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Entretien avec Khanh Mai
(Exclusivité "Parler d'sa vie" / "taiphong.com")

Entretien avec Khanh Mai
Exclusivité "Parler d'sa vie" / "taiphong.com"
Saint-Leu-La-Forêt, 26 janvier 2001 Questions, interview et retranscription de Ludovic Lorenzi

Ludovic Lorenzi : On va commencer par le début. A quel âge avez-vous commencé la musique ?

Khanh Mai : Moi, j’ai commencé le piano à huit ans, jusqu’à l’âge de 14 ans. Après, j’ai fait de la guitare à quinze ans, et puis ça n’a pas arrêté. Jusqu’à maintenant.

Ludovic Lorenzi : Et en ce qui concerne Taï ?

Khanh Mai : Taï, il a commencé le piano quand il avait neuf ans, et de la basse à quinze ans. A l’époque, en fait, le premier groupe de Taï Phong, ça s’appelait "Mousson".

Ludovic Lorenzi : Je voulais justement vous poser la question. Quand vous étiez adolescent, vous avez formé le groupe Mousson. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?

Khanh Mai : On était encore au lycée et pendant les vacances, on jouait sur la plage. Et, bien sûr, il y a des copains qui viennent et c’est comme ça qu’on a rencontré des autres musiciens. Le batteur, il tapait sur une valise et, à la fin des vacances, on s’est dit "Tiens, ça serait bien de former un groupe". Ce sont des copains de vacances. Certains habitaient à Paris, et nous on étaient à Sceaux. C’est là qu’est né le premier groupe, avec mon frère et moi. L’année suivante, on a fait le championnat de l’Ile de France des orchestres, à Sceaux, dans le parc de Sceaux. Il y avait une quinzaine de groupes chaque année, et on a remporté le premier tremplin. C’était assez sympa, parce que, en moyenne, on avait seize ans d’âge. L’année d’après, on se représente, on regagne, deuxième fois. Et la troisième année, c’était très très bien fait. Ils ont fait deux podiums dans le parc de Sceaux : pendant qu’un groupe jouait, le groupe suivant se préparait. Et ça dure tout l’après-midi, jusqu’à minuit. Les gens qui entraient avaient un bulletin de vote et votaient pour le groupe qu’ils préféraient. Il y avait également un jury qui votait. Troisième année, on gagne encore et la quatrième année, le maire de Sceaux nous a dit "Les enfants, laissez la place aux autres". On avait tellement l’habitude de gagner qu’ils se sont dit "Bon, il faut arrêter". Et, en fin de compte, ça tombait bien parce que l’année d’après, on devait passer nos bacs, et les parents nous ont dit "C’est bien d’arrêter la musique et de se consacrer aux études". Justement, la troisième année, il y avait un groupe de pros qui s’appelait "Les Dauphins". Et eux, ils étaient tellement impressionnés, qu'après le tremplin, ils m’ont proposé de remplacer leur guitariste qui partait au service militaire. J’ai remplacé le guitariste pendant les vacances et après, j’ai pu m’acheter une guitare.

Ludovic Lorenzi : Vous avez passé votre bac, vous avez suivi un groupe. Taï, lui, est parti en Angleterre pour se roder musicalement. C’était vers quelle période ? Début 70, non ?

Khanh Mai : Oui, début 70. Donc, mon frère partait en Angleterre, parce que lui, c’est un voyageur. Du jour au lendemain, il dit "Bon, je vais partir"… aux Etats-Unis ou à Londres. Mais avec rien, c’est à dire que, il prend sa guitare et il part en stop. Il arrive, par exemple, en Angleterre et là, il sonne à la porte des gens et il leur demande "Est-ce que je peux dormir dans votre jardin ?". Alors les gens disent, "Ben, oui pas de problème". Il cherche un coin, il dort et pendant la journée, il va jouer dans les pubs. Pour lui, c’est la belle vie. Donc, il joue, les gens lui donnent de quoi manger et il est content comme ça. Et quand il revient en France, combien de fois il joue dans les métros. Pour lui, c’était ça.

Ludovic Lorenzi : Encore maintenant ?

Khanh Mai : Encore maintenant, oui [rires].

Ludovic Lorenzi : Et il a toujours vécu comme ça, toute sa vie ?

Khanh Mai : Non, sauf à la période où il a travaillé pour la BNP. Là, non, il ne pouvait pas [rires]. Mais son caractère est comme ça. Lui, il n'a besoin de rien, pourvu qu’il puisse composer… Je trouve que c’est le meilleur compositeur du groupe. Parce qu’il compose vraiment des trucs… Quand il compose un morceau, c’est souvent tout seul au piano ou à la guitare, et quand on l’écoute, on dit "Oh mais, c’est tellement bien…". D’ailleurs, il y a un morceau où, sur l’album, il joue tout seul, où il n'y a pas besoin d’autre chose. C’était… attends, je ne me rappelle plus…

Ludovic Lorenzi : Sur quel album ?

