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Cédric Atlan : “Je ne supporte pas ce faux discours où le marketing précède l'artistique”

Entretien exclusif pour "Parler d'sa vie", enregistré à Paris le 7 juillet 2006
Parler d'sa vie, le 24 juillet 2006

Retranscription par Brigitte Bocognano, Jean-Philippe Combes, Sandrine Descargues, Jean-Michel Fontaine, Julie Lajeunesse, Eldrine Personnaz, Delphine Roger.

Retranscription des "regards obliques de Cédric sur sa musique" par Perrine Berge, Jean-Michel Fontaine, Delphine Roger, David Quint.

Propos recueillis par Jean-Michel Fontaine

Toutes les photos de cette page ont été prises par Delphine Fontaine / D.R.
Reproduction interdite sans autorisation préalable.

 

Voici trois ans, je vous avais dit tout le bien que je pensais du premier album de Cédric Atlan, "Elève indiscipliné, pense trop aux filles". D'ailleurs, à ce jour, il reste l'un de mes dix albums préférés, toutes catégories confondues, et l'un des deux ou trois que j'ai le plus écoutés ces dernières années. Vous pouvez donc imaginer ma joie lorsque Cédric a spontanément accepté l'entretien que je lui ai proposé lors de la sortie de son nouvel album, "Aparté pop". A cette occasion, nous avons passé une heure et demie en tête à tête dans une brasserie parisienne.

L’univers de Cédric Atlan est peuplé de femmes qui font 15 mètres de hauteur, de nympho-graphistes, de sex-pertes comptables, de célibat-man, de délicates woman et d’anorexiques qui n’aiment pas les westerns spaghettis. Encore une fois, les filles restent le sujet de prédilection de Cédric Atlan. Mais c’est loin d’être le seul. D’un vibrant hommage gainsbourien aux années 60 et 70 (“Pop”) au courage des réfugiés apatrides (“Je pense donc je fuis”) en passant par des considérations métaphysiques sur les anges gardien (“Les anges”), Cédric Atlan poursuit ses voyages introspectifs sous des fausses apparences de légèreté. Il serait réducteur, en effet, de limiter l’univers à Cédric Atlan à une fascination maladive pour la gent féminine.

Ton nouvel album m’a souvent fait penser à Serge Gainsbourg… On retrouve le clin d’œil évident du pa shiba pa pop wizz dans "Pop”, l’exercice de style des rimes en ic dans “Les regards obliques”, mais même le phrasé de “50 foot woman”peut faire penser à “Bonnie and Clyde”.

C’est carrément fait exprès sur "50 foot". Je suppose que tu le sais, ce qui m’a donné envie de faire vraiment de ça ma vie c’est la rencontre avec l’homme à la tête de chou, ses albums que j’ai pu écouter des milliards de fois. Je cherchais une façon de lui faire un petit clin d’œil, sans faire une chanson sur lui. Et ne serait-ce que, effectivement, "Un soir qu’elle rentrait du travail", personne d’autre que lui ne l’avait utilisé avant. C’est en ça que je le remercie. C’est le bonjour d’en bas.

Que ce soit sur ton premier ou ton deuxième album, tu as eu la chance de travailler avec d’énormes pointures de la chanson française, comme Pierre Jaconelli, Vincent-Marie Bouvot, Christophe Deschamps ou Arnold Turboust. Comment les as-tu rencontrés ?

Vincent-Marie, c’était, je crois, dans un café à la Bastille, à un moment où j’étais copain avec quelqu’un de la Sacem, Pierre Achard, qui écrit des portraits d’artistes. Quand je suis arrivé à Paris - c’était quand même il y a assez longtemps - Pierre m’avait emmené dans une table ouverte à Bastille, un café enfumé, bien sombre, où les gens qui veulent faire ça de leur vie, ou qui simplement se posent des questions, rencontrent des gens du métier. Et Vincent sortait du deuxième album de Zazie. Il faisait certaines “conférences”, entre guillemets. Et on est tout de suite devenus potes. Pendant le premier album, je lui faisais écouter mes chansons, on en parlait. C’est quelqu’un qui a “le” truc : à la fois il est complètement révolutionnaire, c’est-à-dire qu’il bondit en studio pour aller chopper un instrument le plus improbable comme une guitare baryton ou jouer des basses à l’archet, des choses comme ça, et à la fois il a une vraie notion, une notion organique de la chanson. Il y a vraiment deux plans et les deux plans sont égaux et complets. La réflexion sur le pourquoi, le texte, comment l’arrangement peut porter le message du texte, et à la fois le côté organique, la sensation pure.

Quelles différences par rapport à Pierre Jaconelli, qui a réalisé le premier album ?

Ce ne sont pas du tout les mêmes. Les deux projets se sont passés dans une bonne ambiance. Les deux avaient envie de le faire. C’est Sony qui m’a présenté Pierre, quand j’ai signé mon contrat. Il se trouve qu’on s’est bien entendus et qu’on a eu envie de travailler ensemble. J’avais moins d’expérience, donc Pierre s’est énormément impliqué dans le premier album. Je suis arrivé avec des maquettes qui étaient moins poussées que pour le deuxième. Là, en revanche, j’ai passé un an à maquetter chez moi. D’ailleurs, sur le disque, il y a plein de choses que j’ai pu enregistrer à la maison. Vincent était là pour me prêter son oreille de temps en temps sur ce que je faisais chez moi, et dans la courte période d’enregistrement, j’ai uniquement fait basses, batterie, guitare avec lui.

Tu es pratiquement arrivé avec un produit fini en studio.

Oui, quasiment. Il m’a aidé aussi sur les mix, sur cinq mixages.

"J’ai passé un an à maquetter chez moi"

Et Christophe Deschamps alors ?

J’avais un éditeur qui avait financé les premières chansons, puisque "Playskool" et "Tort" existent dans d’autres versions [rires]. "Tort" est d’ailleurs une version country improbable, non plutôt “dub”, et "Playskool" est une version speed à fond, tu ne la reconnaîtrais pas je pense, et je ne la montrerai jamais ! [rires]

Dommage, dommage ! [rires]

J’avais donc déjà travaillé avec Vincent-Marie, sur cette fameuse chanson que tu n’entendras jamais, et il y avait Christophe Deschamps à la batterie déjà, et Nicolas Fiszman, qui était le bassiste du premier album.

