du boulevard Richard Lenoir, il a aperçu l'agresseur de la pharmacie qui, malgré les variations de signalement dignes des métamorphoses du morceau de cire de Descartes, est devenu pour lui et pour l'éternité Pierre Goldman. Au point de se souvenir, comme si c'était hier, d'avoir signé sa déposition, dans les locaux de la brigade criminelle, devant un juge d'instruction près duquel était assise une avocate qu'il a identifiée comme étant Gisèle Halimi. Tout le monde sait qu'il n'y a pas plus de juge d'instruction que d'avocat dans les locaux de la brigade criminelle et que si Pierre a eu beaucoup d'avocats depuis son arrestation, Gisèle Halimi n'a jamais été du nombre.

Son sens cynique n'allait pas jusqu'à secourir un homme blessé le 19 décembre, même pas jusqu'à prévenir la police de ce qu'il venait de voir. Au moins a-t-il tout raconté à sa concierge et à ses voisins de pallier. Devant tant d'incohérence et de mauvaise foi, la défense de Pierre Goldman, remarquablement animée par Me Georges Kiejman, mitraille le docteur de questions. Elle lui relit ses dépositions plus contradictoires les unes que les autres. La partie civile, qui se signale depuis le début du procès par ses interventions hargneuses, a pris la défense du bon docteur. Me Garraud, qui défend les intérêts matériels et moraux de l'agent Quinet, trépigne soudain : "Goldman m'a traité de fasciste".

Goldman s'élève alors, visiblement hors de lui, "Oui, dit-il, je vous ai traité de fasciste. Vous "sentez" les métèques, mais moi je "sens" les racistes et les fascistes". Dans le brouhaha qui s'empare de l'assistance, on entendra encore : "Pourri… Je vous emmerde". Le président intervient. Il somme Goldman de se calmer. Celui-ci lui explique : "Mettez-vous à ma place, je suis un innocent, accablé par tous ces témoignages émanant de gens qui sont certainement de bonne foi". Me Garraud revient à la charge et cite des passages du livre où Pierre Goldman prend à partie les dépositions de Pluvinage. Visiblement, la partie civile cherche l'incident, elle veut à tout prix provoquer Goldman. La colère de celui-ci, en effet, peut le desservir. Mais elle est à la mesure de cet étrange procès dont le président a si peu la maîtrise quand même il n'assume pas, discrètement mais depuis hier systématiquement, un rôle qui incombe en principe au Ministère public.

Etrange procès, étranges témoignages, étranges témoins, comme cette Mme Catel qui avait entraperçu le meurtrier des pharmaciennes, qui n'a jamais été entendue par la police ni par la justice, qui dit n'avoir jamais rien lu, n'avoir jamais rien entendu à propos de la procédure et du procès de Goldman et qui, aujourd'hui, contemplant Goldman de profil dans le box des accusés, affirme froidement qu'il ressemble à l'agresseur qu'elle a vu brièvement il y a six ans et demi.

Me Kiejman a fait remarquer : "Le témoin constate que cet homme, encadré par les gardes, ressemble à l'agresseur. C'est tout le drame de cette affaire. Il y a probablement des traits communs entre le meurtrier et certains aspects physiques de Pierre Goldman. Le problème est qu'il faudrait plutôt juger cet homme qui ressemblait à Pierre Goldman. Et non pas celui qui est dans le box".

A la reprise de l'audience, après l'incident, Pierre Goldman déclarait qu'il retirait ses propos si cela devait servir à la sérénité des débats.

La cour a décidé de séparer les parties civiles de la défense, jusqu'à l'incident, en effet, les uns et les autres étaient au même banc, en dessous de l'accusé.

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