Khanh Mai : Le deuxième. Je vais te dire ça. [Il prend le CD de "Windows"]. "Last chance". Quand on avait entendu le morceau la première fois, on s’est regardé, avec Jean-Jacques, on dit "Mais, il n'y a rien, nous on ne joue pas". C’était flagrant. On a dit "C’est toi qui joue, nous on a même pas besoin de jouer avec… deux guitares ou trois guitares, vraiment pas besoin".

Ludovic Lorenzi : J’avais effectivement remarqué que sur les deux premiers albums, le plupart des compositions étaient de lui.

Khanh Mai : Alors, oui, justement, ce que peu de gens savent, c’est comment on choisissait les morceaux. C’était vraiment de façon démocratique. C’est-à-dire que, par exemple, chacun proposait une dizaine de morceaux et on devait voter pour le morceau qu’on préférait mais pas les siens. Donc, à bulletins secrets. Donc, moi, par exemple, je votais pour un morceau de Jean-Jacques, et Jean-Jacques votait pour un morceau de Taï. Et à la fin, on se retrouvait avec cinq titres. Parce que chacun votait pour un titre, et c’étaient les cinq titres qui étaient pris sur l’album. Donc, c’était vraiment de façon démocratique. Et malheureusement, les titres qui restaient, souvent, étaient mis à la poubelle. Et pourtant, il y avait des supers trucs.

Ludovic Lorenzi : Vous pouviez les réutiliser pour les albums suivants, non ?

Khanh Mai : Oui, en fait, on a utilisé un morceau. C’est "Saint-John’s Avenue" qui était prévu sur le premier album. Comme il n’y avait plus de place pour faire ce morceau là, on l’a gardé pour le deuxième. En fait, de l’histoire de Taï Phong, c’est le seul morceau qui a été mis sur l’album d’après. Sinon, tous les autres titres qu’on avait composés n’ont jamais été enregistrés.

Ludovic Lorenzi : Pourquoi six titres, parce que même à l’époque, les vinyles permettaient quand même de mettre jusqu’à… je dirais 45 minutes de musique. Vous auriez pu en mettre sept ou huit. C’était volontaire que vous mettiez six titres ?

Khanh Mai : Oui. En fait, je travaillais à l’époque chez Barclay et je faisais faire les gravures de disques, aussi bien à la prise de son que tous les montages. Et quand tu es graveur de disques, tu sais que si tu veux graver un bon niveau, il ne faut pas que cela dépasse vingt minutes par face. Donc, c’était fait exprès de limiter le nombre de morceaux. Tout simplement. Je sais qu’on peut graver beaucoup plus de musique, mais après, tu es obligé de baisser le volume du son. Et donc, tout est pensé à l’avance, quoi… [rires]

Ludovic Lorenzi : Tout était calculé. Avec les CD, vous allez avoir plus de possibilités. Là, on va en revenir au début de Taï Phong, la création du groupe, je dirais. En fait, vous créez Taï Phong en 1972, trois ans avant les premiers disques. Au début, vous étiez avec Taï et deux autres copains. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette période ?

Khanh Mai : Il y avait aux claviers un Anglais qui s’appelait Less, je ne me rappelle plus de son nom de famille, et qui, lui, débarquait d’Allemagne. Il a lu une annonce dans Melody Maker. Il débarquait d’Allemagne avec son orgue Hammond à la gare. On a répété avec lui, et l’autre, c’était un chanteur guitariste qui, lui aussi, avait été recruté par annonce dans Melody Maker. Il venait de Los Angeles, était chanteur-guitariste et très bon compositeur… Il avait une méthode de travail qu’on ne connaissait pas. Avec lui, on a répété à l’américaine. C’est à dire que quand on faisait un morceau, on travaillait l’intro du morceau jusqu’à ce que ce soit parfait. C’est à dire que cela pouvait durer une semaine ou deux. Tant que les quinze première secondes n’étaient pas parfaites, on n’avançait pas. Et avec lui, on s’est dit, "Finalement, c’est une très bonne chose parce qu’on exploite totalement les possibilités d’une intro ou d’une fin d’un morceau". Donc, il est resté un an avec nous. Et le troisième, le batteur, c’était un copain qui habitait pas loin de Sceaux, il était à Bagneux, et il s’appelait Philippe. Voilà, le début de Taï Phong, c’était comme ça.

Ludovic Lorenzi : Ensuite, vous avez eu des problèmes avec ces personnes là, avant d’embaucher d’autres personnes.