"La pop des années 80 me manque"

Et le dernier, Arnold Turboust ? On en reparlera tout à l’heure, car je pense que c’est un exemple très intéressant de ce que l’on peut faire en terme de carrière. On le connaît surtout pour le travail qu’il a fait avec Etienne Daho, et sur cet album il compose trois chansons.

On s'est rencontrés par l'intermédiaire d'un pote. J'avais vraiment envie de bosser avec lui car j'ai des super souvenirs d'"Adélaïde".

Moi aussi !

C’est une chanson fabuleuse ! Et puis ce garçon est vraiment d'un autre temps. Quand il est dans le clip dans son carrosse, c'est tout à fait ça. Il a une gestuelle, une lenteur, et à la fois une vivacité dans l'œil qui est très surprenante. Il rappelle le siècle des Romantiques, il n'a pas la chemise à jabot, il n'a rien du tout mais il est vraiment charmant. Et puis, artistiquement, il y a quelque chose qui me manque : c'est cette "pop" disparue, la pop de Daho, des Rita. Aujourd'hui, c'est différent car les années 80 étaient très "machine", avec des séquenceurs, des boîtes à rythmes, alors que maintenant, c'est plus joué quand même, il y a plus de musiciens. Mais dans l'esprit, il y avait l’approche et des textes et des musiques : à la fois dans les musiques, quelque chose de sautillant, et dans les textes - pas plus gais ni plus tristes qu’aujourd’hui dans ce qu’on entend usuellement - mais un éclairage différent sur les chansons. D’autres thèmes, ou en tout cas les mêmes, mais éclairés différemment, avec d’autres mots. On a la même envie, en somme.

Mais dans l'esprit, on retrouve plus le son pop des années 60 et 70 dans ton deuxième album, que le son des années 80. C'est vrai qu'il était quand même assez rare ce son pop années 80, Etienne Daho, Arnold Turboust…

Il était quand même bien présent dans "Tombé pour la France", dans tous ces titres-là…

C'était l'exception plutôt que la règle.

[il proteste] Il y en avait plein ! "Ça plane pour moi", les Rita Mitsouko, Partenaire Particulier, tous ces gros tubes pop-variété. Il ne s'agissait pas de faire ça, mais il n'empêche qu'il y a là-dedans un côté sexy, et moi, je ne suis pas heureux quand j'ai l'impression d'interpréter un texte avec un sentiment un peu premier degré, plié en deux pour montrer que j'ai mal. J’ai besoin d’autre chose.

Te vois-tu poursuivre une carrière d'auteur-compositeur, parallèlement à celle d'interprète ?

Oui, ça va dépendre de ce qui va se passer dans ma vie, des rencontres, si on me demande d'écrire des chansons et que j'ai envie de les faire.

Dans l'absolu, y a-t-il quelqu'un pour qui tu rêverais d'écrire ?

Non, parce qu’à chaque fois que naît un sentiment d'admiration, c'est toujours vers les auteurs-compositeurs. Ce n'est ni la voix, ni les lumières ou les shows qui m'impressionnent, mais une personnalité. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis brouillé avec Sony et que ça n'a pas pu fonctionner : je ne supporte pas ce faux discours où le marketing précède l'artistique. Vu ce qui se passe dans la musique, c’était peut-être en réaction aux baisses des ventes : ils se sont dit que Kyo marchait et que donc il fallait que tout le monde fasse du Kyo.

Stéphanie de Monaco va chanter une chanson de Kyo.

Ah bon ?

Si tu ne le savais pas, je te l’annonce. C'est tout à fait dans la mouvance de ce que tu dis.

Mais c’est très cool Kyo. Ce n’est pas contre Kyo, c’est ce systématisme et ce faux discours…

… C’est le systématisme effectivement qui est un problème, ce n’est pas Kyo en soi : Kyo est un très bon groupe. Le fait qu’ils écrivent pour untel parce qu’il faut relancer sa carrière ou pour Stéphanie de Monaco parce qu’elle a envie de revenir dans la chanson…

… Ce que je dis, ce n’est même pas que Stéphanie de Monaco chante un titre de Kyo. C’est que dans les maisons de disques, dans la phase en amont où on prépare tout ça, on sent bien que quelqu’un qui n’avait aucun intérêt et qui ne rentrait jamais dans les discours – en tout cas ce n’était pas une référence ni de sons, ni de textes ni de succès - d’un coup, il y a un machin qui explose pour lui, et tout le monde fait pareil. Il faut faire pareil.

Est-ce qu'il y a des personnes avec lesquelles tu aimerais collaborer pour un futur album ?

Oui, dans les collaborations improbables, Daft Punk. J’adore ces mecs-là ! Je ne les connais pas, mais faire un morceau très électro avec eux, ça me plairait.

Je pense par exemple à Frédéric Château. C’est quelqu’un qui est complètement fou sur scène avec Pascal Obispo. Qui revient après vingt ans sans qu’on ait trop parlé de lui. C’est quelqu’un qui artistiquement est à part.

Je ne connais pas.

Juste une piste ! Imaginons un instant un album spécial "Cédric Atlan and friends". Quels duos trouverait-on sur cet album, et avec quelles chansons ?

Thierry Cadet m’a écrit récemment. Il a fait une reprise d’"Adélaïde", justement. Il m’a envoyé un mail en me demandant d’écouter ce morceau, j’ai écouté et c’est vachement bien. Encore une autre version d’"Adélaïde" !

Il reprend “Doux” aussi sur son album, une super version !

Sinon, dans la tournée de l’album précédent, je faisais parfois une reprise de "One more time" des Daft Punk à la guitare acoustique uniquement, c’était rigolo ! Ou encore une chanson comme "Nuit", que je trouve fabuleuse.

Avec qui alors pourrais-tu la chanter ?

Mais avec Jean-Jacques !

Et qui ferait la voix féminine ?

Je ne sais pas, on l’interpréterait différemment. Comme hier soir, je suis allé voir Marc Lavoine au Zénith, et sur la chanson avec Cristina Marocco, c’est lui qui fait la voix.

Pour un duo, je verrais bien Mélissa Mars qui est complètement à part. Elle est inqualifiable - même si on essaie de la cataloguer comme "nouvelle Alizée" - ce qui est complètement faux quand on écoute ses chansons.

Tu as écouté les dernières de Mélissa ?

Certaines, oui. J’aime beaucoup son duo avec Lara Fabian aussi, "Les Homéricains", complètement à part !

Je ne connais pas, j’ai uniquement entendu ce qu’elle a fait avec Pascal Obispo sur “1980”.

À un moment, tu as dû faire un choix. Celui de continuer avec Sony mais de faire des chansons qui ne te correspondaient pas, ou celui de continuer à faire ce que tu aimais mais en indépendant. Comment as-tu pris cette décision ?

Cela a été dur parce que j’avais conscience de ce que c’était : on ne peut pas faire un album si on n’a pas de structure. Ensuite comment va se passer l’ouverture au niveau des médias ? Comment va-t-on créer une visibilité ? Comment les gens vont-ils être au courant ? Cela n’a pas été un choix facile, mais j’ai mis ça dans une balance et ça a quand même penché de ce côté-là, parce que l’autre réponse, ça aurait été d’arrêter. Je me suis dis, "oui,, ça ne va pas être évident, mais cet album là m’éclate, ces chansons, je suis prêt à les défendre et on n’est pas à l’abri d’un miracle ! Et puis c’est peut-être temporaire, cette situation d’indépendant”.

Il y a plein de gens qui rêvent d’être à ta place, il n’y a pas que ceux qui font la Star Ac’ ou Nouvelle Star qui rêvent d’avoir un contrat avec Sony Music. Que pourrais-tu leur conseiller pour ne pas avoir les mêmes problèmes que toi tu as pu avoir ?

Il n’y a rien à conseiller, comme je te l’ai dit, car c’était un contexte un peu de panique, je trouve, de la part de ce label-là qui, par rapport à une situation où tout s’effondre, réagit mal et veut s’engouffrer dans du prêt-à-porter. Ce n’était pas le cas du premier album. Le premier album, c’était le même contexte, dix chansons, et on n’a pas retouché un mot, pas retouché une note et on a sorti ça tel quel. Avec un vrai dialogue, unz vraie relation sympa.

Que s’est-il passé alors ? Ils n’aimaient pas tes chansons ? Ils voulaient t’imposer des auteurs-compositeurs, des collaborations ?

Oui, c’est ça. Sur le premier album, je voulais aller là, et eux ils voulaient que j’aille ailleurs. Mais en bonne intelligence, on est revenus sur un accord. Mais ce n’était pas un accord violent non plus, le compromis était acceptable. Il faut en faire des compromis, dans la vie, de toute façon, on n’atteind jamais l'idéal, même quand on court après. C’est un idéal, comme un fantasme : on tend vers. Mais il n’y avait rien de dénaturé. Sur le deuxième album, c’est comme si dans cette équerre [il forme une équerre avec ses deux mains], eux voulaient que j’aille là ! Sur le premier album, je trouvais déjà qu’il y avait du gâchis dans la façon dont ça avait été développé. Pas dans la chaîne, ni le graphisme, mais cette espèce de systématisme, d’étiquette de “garçon à filles”… Comme s’ils avaient besoin d’une phrase de résumé “fastoche” à coller derrière le dos, et moi je n’étais pas heureux avec ça ! Parce que ce n’est pas ça que je voulais faire en me levant. J’ai la chance de jouer de la guitare, de faire des chansons, de jouer du piano, d’être hyper impliqué dans l’artistique, le graphisme, sous Photoshop, Illustrator. Et de résumer ça à ça, c’est un peu… [il ne finit pas la phrase]. Je leur présente ce deuxième album deux ans après, et eux voulaient carrément autre chose, il n’y avait aucun terrain d’entente possible ! La situation s’est dégradée, comme De Palmas l’a vécu il y a dix ans, on avait pu le voir dans la presse, c’est-à-dire téléphones coupés, une espèce d’enfer dans la communication…

Et pourtant sur ton premier album qui s’appelle “Elève indiscipliné, pense trop aux filles” tu revendiquais à l’époque cette phrase que tu adorais parce que c’était une institutrice…

Je n’ai jamais dit que je l’adorais !

Tu voulais la replacer…

Voilà, je voulais la replacer, mais tout le monde me posait cette question sur le titre de l’album, parce qu’il était long, qu’il était atypique, et du coup, je me suis servi de la réalité, c’est-à-dire effectivement ce commentaire que j’avais eu de cette instit, quand j’étais petit, qui n’avait pas fait plaisir à mes parents, et qui moi m’avait fait marrer. Mais le titre de l’album, au début, c’était “zéro un” écrit en lettres, pas en chiffres. Je trouvais ça complètement con - appeler son premier album “zéro un”, ce n’était pas une idée révolutionnaire - mais quand on l’écrit en minuscules, graphiquement, ça me plaisait. Et puis toujours les espèces de bla-bla-bla sur le côté négatif de zéro… improbable ! Donc pas ce titre-là. En plus, on sortait de “Playskool”, le titre devait être depuis deux mois en radio quand le service juridique s’est rendu compte que “Playskool”, c’était une marque, et qu’il fallait peut-être se renseigner pour savoir si on avait le droit d’appeler le single comme ça. Et Hasbro n’a pas voulu. Il a fallu changer le titre du single, qui est devenu “Enfin on plaît aux filles”. En revanche, les photos, sur les deux albums, dans les séances photos des deux disques, c’est à chaque fois la dernière photo de la pellicule, où il se passe quelque chose. Je suis content, je ne suis pas photogénique. La photo du premier album, par exemple, c’était en bas de chez moi à l’époque, il y avait un dépôt de la Croix Rouge. La croix existe sur le mur et c’est la croix de la Croix Rouge. Mais du coup, pareil, re-problème, parce que dès que tu sors quelque chose dans le commerce de manière industrielle, tu n’as pas le droit d’utiliser des symboles, des identités…

... Des marques semi-figuratives…

Voilà, exactement, donc les problèmes avec la croix, le “zéro un” sur lequel on n’était pas d’accord, sans parler de Marlboro qu’il a fallu “biper” dans la version radio… Tout ça pour dire quoi ? De quoi on parlait ? Tu me disais que je revendiquais ce titre-là ?

Oui, ce que je voulais dire en fait, pour résumer la question, c’est qu’à l’époque, tu parlais de l’anecdote de l’institutrice, et maintenant tu dis que ce titre ne t’a jamais plu, donc c’est une sorte de compromis - que je peux comprendre d’ailleurs - de jouer avec ce rôle-là, sachant que ça peut être dangereux…

Je trouve qu’artistiquement, pour un premier album où généralement tu te fais déborder et que tu es forcément impressionné quand tu arrives dans une grosse machine comme Sony, je n’avais pas l’impression d’avoir perdu deux bras et un doigt de pied. J’étais satisfait, c’était raccord avec ce que je voulais faire. Après, il ne s’agit pas non plus de dire non à tout, d’être chiant. Le titre de l’album “zéro un” ne leur plaisait pas et puis j’ai accepté un autre titre. N’empêche qu’au fond de moi, ça ne m’a jamais plu.