Khanh Mai : Oui. On répétait trois fois par semaine dans notre cave. Jusqu’au jour où j’ai senti qu’on était prêts. Et là, j’ai fait venir un producteur de chez Barclay – comme je connaissais tout le monde chez Barclay – qui s’appelait François Bernhaim, qui s’occupait à l’époque des Poppies, un groupe de jeunes chanteurs français, un genre de chorale. Il est venu nous écouter répéter un soir, et à la fin de la répétition, il a dit "Pour moi, c’est super. Vous jouez très très bien en live mais en studio, je ne sais pas ce que cela va donner. Alors, si tu veux, Khanh, rendez-vous la semaine prochaine au studio Ferber à Paris et on va faire une maquette pour voir si sur bande c’est aussi bien". Donc, d’accord, rendez-vous la semaine d’après au studio. On est arrivés à 19 heures le soir et on a enregistré jusqu’à sept heures du matin, toute la nuit. Je me rappelle, on a enregistré quasiment live, c’est à dire qu’il n’y avait pas de re-recording, tout était en direct. Bon, ça s’est très bien passé. Le lendemain, il me rappelle, il me dit "En fin de compte, ce ne sera pas la maquette, ce sera le disque, voici les contrats". Il m’envoie le contrat, je le fais lire à mon frère et à un avocat. Et l’avocat nous a dit "Il ne faut pas signer". Parce qu’il y avait plein de clauses qui n’allaient pas, genre si on vendait moins de tant d’exemplaires, on était obligés de rembourser les frais d’enregistrements, etc… Là dessus, j’ai dit à François Bernhaim "On ne peut pas signer un contrat comme ça, il faut modifier telle ou telle clause". Et lui, il ne voulait rien entendre, donc on a dit "Dans ces conditions, on ne signe pas". Il n'était pas content. Il a dit "Je garde la bande. Vous n’aurez aucune trace de ce que vous avez fait, qui était super, mais tant pis pour vous". Les autres n’ont pas compris. Ils ont dit "Ah, mais on a travaillé pendant plus d’un an pour faire ça et tu ne veux pas signer". L’organiste, Less, l’Anglais est parti. Quelques mois après, c'est le tour de John, le chanteur. Son groupe de Californie débarquait en France. Là-bas, en Californie, il y avait tellement de groupes qu’ils avaient du mal à percer. Ils se sont dit "Comme John est en France, on va aller en France, habiter quelques années. Et on va essayer de percer en France". Quand John a appris que son groupe débarquait, il a dit "C’est moi le leader du groupe, je me dois de les rejoindre". Et il est parti. Et c’est comme ça qu’on a dû re-auditionner quelqu’un d’autre. On a trouvé Jean-Alain qui habitait à Sceaux, pas loin, et qui jouait très très bien. Donc, il a remplacé vraiment… même mieux que Less… aux claviers. Et un soir, il y avait des amis communs qui ont amené Jean-Jacques. Jean-Jacques nous écoute répéter et à la fin de la répet, il nous dit "Je n’ai jamais vu un groupe aussi au point, est-ce que je peux essayer avec vous ?". Là dessus, on dit "Pas de problème, on essaye". Et là, c’était Taï Phong.

Ludovic Lorenzi : Et Stéphane ?

Khanh Mai : Alors Stéphane… Ah oui, ça personne ne le sait. On avait signé, entre-temps, chez Barclay pour trois ans. Le directeur artistique qui s’occupait de nous était en conflit avec les autres directeurs artistiques de chez Barclay. On avait enregistré un 45 tours, c’était, je crois, au mois d’avril.

Ludovic Lorenzi : 1975 ?

Khanh Mai : Non, bien avant. Bien avant WEA. C’était chez Barclay. Et donc, comme il était en conflit, les autres l’empêchaient de sortir le disque. Nous, on attendait le mois de juin. On s’est dit "Mais quand est-ce que le disque sort ?". Après, on s’est dit "Ça y est, ils ne vont pas le sortir pour l’été". Du coup, on s’est dit "Puisque c’est comme ça, vous nous laissez partir". Alors, bien sûr, Léo Missir, qui était le bras droit d’Eddy Barclay, a dit "Non, pas question. Vous avez signé pour trois ans. Vous attendez qu’on sorte votre disque, mais c’est nous qui choisissons la date". Nous, on a dit "On n’a pas le temps d’attendre quoi que ce soit". Donc, on a vu un premier avocat qui dit "On ne peut rien faire". Deuxième avocat qui dit "Ah, c’est pas facile de se dégager d’un contrat comme ça". D’autant plus que les deux titres qu’on avait enregistrés étaient aussi bien que "Sister Jane". On a vu un troisième avocat qui, lui, était spécialisé dans les contrats d’enregistrement. Et lui, il a pu trouver la faille. Et, donc, en septembre, il nous a fait partir de chez Barclay. Ça, personne ne le sait.