Comme l’étiquette "power pop" : ça ne veut rien dire fondamentalement. On a dit que tu faisais de la "power pop".

Oui, c’est parce que je sortais de la tournée de Zazie avec le bras levé "power". Ça vient de là, je pense.

On a plein de points communs, finalement, tous les deux : on est tous les deux nés à Châtellerault, on a tous les deux été très marqués par notre premier concert de Jean-Jacques Goldman…

Toi, c’était où ?

Moi, c’était à Tours. Je n’ai pas pu aller au concert de Poitiers où tu es allé en 1986. On est tous les deux montés sur la scène du Nouveau Théâtre…

Yes !

On est tous les deux diplômés d'une grande école de commerce...

Toi, c’est laquelle ?

Sup de Co Grenoble. Est-ce que la formation que tu as reçue à l'ESSCA t'a été utile ?

Oui, bien sûr. En plus, toi qui as fait ces études-là, tu sais bien que c’est extrêmement généraliste comme enseignement. Il y a plein de notions qui m’ont servi, notamment pour gérer l’image, ne pas faire n’importe quoi. Ce n’est aussi qu’un premier regard en Sup de Co sur le droit, sur comment ça se passe. Après, il faut se faire entourer, parce que c’est quand même un domaine juridique extrêmement spécifique. Mais ça permet d’avoir ce genre de connaissances. La chanson, c’est de l’artisanat, parce que ce n’est qu’une guitare, un stylo Bic et une feuille blanche. Ça doit tenir avec ça normalement. Mais c’est aussi une industrie, et le résultat part dans le commerce. Je ne voulais pas me lancer là-dedans sans avoir un bagage. C’est comme si au-delà de me rassurer, ça me renforçait.

"La chanson, c’est de l’artisanat : une guitare, un stylo et une feuille blanche"

Tu es l’un des rares auteurs-compositeurs-interprètes qui écrivent systématiquement les textes en premier. Cela veut-il dire que quand Thierry Chazelle, Cyrille Assous ou Arnold Turboust te composent une chanson, ils partent d’un texte déjà existant, ou arrives-tu quand même à écrire un texte sur une musique ?

Non, non, d’un texte existant.

Quelles sont tes sources d'inspiration ? Comment te vient l'inspiration ? Est-ce que tu te promènes avec un petit carnet, dans la rue, pour prendre des notes, pour capturer le quotidien ?

Je passe ma journée à divaguer, en fait. C’est compliqué dans la tête. C’est comme s’il y avait une grosse activité : tout s’entrechoque, s’entremêle et au bout d’un moment, je ne sais pas pourquoi, il y en a une qui sort. Tu vois ces batailles d’Astérix où ils se tapent dessus ? Ce n’est qu’un nuage de poussière [rires] mais à un moment, il y en a un qui sort. C’est un peu ça. Et cette idée-là qui sort, en revanche, je la note toujours.

Tu dis que les gimmicks te viennent souvent quand tu prends ta douche…

C’était pour plaisanter !

Parce que le carnet sous la douche… [rires] avec un stylo étanche !

Il y a des radios étanches.

C’est vrai. Est-ce que, pour prendre un exemple précis, "Les anges" t’a été inspiré par le roman de Bernard Werber, "Les Thanatonautes" ?

Non.

Tu connais ce roman ?

Non, je ne le connais pas.

Je te le conseille. C’est exactement la même idée. Ça va beaucoup plus loin.

En quoi est-ce ça va plus loin ?

Il élabore toute une théorie sur les anges-gardiens. C’est un livre qu’on conseille énormément aux patients en phase terminale. C’est une amie qui a eu une leucémie, qui l’a lu pendant qu’elle était à l’hôpital. Elle s’en est sortie, heureusement, et me l’a prêté en me disant, "tu verras, tu vas comprendre beaucoup de choses". Le fait que ça vienne de quelqu’un qui est rescapé m’a beaucoup influencé. C’est un livre qui est fabuleux.

Tu me le notes ?

Oui [je note le titre du livre pour Cédric sur une serviette en papier]. Ce livre fait partie d’une trilogie : le premier s’appelle "Les Thanatonautes", le deuxième "L’empire des anges" et le troisième est le début d’une nouvelle trilogie qui parle de la façon dont les dieux veillent sur nous. [un peu taquin] Il y a une formation des dieux évidemment, tout le monde le sait.

Mais est-ce que c’est comparable, je ne sais pas, avec "Le matin des magiciens" ou quelque chose d’un peu ésotérique ou en tout cas des antithèses de ce qu’on lit tous les matins, toute la journée, ou c’est complètement une fiction et c’est "voilà ce qu’il s’est passé : j’en suis convaincu mais c’est fictif" ?

Non. Bernard Werber écrit toujours de façon très documentée. Il lit pendant un an tout ce qui concerne un sujet et après, il arrive à le replacer de manière un peu diffuse. Il arrive à replacer, par exemple, "pourquoi est-ce que l’on dit aller au septième ciel ?". C’est parce qu’avant d’atteindre le paradis, on doit passer par sept niveaux de purification de l’âme, avec des passages un peu dangereux. Le deuxième, c’est celui de l’érotisme, où tu es confronté à tes démons érotiques intérieurs. Si tu ne fais pas attention, tu peux être bloqué à ce niveau…

Génial ! Génial ! [rires]

Je te le conseille. Je pense qu’il devrait te plaire, si j’en crois la chanson.

J’ai écrit cette chanson après avoir perdu quelqu’un de très proche. C’est une question que tout le monde se pose : qu’est-ce qu’il y a après ? J’ai divagué sur ce sujet, et je suis convaincu que cela se passe comme cela.

Espérons-le. Parlons un peu de tes relations avec le public… Pour l’instant, tu as surtout effectué des premières parties, de Zazie, de Marc Lavoine, de Natasha St Pier. Même moi, je me suis produit plus souvent sur les planches du Nouveau Théâtre de Châtellerault, c’est pour dire ! [rires] Alors à quand une tournée solo de Cédric Atlan ?

Je suis en train de la monter. Il y a d’autres choses à embrayer avant, ne serait-ce que la faisabilité économique d’une tournée. C’est quelque chose de lourd à monter, il y a des musiciens. Ce n’est pas aussi simple que cela. Mais oui, on est vraiment en train de la préparer.

Ce sera pour la rentrée, l’année prochaine ?

L’année prochaine, avec quelques plateaux je pense, dans cette jonction de septembre à décembre. En tout cas, on fait tout pour.

On a hâte ! Quel rapport as-tu avec la scène ?

Il a évolué : au début, c’était quelque chose qui me faisait peur. J’étais intimement convaincu, comme une idée toute faite, que c’était en studio que ce travail me plaisait, parce qu’il y avait justement ce côté vraiment organique, d’aller chercher un gimmick, de faire monter un refrain. C’est compliqué une chanson, c’est une symbiose, un équilibre super fragile.

Mais une première partie, c’est encore plus compliqué, car fondamentalement, les gens ne sont pas là pour toi. Il faut les convaincre.

Oui, mais moi je t’explique le cheminement : mon sentiment, c’était que je prendrai toujours du plaisir en studio, parce que j’ai l’impression de fabriquer quelque chose avec un ciseau à bois et que parfois, si je mets un coup trop fort, il faut tout refaire. Sur scène, en revanche, j’avais l’impression que cela allait moins me plaire, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Et cela s’est complètement retourné. Cela ne veut pas dire que je n’aime plus le studio, mais cette idée première a vraiment changé à partir du moment où il y a eu Zazie et la Belgique. Tout ce coin du Nord, Lille et Bruxelles, puis après avec Marc Lavoine, Charleroi, particulièrement en fait. Après cela, j’ai pu ressentir la même chose en France, mais cela s’est vraiment déclenché là-bas. C’est de cela dont les artistes parlent : une espèce de force qui t’arrive, quelque chose de palpable, et aussi un vrai échange.

J’ai lu beaucoup de choses sur toi sur les forums consacrés à Marc Lavoine ou à Zazie, où ils parlent des premières parties et en gros, cela se divise en trois : il y a ceux qui ont beaucoup aimé, qui t’ont trouvé très drôle, très cool ; il y a ceux qui n’en avaient rien à faire parce qu’ils n’étaient pas là pour cela et un troisième tiers qui ont dit “mais pour qui il se prend ce mec ?”. Ils avaient l’impression que tu avais trop de détachement, que tu étais trop à l’aise sur scène.

C’est sûrement dû à l’anxiété.

C’est un faux détachement alors ?

Oui, oui, parce que tout est préparé, je ne le fais pas à la cool total. C’est une perception qui m’échappe.

Après les concerts, est-ce que tu discutes avec le public ? Est-ce que tu recherches le contact ?

Cela dépend du contexte : dans un concert comme à Châtellerault où la salle était appropriée, c’était comme dans les show case en FNAC : il y a vraiment quelque chose de direct. Quand c’est une première partie d’un artiste très connu, il y a forcément une barrière et on est forcément de l’autre côté de la barrière.

Souvent, les auteurs compositeurs sont touchés lorsque les gens les remercient pour avoir décrit des sentiments ou des situations qu'ils avaient eux-mêmes vécus. Sur ce nouvel album, par exemple, je pense que tu risques de vraiment heurter la corde sensible de nombreuses jeunes filles qui se sentent concernées par l’anorexie, même si la chanson est humoristique. Est-ce que tu as pensé aux conséquences que cela pouvait avoir, la manière dont cette chanson pouvait être interprétée ?

[interloqué] Mais non ! Tu la prends comment, toi : "tu as raison d’être anorexique, ce n’est pas grave ?"

Non, non, pas du tout, la chanson est avant tout une allégorie autour de l’anorexie, autour du phénomène, tu le dédramatises en multipliant les jeux de mots.

Oui, voilà, c’est comme ça que j’ai envie de faire passer les choses, justement en dédramatisant… Je ne me suis pas posé la question une seconde… Je ne comprends pas trop ta question en fait : tu dis que ça peut être dangereux… ?

… que ça peut blesser des gens qui sont vraiment concernés par cette maladie.

Je n’ai pas le sentiment, parce que justement c’est traité comme ça, vraiment au second degré. Et puis il ne faut pas exagérer, ça ne parle pas de l’anorexie en tant que maladie, comme la boulimie… C’est plus rattaché au fait que les filles trient tout, compartimentent, nous lisent tout ce qu’il y a au dos de n’importe quel packaging, pour voir combien il y a de lipides, de calories. C’était plus un moment de vie, justement, où on ne trouve rien à manger. J’ai exagéré ce côté-là difficile des filles, en tout cas complètement axé sur les calories, pour dire que ce n’était pas grave et qu’on n’allait pas foutre en l’air la soirée pour ça. Ce qui est cool, c’est de…

… s’aimer et de se manger des yeux, et boire nos paroles amoureusement.

Oui.

Connais-tu les sites personnels qui te sont consacrés ?

Oui, je connais le site de Rémi, qui fait "Come in", avec un forum.

Et en règle générale, tu cherches ce qu’on peut dire de Cédric Atlan sur le Web ?

Non. Je vais voir de temps en temps le site de Rémi, parce qu’il se démène pour faire ça et je trouve ça cool, mais non.

Tu ne cherches pas ce qu’on peut dire sur toi ?

Tous les "il se prend pour qui", "c’était cool", "je n’en ai rien à faire", ce sont des choses que je n’ai jamais lues.

Penses-tu que l'on peut conserver la même proximité avec le public, avec la notoriété ?

Oui. Elle se transforme, parce que ce ne sont pas les mêmes emplois du temps quand on est très connu, ce n’est pas le même entourage. Il y a aussi un danger de l’entourage, de surprotection. Et puis à un moment, quand tu es très connu, tu ne peux pas faire deux mètres dans la rue sans avoir un attroupement, sans avoir des demandes en tout genre. La plupart des gens sont bienveillants, mais la plupart du temps, ils empiètent sur ta vie privée. A la fois, il faut être là, parce que ce sont quand même des gens qui t’aiment bien, mais on se demande si c’est parce que tu es connu, ou si c’est parce qu’artistiquement, tu les as séduits, ou touchés, ou s’il y a ce rapport-là entre leur chaîne hi-fi, toi, ce que tu fais et s’il y a une boucle, ou si c’est juste parce que tu passes à la télé.