Ludovic Lorenzi : Et le disque, qu’est-ce qu’il est devenu ?

Khanh Mai : Il n'est jamais sorti. Il est resté chez Barclay.

Ludovic Lorenzi : C’était quel morceau ?

Khanh Mai : C’était un morceau qui s’appelait "Melody".

Ludovic Lorenzi : Qui est resté inédit.

Khanh Mai : Oui, qui est resté inédit [rires].

Ludovic Lorenzi : Vous n’en avez pas une copie chez vous ?

Khanh Mai : Le problème, quand tu enregistres pour une maison de disques et que tu es en désaccord, c'est qu'ils ne te refilent rien. Il faudrait qu’on le rejoue un de ces jours. On se rappelle du morceau. C’est un morceau qui a été composé par Taï et Jean-Jacques. En septembre, on a pu partir. On était contents mais la condition, c’était qu’ils gardaient les deux titres. Mais nous, on pouvait partir. On s’est dit "On s’en fout, on peut recomposer d’autres morceaux sans problème". En septembre, vu les malheurs qu’on a eu avec les producteurs et les maisons de disques, on s’est dit "Maintenant, on sort de notre poche l’argent nécessaire pour faire une maquette et avec ça, on va démarcher nous-mêmes les maisons de disques". On rentre en studio le soir. Toute la nuit, on enregistre. On a fait trois titres. C’était… Attends, je vais te dire les titres qu’on avait enregistrés à l’époque. C’était "Out of the night", "Saint-John’s avenue" et… attends, je ne me rappelle plus. Oui, il y avait un autre titre qu’il n'y avait pas sur les albums. Donc, on a enregistré trois titres dont l’ensemble faisait vingt minutes de musique. Après, je suis allé démarcher les maisons de disques. Je suis allé voir Motors, qui était la maison de disques de Christophe. Le patron de Motors m’a dit "Ok, super. Voilà le contrat". Je vais voir une deuxième maison de disques. Barclay avait changé de direction. Ils ont dit "Oui, pas de problème". Mais on se méfiait d’eux. Chez Phonogram – parce qu'entre- temps j’avais changé de maison de disques et je travaillais pour Phonogram, où je m'occupais de Vangelis – le PDG m’appelle et me dit "Khanh, j’ai écouté la maquette que vous avez faite. Demain, on déjeune et on discute du contrat". Le lendemain, je vais chez lui et après le repas il me dit "Voilà le contrat". Je lui dis "Je vais le lire tranquillement". Chez Phonogram, à l’époque, tu signais pour sept ans. Pour moi, c’était trop long. Et puis, j’ai vu plein de maisons de disques, six maisons de disques en tout. Et les six maisons de disques ont dit "Ok, on est d’accord, voilà le contrat", à chaque fois. On étaient vraiment très contents, on s’est dit "Ça, ça devrait marcher". Il y avait une seule maison de disque que je n’avais pas vue, c’était WEA, où il y avait Yes, les Doobies, les Rolling Stones. Pour nous, c’était vraiment les super groupes. Un soir, je débarque chez WEA à 19 heures, sans rendez-vous, sans rien – après mon boulot, quoi – avec la maquette sous le bras. C’était des bandes Revox. A l'accueil, la standardiste me demande si elle peut m'aider. "Oui, oui. Je voudrais voir le responsable des groupes". Alors elle me dit "Est-ce que vous avez rendez-vous ?". Je lui réponds que non. Elle me dit "asseyez-vous là. Je vais voir ce que je peux faire". Elle appelle quelqu’un et me demande de patienter. Je patiente et je vois les gens qui partaient, tout le monde partait. C’était l’heure de fermeture. J’attends encore un quart d’heure, puis même la standardiste partait. J’étais tout seul. Au bout d’un quart d’heure, un gars arrive et dit "C’est vous qui demandez à voir quelqu’un pour les groupes". J’ai dit "Ben oui". "Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?". "Je fais partie d’un groupe et j’ai une maquette là". "Si vous avez quelque chose à me faire écouter, je veux bien". Il était déjà plus de 20 heures. Il m’amène dans son bureau et, à l’époque, les bandes étaient sur une carte deux pouces avec une bobine, soit un noyau qu’il fallait mettre, soit un truc normal. Et lui, il n'avait pas d’adaptateur sur son Revox. On a dû faire le tour des bureaux pour trouver l’adaptateur sinon on ne pouvait pas écouter la bande. Il fait le tour puis il trouve, il met la bande sur le Revox, il met play et il me tourne le dos. Il écoute le premier morceau, et à la fin du premier morceau, pas de commentaire, il ne dit rien. Il écoute le deuxième, pareil, il ne dit rien. Il écoute le troisième morceau, quand arrive la fin, il se retourne et la première chose qu’il me dit : "Est-ce que vous avez des propositions ailleurs ?" [rires]. Je lui dit "Oui, on a quelques propositions ailleurs". Et tout de suite, il a dit "Ne signez pas, parce que pour moi c’est ok ! Par contre, je vous demanderai d’attendre demain parce qu’il faut que je fasse écouter au PDG pour voir s’il est d’accord ou pas". Le lendemain, il m’appelle et me dit "Le PDG est emballé, on est d’accord pour signer. Rendez-vous tel jour pour discuter du contrat". On était vraiment très très contents. Et en fin de compte, je suis bien tombé : C'était [Dominique Lamblain], le responsable de l’international chez WEA. C’est à dire qu’il s’occupait de Yes, des Rolling Stones, des Doobies, alors je ne pouvais pas mieux tomber.