Il y a une question que je voulais te poser tout à l’heure d’ailleurs à ce sujet : est-ce que tu as eu l’occasion de discuter avec les personnes qui ont eu la chance d’être dans la lumière - comme Arnold Turboust à un moment - des avantages et des inconvénients qu’il y a d’être dans la lumière plutôt que de rester dans l’ombre ?

Non, je n’en ai jamais discuté, parce que ce n’est pas du tout quelque chose qui m’obsède ou que je cherche. Je vois ça vraiment comme une conséquence d’un projet qui a marché, d’un travail artistique qui a pu toucher les gens en plein cœur et du coup, un buzz qui se passe autour, et puis un tourbillon. Mais non, vraiment, ça ne m’obsède pas.

Tu sais que le site sur lequel cette interview va être diffusée est consacré avant tout à Jean-Jacques Goldman… En novembre 2003, il t’avait invité lors d’un Studio 22 sur RTL. J’ai eu l’impression qu’à ce moment-là, tu voulais lui dire quelque chose, et que tu n’as pas pu. Tu lui as dit que tu aimais beaucoup "Filles faciles" et "Nuit", mais j’ai eu l’impression que tu cherchais à lui en dire plus. Tu as eu l’occasion de lui dire ce qu’il représentait pour toi en coulisses ?

Je lui ai dit après mais, lui-même l’a décrit, il y a eu une espèce de pudeur qui fait que, même si je pense de belles choses sur lui, liées – et je ne le connais pas très bien - à son attitude, à la façon dont il se place dans ce monde-là, le recul, son espèce de sourire en coin sur cette lumière qui fascine toutes les mouches, et lui qui regarde ça de loin par rapport à ses textes, tout ce qu’il peut véhiculer comme belles émotions, des émotions qui rentrent comme ça et qui tournent d’un coup dans le ventre… Je ne sais plus quelle anecdote il racontait une fois sur Elton John… Je crois que c’est une séance avec Elton John, non ?

Oui. C’était lors de l’enregistrement de son premier album. Il connaissait tous les albums d’Elton John par cœur, il avait une envie folle d’aller le voir, et il n’a pas osé. Il trouvait que ce n’est pas plus mal de ne pas aller voir les artistes qu’on aime, pour ne pas être déçu.

Moi, ce n’est pas exactement cela. C’est plus par pudeur. [il hésite] Comment l’exprimer ? J’ai l’impression qu’en tant qu’auditeur, il y a un rapport privilégié avec les artistes qu’on écoute – même si je ne le connais pas, même s’il est seulement dans ma chaîne hi-fi ou dans mon iPod – il y a quand même une espèce d’intimité qu’on brise en allant dire, “ah, c’est super, c’est formidable…”. Tu vois ?

C’est un peu le miroir inversé de la notoriété. De la même manière qu’on vient te voir pour te dire, “tu es génial, Cédric Atlan, j’adore toutes tes chansons…”.

A la fois, ça fait plaisir, mais on se dit que sur quelqu’un comme ça qui doit recevoir ce genre de compliments dans tous les sens, à toutes les sauces, dans toutes les langues, c’est un peu briser cette fausse intimité – parce que ce n’en est pas une. Mais c’est avant tout par pudeur.

Pour revenir sur “Allons sur un banc” - qui se voulait avant tout un exemple – est-ce qu’on est venu te voir pour te dire, “il y a telle chanson qui m’a énormément marqué, pour telle raison, parce que je l’ai ressentie profondément” ? Je pense que le plus important, finalement, ce sont les chansons.

J’ai eu la chance de connaître ça. [il réfléchit] Pas sur “Playskool”… Sur “Suis-je normal”, j’ai eu ça…

J’imagine bien ! [rires] Ça a été mon cas… Sur “Q.I.”, sur “Bonnes questions”… ?

[il approuve] Sur “Bonnes questions”. Et vachement sur “Trois grammes”.

Je te l’ai déjà dit, mais “A trois grammes et demi du matin”, pour moi, c’est une chanson qui est aussi belle que “Quand tu danses”. C’est une des plus belles ballades qui ait été écrite en français…

Merci. J’ai eu ce genre de commentaires. Et là, c’est une flèche en or qui se plante très profond… Sur le deuxième album, je commence à en avoir sur “J’habite sur une elle”, sur “Les anges”, sur “Je pense donc je fuis”.

“Les regards obliques”est très intéressante dans la mesure où on pourrait croire que c’est une chanson très égocentrique… jusqu’à la chute ! [rires]

C’était voulu !

Une très bonne idée… Un bel hommage à Gainsbourg. Comment vois-tu l’avenir, pour finir ? Dans tes rêves les plus fous, ce serait quoi, l’avenir ?

[il hésite] J’ai fait cet album-là, je suis content qu’il existe. Après, je n’en ai aucune idée. Mais dans mes rêves les plus fous, c’est que ça barde ! Que ce soit diffusé, qu’il y ait une belle accroche, que les gens qui ont été autour de ce projet le revendiquent…

Et quel serait le plus beau compliment que l’on pourrait te faire ?

Sur cet album-là ?

En général…

C’est toi.

[un peu surpris] : C’est moi ?!?

Non. C’est toi. Qu’on me dise, “c’est toi” !

Ah, d’accord ! Qu’on te dise, “cet album, c’est toi” !

Je me suis battu pour ça, en tout cas.

Merci Cédric. Je te laisse le mot de la fin, si tu le souhaites.

Je suis content de t’avoir rencontré !

Merci !

C’était un moment bien agréable…

Peut-être un dernier message pour les nombreux fans de Jean-Jacques Goldman qui liront cet entretien… Qu’est-ce qui pourrait les convaincre d’écouter Cédric Atlan ?

C’est dur ce que tu me demandes ! [rires] En voyant cet homme-là, en voyant comment il se comporte dans la vie – en tout cas ce dont j’en perçois – je constate qu’on a la même approche. On n’est pas des mouches attirées par la lumière. On fait ce métier pour d’autres raisons, les vraies, je pense.

D’accord. Merci Cédric. A bientôt sur les routes !