Ludovic Lorenzi : Et Stéphane dans l’histoire ?

Khanh Mai : Stéphane ne s’occupait de rien puisqu’il est rentré après. C’était le dernier à entrer dans le groupe. On l’a auditionné sur une quinzaine de batteurs. A l’époque, il avait quinze ans et pour nous, c’était le meilleur batteur. En fait, à l’époque, c’était surtout moi qui démarchait les maisons de disques. Après, pour les contrats, on discutait entre nous, Taï, Jean-Jacques et moi.

Ludovic Lorenzi : Là, vous étiez partis pour le premier album. Apparemment, vous l’avez enregistré, d’après ce que j’ai lu, en trois semaines. C’était dû au fait que vos maquettes étaient déjà très avancées ? Le studio n’était plus qu’une formalité ?

Khanh Mai : Non, on a pris beaucoup plus de temps que ça. Ce n’est pas trois semaines, c’est genre trois mois. On a discuté des conditions pendant trois mois. Alors, la maison de disques nous disait "Vous êtes pires que Véronique Sanson", qui était dans la même maison de disques que nous. Parce que son père est avocat. Et nous, comme on s’est fait avoir deux fois, on épluchait chaque clause. Chaque fois, on disait "Cette clause là, ça ne nous convient pas". Et à la fin, on leur disait "Voilà, nous, on est des musiciens amateurs. On fait de la musique parce qu’on adore faire de la musique mais si ça ne marche pas, on préfère retourner à nos jobs respectifs". On gagnait bien notre vie, donc on ne voulait pas s’éterniser dans le monde de la musique si ça ne marchait pas. On leur a dit "Voilà la clause, c’est que si le premier 45 tours se vend à moins de 200 000… on s’arrête. Le contrat est rompu. Par contre, si on vend plus de 200 000, on resigne pour trois ans". Et là, ils n'ont pas compris, ils ont dit "Mais, ça n’existe pas des contrats comme ça. On signe pour trois ans, pour cinq ans, pour sept ans… mais jamais pour un disque". Et on leur dit "Nous, on veut cette clause là parce que si ne ça marche pas, ça veut dire qu’on est des mauvais. Et dans ce cas là, nous on n’insiste pas. Soit parce que vous n’avez pas fait la promotion nécessaire pour que ça marche". Et au bout de quelques semaines, ils ont dit "Bon, d’accord, on va faire cette clause là. Et comme les négociations traînent depuis trois mois, ils nous demandent ce qu'on peut bien vouloir de plus. Et on leur a dit "Ben, on aimerait bien avoir le Moog" qui venait de sortir aux Etats-Unis. C’est un synthé qui était très très bien, utilisé par Yes… tous ces groupes là. Ils ont dit "Bon, d’accord, un Moog sur le contrat" [rires]. Ils l’ont fait venir des Etats-Unis, le Moog. Là, on a signé. Et c’est très drôle parce que "Sister Jane" n’était pas composée. On a commencé à faire quelques concerts pour voir la réaction de public. Premier concert, dans une MJC. Il y avait sept groupes, cinquante personnes, ça a très bien marché. Deuxième concert, il y avait un autre groupe et nous et là il y avait une centaine de personnes. Troisième concert, peut-être un mois après, à Antony. Tu sais, à la fac d’Antony, il y a une salle un peu comme le Palais des Sports mais en plus petit. Et là, on était tout seuls et c’était plein. La salle était pleine. Et la maison de disques est venue voir et puis ils ont dit "Eux, ils assurent sur scène et sur disque". Mais Jean-Jacques, il vomissait. Jean-Jacques, il vomissait tellement il avait le trac… Moi, j’allais aux toilettes tous les quarts d’heure mais lui…

Ludovic Lorenzi : Il arrivait à tenir quand même, malgré tout ?

Khanh Mai : Oui, une fois sur scène ça allait. Mais c’est avant, quoi. C’est pour ça qu’il a fait de la scène très très tard. Quand on a sorti le premier album, il ne voulait pas faire de scène. Il disait que c'était trop dur. Physiquement, il ne voulait pas faire de scène". Et puis, on n’avait pas de sono non plus. Parce que, à l’époque, il n'y avait pas de location de sono. On a dû attendre jusqu’au deuxième album pour avoir l’argent qui rentre des albums pour acheter une sono. Mais Jean-Jacques ne voulait toujours pas faire de scène. Et comme tu sais, notre façon de voter faisait que forcément, tous les titres qui n’étaient pas pris allaient à la poubelle. Jean-Jacques était frustré, tout comme chacun d’entre nous, de ne pas pouvoir mettre plus de titres. A la fin du deuxième album, Jean-Jacques nous a dit que la meilleure façon pour lui de placer ses titres, c’était de faire une carrière solo. Il est parti du groupe et on a auditionné pour trouver un remplaçant et c'est Michael Jones qui l’a remplacé.

Ludovic Lorenzi : Justement, à propos des remplaçants. J’avais lu dans un article qu’au départ, vous n’aviez pas Michael Jones mais deux autres personnes. Un qui s’appelait Lionel Lemarie – que vous appeliez Charlie et qui chantait – et Marc Perrier qui était à la guitare. C’était des intermédiaires ?

Khanh Mai : Oui, parce que comme on ne trouvait pas un seul musicien qui fasse chant et guitare, on a dû trouver un chanteur et un guitariste. C’était juste pendant quelques mois, comme ça. Mais ce n’était pas la formule idéale. Donc, après, on a pris Michael.

Ludovic Lorenzi : On va revenir au premier album. Vous l’aviez sorti en 1975, au mois de juin, mais le premier single "Sister Jane" est sorti en même temps ou quelques mois après ? D’après ce que j’ai lu, il serait sorti en septembre.

Khanh Mai : C’est sorti un peu plus tard, parce qu’ils ont vu que le morceau marchait. Donc, ils l’ont sorti en 45 tours.

Ludovic Lorenzi : Vous avez fait des promos télévisées, la radio aussi. Est-ce que "Sister Jane" était beaucoup diffusée en radio ? Et à propos des télés, est-ce que vous aviez beaucoup de passages ?

Khanh Mai : Non, en télé, on a eu les principales émissions qu’on connaissait à l’époque : Guy Lux, Drucker… Ce genre là, mais pas énormément. En discothèque, ça marchait fort et pour la presse, on a eu une bonne presse. Je sais que la maison de disque nous disait "Il n'y a qu’un seul journal qui a dit du mal, c’est Midi Libre – ou quelque chose comme ça – où le gars a dit qu’il n’y a que "Sister Jane" qui soit bien".

Ludovic Lorenzi : Donc, vous avez promotionné "Sister Jane". Dans les passages télévisés que je vois, août 1975, novembre 1975, février 1976, vous êtes passés dans les émissions de Guy Lux, et après plus rien. Est-ce qu’il y avait un problème de promotion par la suite pour les albums suivants ? Khanh Mai : Oui, tout à fait. Il y avait un problème suite au départ de Dominique Lamblain qui était le responsable de l’international pour WEA. En fait, c’est grâce à lui qu’on a signé. Jean Mareska a été commis d’office pour s’occuper de nous pour les albums mais il était plutôt là pour réserver le studio ou pour réserver le restaurant… Musicalement, il ne s’occupait pas de nous dire "Voilà, tu as chanté faux…".

Ludovic Lorenzi : Il ne vous donnait pas de direction musicale. Il était producteur sur le contrat, simplement. Après "Sister Jane", vous avez sorti un deuxième single qui s’appelait "North for winter". Comment expliquez-vous l’échec ?

Khanh Mai : Pas de promotion. On a fait une télé avec, c’est tout. Du fait que Dominique Lamblain était parti, il n’y avait personne qui s’occupait de faire de la promotion.

Ludovic Lorenzi : Est-ce que vous pensez qu’avec la promotion, les albums suivants auraient mieux marché, comme par exemple le single "Games", extrait du deuxième album ?

Khanh Mai : Ah oui, tout à fait. Moi, je pense que c’est uniquement une question de promotion. Parce que je pense que les titres suivant "Sister Jane", on a fait aussi bien. Par exemple, "Dance", je trouve que c’est le meilleur slow de Taï Phong, où c’est Taï et Jean-Jacques qui chantent. C’est parce qu’il n’y a pas eu de promotion.

Ludovic Lorenzi : Avant de sortir le deuxième album, vous avez composé le jingle de "Salut les copains". Comment est-ce arrivé ?

Khanh Mai : C’est tout bête. J’avais des interviews avec des journalistes de "Salut les copains". En discutant comme ça, il me dit "Vous pourriez pas faire une musique pour le générique ?". Moi, j’ai dit "Ben oui, on peut". C’est souvent comme ça. On discute avec des gens puis ils nous demandent. On a même failli faire la musique du film "Dune".