[ Les regards obliques de Cédric sur sa musique ]

50 foot woman… Je voulais faire depuis longtemps une chanson comme ça, très scénarisée, assez grandiloquente, avec des cuivres, des cordes, un peu dans l’esprit de "Me and my monkey" de Robbie Williams. Je me suis servi d’un des premiers films de série Z, "Attack of the 50 foot woman", de Nathan Hertz Juran, dans lequel une femme, Nancy Archer, est triste : elle est trompée constamment par son mari et elle le sait pertinemment. Ça et le fait qu’il reste avec elle uniquement parce que c’est une riche héritière, pour son pognon… Donc cette femme vit un enfer, elle souffre vraiment de cette situation, elle se sent toute seule. Et l’histoire commence un soir, alors qu’elle rentre de son travail : elle est irradiée depuis sa voiture par un ovni, qui passe comme ça dans l’air, et à partir de là elle se met à grandir jusqu’à mesurer cinquante pieds. Je crois que ça fait quand même 15 mètres de haut, c’est donc un sacré colosse. Et comme elle se sait condamnée - parce que bon, quand on fait 15 mètres de haut, ce n’est pas hyper facile d’aller au McDo - elle décide de consacrer la dernière journée de sa vie pour se venger de son mari. Elle le cherche partout. L’histoire est assez surprenante, je vous l’accorde, mais je la trouve cool. Ce que j’aime bien aussi, c’est de parler de l’adultère de cette façon. Pour moi, de toutes les trahisons, c’est celle qui justifie le plus la vengeance, parce que c’est la plus intime. Et Dieu sait que la vengeance, c’est laid. Mais c’est comme si, quand on est marié ou quand on vit depuis longtemps avec quelqu’un et qu’on est trompé, il y avait un truc indélébile qui se marquait. En nous, on en veut à la personne… Je crois que c’est super humain, et que ça ne passe pas. Je trouve aussi qu’à la réécoute du titre, tout cet ensemble de musiques et puis la voix comme ça, en talkover, parlée, tout ça fait, en tout cas je le ressens, qu’on perçoit assez nettement le vide, la détresse dans laquelle se trouve cette femme… On est surtout content pour elle quand, à la fin, elle pousse le cabriolet de son mari et de sa maîtresse au fond du ravin.

Pop… C’est une espèce d’ode à la subversion. C’est très personnel, parce que je me rends compte que les moments dans la vie où je suis le plus malheureux sont toujours ceux où je suis contraint de rentrer dans le moule, de faire un peu comme tout le monde, en file indienne… Je déteste ça. Dans Pop, j’encourage les gens à sortir de l’autoroute, rien de plus. Enfin si, il y a quand même autre chose : je fantasme complètement sur les années 60-70 ; j’ai le sentiment qu’à cette époque, pour le coup "pop", tout était beaucoup plus rigolo, plus simple aussi. Peut-être que je fantasme sur cette période parce que je n’y ai pas vécu. Mais j’ai quand même le net sentiment que les gens dépassaient plus facilement les bornes, que c’était drôle, qu’ils transgressaient tout le temps le "socialement correct", les tabous. C’est pour ça qu’il y a des références à Polnareff, à Lennon, à cette époque-là. Aujourd’hui, c’est bizarre : à la fois il y a de moins en moins de tabous - en tout cas la limite pour les transgresser est beaucoup plus lointaine, donc au final moins drôle - et à la fois on est cernés dans les médias par les comités de censure. On n’a pas le droit de citer de marque – et je sais bien de quoi je parle avec Playskool. A la moindre caricature macho, on est épinglés par les féministes. Au moindre second degré religieux, toute une communauté nous tombe dessus. Quand on voit les atrocités que pouvaient sortir Desproges ou Coluche, qui étaient hyper drôles, aujourd’hui on en est loin. Enfin, Pop est une chanson légère, c’est surtout ça.

Pudiques… C’est une chanson sur la pudeur, et je sais bien de quoi je parle… En résumé, ce serait un peu l’art de ne jamais se livrer. C’est une chanson où j’oppose constamment les yeux et la bouche, ça en est le gimmick d’ailleurs. Pour moi, chez les gens pudiques, la bouche a l’art de brouiller les pistes, d’attirer l’attention ailleurs, de se cacher pour mieux se protéger. En revanche, quand on cherche la vérité, ce sont résolument les yeux qu’il faut regarder, parce c’est dans les yeux qu’on se dévoile et dans les yeux c’est impossible de feindre, tout se voit. Je me suis entre autres bien amusé avec les images sur la bouche, à la fin du titre. Ça a été un sacré bon vieux casse-tête aussi. Sinon, j’ai le sentiment que c’est celle qui fait le mieux le lien entre le premier album et Aparté Pop, une espèce de transition logique.

Pour “J’habite sur une elle”, en fait, j’avais l’image très claire des grandes épopées navales : le marin, à la proue du bateau, qui scrute depuis 23 jours l’horizon et aperçoit enfin la terre, les lèvres sèches. Le type qui ressuscite quoi. Je me suis amusé à comparer cette image avec le moment dans la vie où on rencontre la bonne personne, celle avec qui on envisage de vivre à deux, avec qui on a envie de se poser. Il y a une certaine sérénité, là dedans, que j’aime bien. Et puis c’est une chanson facile : sans mauvais jeu de mots, elle coule…

"Les regards obliques" se passent dans la rue. Déjà, je tiens à préciser que ce n’est pas une chanson mégalomane ou un pseudo complexe de célébrité, ce n’est pas du tout ça. Cette chanson parle de l’habitude dans un couple, du fait qu’au bout d’un certain nombre d’années, on ne voit plus l’autre. C’est une espèce de film dans lequel un garçon marche dans la rue et sent qu’on le regarde, qu’on le photographie, que des touristes le filment et il se demande bien pourquoi… Il va même imaginer qu’un journal l’aurait mis par erreur à sa une, ce genre de choses… Jusqu’au moment où, se voyant dans le reflet d’une vitre, il comprend que ce n’est pas lui que l’on regarde, mais celle qui est à côté de lui, en haut, et celle qu’il ne voit plus avec le temps, mais qui est toujours restée très belle.

"Les anges" : sans rentrer dans le privé, j’ai perdu récemment quelqu’un de très très proche, et je me suis demandé ce qu’il pouvait bien se passer après. Je crois que beaucoup de gens imaginent ça : l’au-delà. Dans un premier temps, j’ai imaginé la chronologie, comme ça, pour devenir un ange gardien : d’abord on meurt, l’âme monte, et avant d’arriver dans la sphère – une espèce d’endroit ou vivent les âmes entre elles - l’âme fait un passage obligé par le service militaire posthume, une étape dans laquelle elle apprend à être un ange gardien. Parallèlement à ça, j’ai dû rapprocher inconsciemment ce thème des difficultés que j’ai connues en 2005, où je me sentais un peu abandonné de la protection du ciel. A la fois, je ne pense pas être la seule personne à m’être pris des uppercuts et des coups de manche et de pelle en 2005, loin de là… mais bon, il y a quand même un peu de ça derrière. Au final, c’est un titre optimiste parce que je suis persuadé que, même si la main de Dieu s’écarte, elle finit par revenir au-dessus de nos têtes.