Ludovic Lorenzi : De Jodorowsky ?

Khanh Mai : Voilà. Mais, à l’époque, c’était en…

Ludovic Lorenzi : 1973, j’ai entendu parler de ce projet.

Khanh Mai : Voilà, à l’époque si le film se faisait, c’était nous qui faisions la musique.

Ludovic Lorenzi : En fait, à l’époque vous étiez en concurrence avec Pink Floyd. Parce que Jodorowsky, à un moment, est allé voir Pink Floyd qui était en train d’enregistrer "Dark side of the moon"… enfin, avant, en 1973… C’est marrant comme anecdote.

Khanh Mai : Oui, c’est marrant. Je me rappelle, on était au studio Ferber et on a vu un des responsables du film, qui est venu exprès. Et, malheureusement, ils n’ont pas tourné le film. Ils ont tourné quelques années après.

Ludovic Lorenzi : Ce n’était plus Jodorowsky mais Lynch.

Khanh Mai : Voilà, c’est ça. Mais, à l’époque, si le film s’était fait, on aurait fait la musique.

Ludovic Lorenzi : Quand vous avez sorti "Games", c’était encore un slow. Vous pensiez qu’au niveau des singles, vous étiez un groupe de slows ? Vous étiez plus à l’aise dans les petits formats pour les slows ?

Khanh Mai : Oui, je pense qu’on est plus à l’aise pour le slow. D’autant plus qu’on a toujours adoré les tubes, genre "A whiter shade of pale", "When a man loves a woman". Pour nous, c’est le rêve de faire des trucs comme ça. On aime bien les slows.

Ludovic Lorenzi : Ensuite, il y a eu les premiers concerts. Vous aviez eu quelques problèmes à régler comme le départ de Jean-Jacques, dont on a parlé avant. Le départ de Jean-Alain Gardet, là aussi a posé problème. Vous avez eu du mal à le remplacer. Vous lui avez même couru après pour qu’il vienne faire les concerts.

Khanh Mai : Oui. Bon, Jean-Alain, il est parti parce qu’il est tombé amoureux d’une fille qui habitait à Limoges, tout bêtement [rires]. On était à quelques semaines d’un concert important à Créteil. On s’est dit que pour le remplacer… personne ne pourra le remplacer comme ça si vite. Et, on a dû prendre six claviers et répartir les morceaux sur les six claviers. Et parmi les six claviers, il y a Angelo [Zurzolo]…

Ludovic Lorenzi : Déjà ?

Khanh Mai : [rires] Déjà. …qui a joué "Sister Jane" sur scène. On s’est perdu de vue 25 ans et on s’est retrouvé là sur le dernier album.

Ludovic Lorenzi : Le premier concert, vous l’avez fait en avril 1977, à la Maison des Arts de Créteil. Comment était l’accueil, quelle ambiance y avait-il ?

Khanh Mai : Super, super. On jouait une semaine après Magma, au même endroit et la directrice de la salle de Créteil nous a prêté la salle pendant une semaine pour qu’on répète. Cela a été fabuleux, parce qu'en plus, on avait un décor de scène avec trois carapaces de samouraï, où on mettait tous les amplis à l’intérieur. On avait un écran où on projetait des diapos. Et on avait des plantes vertes en plastique pour faire le décor de scène. Dans le centre commercial de Créteil, il y avait un fleuriste qui nous a prêté des vraies plantes vertes pour le concert. Il a rempli la scène avec ça. Et ça, c’était un souvenir incroyable. A l’époque, j’avais un assistant qui s’appelle Gérald, qui est un gars très très bien. Il est devenu ingénieur du son par la suite, et là, on s’est retrouvés il y a deux semaines. On s’est perdus de vue pendant 25 ans. Grâce à Internet, on s’est retrouvés, et il sonorise pour Chico des Gipsy king. Il tourne depuis cinq ans avec eux dans le monde entier. Il m’a dit "Pas de problème, si vous faites un concert, je viens". Alors lui, il est top parce qu’il sait exactement les réglages que je fais pour les sons de Taï Phong, donc il fait pareil.

Ludovic Lorenzi : Il y en a donc deux qui étaient partis, Jean-Jacques Goldman et Jean-Alain. Comment sont arrivés… Michael Jones, c’était pour remplacer Jean-Jacques Goldman pour les concerts, ensuite il est resté pour les disques… et en ce qui concerne Pascal Wuthrich ?