"Les filles s’émancipent" : c’est une chanson assez gonflée - que je revendique de toute façon - mais en tout cas, ce n’est pas un texte contre les femmes ! Ça porte plutôt sur la bizarrerie des garçons, notre « paradoxe », parce que, d’un côté, on est tous très heureux de l’émancipation des filles - ou alors on est un gros con- qu’elles se battent pour une égalité justifiée. Et d’un autre coté, c’est comme ça, notre désir et nos phantasmes nous rattrapent tout le temps. En gros, on ne pense pas qu’avec sa tête... C’est comme ça un garçon ! Et puis, on peut se dire aussi que c’est les aimer que de dire qu’on les désire, qu’on les phantasme… je trouve ! C’est vrai qu’il y a des mots chocs comme "kinésithéra-putes", "pharma-chiennes", mais je ne dis pas "chienne" sèchement comme ça : le principe de ma chanson est justement de déformer des professions, parce que ça donne aussi des trucs mignons, comme : "beaux-cul-mentalistes" pour "documentaliste" et puis le jeu de mots est aussi là : exprimer l’ambivalence des mecs, cette espèce de double image qu’ils ont de la femmes, à la fois très respectueux, voire craintif, mais à la fois très primaire... Dans le texte, c’est plutôt le côté primaire qui est exprimé mais dans l’interprétation - je ne sais pas si j’y suis arrivé mais en tout cas c’est comme ça que j’ai voulu faire - le côté un peu craintif des femmes que l’on met sur un piédestal. Et puis ça doit mettre ma mère sacrément mal à l’aise quand elle voit ses copines... Je les imagine lui dire : "dis donc, ton fils, il traite les filles de putes ! ", et rien que pour ça, ça me fait rire. Et puis, musicalement, c’est quand même à donf’ tout le temps... tant au niveau du texte que au niveau de la musique... tout ça, c’est quand même bien rock’n’roll !

"Allons sur un banc" : ça vient d’une scène anecdotique du quotidien. Ça vient d’une fille, que je connais très bien, qui a des rapports dirons-nous particuliers à la nourriture : soit elle n’aime pas - ce qui est souvent le cas - soit il y a trop de lipides, soit on n’associe pas la viande et les féculents... enfin bon, un enfer pour trouver le menu qui va bien. Du coup j’en ai fait ce titre, léger, bourré de jeux de mots, pour lui dire que l’important ce n’était pas ça, que la bouffe ce n’était pas grave, que l’important c’était qu’on continue à se manger des yeux, à s’aimer quoi...

"Je pense donc je fuis" : J’étais en vacances, je regardais la télé - je n’ai pas de télé chez moi - je suivais un reportage juste après la guerre en Irak, un sujet sur les apatrides, genre : "L’exil des populations juste avant les premiers bombardements". Et je voyais ces gens partir en laissant tout derrière eux : leur maisons, leur culture, souvent même une partie de leur famille... Enfin, c’était très gai quoi ! Et voilà, quelque part, ça a dû me marquer, j’ai eu envie de faire une chanson sur ça. Et dans le refrain, "je quitte ce que j’ai pour sauver ce que je suis", j’ai voulu parler du courage dans la fuite, d’une manière plus générale. Parce que, usuellement, la fuite est associée à la lâcheté et, bon, quand on quitte ses racines, sa langue, les siens, c’est évidement du courage. Je pense que personne ne le remet en cause... en gros, c’est une porte ouverte... Mais je crois que c’est aussi transposable dans le couple ou le travail. En fait, quitter son confort, ses habitudes, ce n’est pas forcément de la faiblesse. Je ne dis pas non plus que c’est tout le temps du courage : le type qui laisse tomber ses enfants, sa femme pour suivre la même en plus jeune, ce n’est pas vraiment du courage ! Mais voila, j’ai essayé de parler de ça... Je n’ai jamais de musique en réserve parce que je commence toujours par les textes. Plus le temps passe, et plus ça se confirme : c’est vraiment ça mon moteur, c’est vraiment ça sur lequel je me penche d’abord. C’est le point de déclenchement de toute chanson. Mais dans cette chanson, le gimmick, je l’avais depuis longtemps, je le tournais sans cesse... Et puis, un truc comme ça qui tourne sans cesse, ce n’est finalement pas évident d’y mettre de nouveaux accords, d’imaginer la progression harmonique… Je pensais que je n’en ferai jamais rie... Et puis si, c’est justement le gimmick de "Je pense donc je fuis"... Comme quoi !

"Marie-Alice la Marocaine", c’est une chanson d’amour, encore une allégorie, une métaphore entre le sentiment amoureux et la toxicomanie. J’ai tenté de décrire d’un côté l’état de manque quand, par exemple, on attend désespérément un coup de fil, et les espèces de sauts de cabri qu’on fait dans une pièce quand ça sonne, enfin ! C’est surtout vrai, je crois, dans la passion, parce que les états dans lesquels on se met quand on est passionné, je me demande si c’est parce qu’on est très amoureux, ou si c’est parce que, au fond, on a hyper peur de se faire plaquer... Enfin, je pense que l’on oscille entre les deux, c’est ce qui fait que c’est aussi électrique à l’intérieur. C’est aussi un clin d’œil à "l’homme à la tête de chou", à Gainsbourg, comme ça, à la fin de l’album.

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J'ai mis du temps à le commencer, mais j'ai enfin lu ton interview de Cédric Atlan. Très très très sympa. Et très original. Très spontané. Un véritable échange. On rêverait de lire plus d'interviews de ce style, mais évidemment, il faut trouver l'artiste qui s'y prête. J'ai bien évidemment commandé l'album aujourd'hui. Il m'a fallu un moment pour le trouver, car il n'est disponible qu'en ligne sur son site. C'est une précision qui aurait peut-être été nécessaire (à moins que je l'ai loupée, et dans ce cas je n'ai rien dit). Tu pourrais peut-être l'ajouter au début de l'interview. J'ai aussi beaucoup aimé son premier album. Je me réjouis d'autant plus d'écouter celui-là !

Cédric Bourquard, le 17 septembre 2006


 

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