Khanh Mai : Michael a fait quelques concerts avec nous. Et ça ne s’est pas très bien passé parce que, comme il devait monter très très haut… Michael n’arrivait pas à monter et donc sa voix se cassait. A la fin de la tournée, j’ai dit "On arrête là parce que c’est beaucoup moins bien qu’avant, donc ce n’est pas la peine de décevoir le public en jouant comme ça". Là dessus, mon frère part du groupe. Et comme Jean- Jacques avait fait quelques disque solo qui n’ont pas marché, il est revenu dans le groupe. Peu de gens le savent. Jean-Jacques est revenu pour le troisième album et comme mon frère était parti, on a dit à Michael, "Michael, tu ne veux pas faire de la basse ?". Il a dit "Pas de problème". Donc, Michael a fait de la basse en remplacement de mon frère.

Ludovic Lorenzi : Il a chanté aussi puisqu’il chante sur quelques morceaux. Il a même composé sur le troisième album. Avant le départ de Taï et de Jean-Alain, il y a eu un quatrième single qui s’appelait "Follow me", un premier single disco. Pourquoi un titre disco ? C’était la volonté du groupe ou une compromission avec la maison de disques ?

Khanh Mai : C’était un peu les deux parce que, comme on n’avait plus personne qui s’occupait réellement de nous et que le disco marchait à fond, surtout avec les Bee Gees, on s’est dit "Nous aussi on aime bien les Bee Gees" [rires]. Donc, on a fait le morceau. Oui, je vais rajouter quelque chose. Comme il y a eu des tensions pour le choix des titres sur les deux premiers albums, sur le troisième album, j’ai dit "Chacun donne un titre". Et puis voilà, question ego, tout le monde est satisfait. Ce qui fait que, malheureusement, je trouve que les titres ne sont pas à la hauteur des deux premiers albums. Parce que certains musiciens sont plus prédisposés à composer que d’autres. Ludovic Lorenzi : Après "Follow me", il y a eu un autre single. Cinquième single donc, "Back again", face A, signé Jean-Jacques Goldman et face B "Cherry", signé… euh… [je désigne Khanh] [rires]. C’était le premier disque avec Pascal et Michael, plus dans la lignée du style de Taï Phong parce que ce sont des titres à peu près lents. Et ça faisait donc deux singles de suite. A l’époque, il n’était pas question d’un album ? A en croire les propos de Jean Mareska dans une interview de 1994, il a fallu vous motiver pour faire ce troisième album. Non ?

Khanh Mai : Non, non. C’était juste, si tu veux… bon, c’est vrai, on était moins motivés que le deux premiers parce qu’il y a eu le départ de Jean-Jacques et puis le départ de mon frère. Mais on le faisait facilement, on avait de quoi faire… les titres. Seulement, bon, on a pris un titre de chacun.

Ludovic Lorenzi : Le troisième album "Last flight", c’est un album assez décousu, selon les critiques. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, mais c’est vrai qu’il n’y avait pas de vrai cohérence. On a vu que chacun, effectivement, a écrit des chansons, dont Stéphane qui a écrit son premier morceau. Même Pascal qui a co-composé un titre avec Michael. Et Michael Jones aussi qui a écrit des titres. Par contre, la participation des musiciens sur chaque titre est quand même plus épisodique. Si on regarde le crédit des musiciens qui est détaillé par titre. Par exemple, on voit que Jean-Jacques est absent sur "How do you do" et sur "Thirteenth space". Et vous, vous êtes absent sur "Sad passion" et "Thirteenth space". Est-ce que personne ne croyait vraiment à cet album, il n’y avait plus de motivation ? C’était un peu comme les Beatles à la fin ?

Khanh Mai : Oui, c’est à peu près ça. Et puis, il y a certains titres que je n’aimais pas. Je disais "Bon, qu’est-ce que je peux faire là dessus. Autant que ce soit Jean-Jacques ou Michael qui fassent les parties de guitares". Et ainsi de suite, quoi. C’est sûr, il y a des titre où je ne jouais pas parce que je disais "Mais, ça ne correspond pas à ce que je fais habituellement". Et pareil avec Jean-Jacques.

Ludovic Lorenzi : Ensuite, dans la foulée, vous avez sorti un sixième single. Le sixième et dernier single, qui s’appelait "Fed up". Pourquoi avoir fait ce dernier single ? C’était pour la forme ?

Khanh Mai : Non, c’est parce que quand on avait des titres qu’on aimait bien, on l’enregistrait. Non, ce n’était pas pour la forme.

Ludovic Lorenzi : Entre deux, vous aviez fait un maxi 45 tours qui s’appelait "Rise above the wind", un disque de démonstration. Qu’est- ce qui vous a conduit à faire ce disque ? Khanh Mai : C’est très simple. A l’époque, j’étais critique de guitare pour la revue "Sono". Et pour le salon de la musique, le rédacteur en chef de "Sono", Jean-Paul Poissillon, m’a dit "Khanh, tu n'aurais pas une idée pour le salon de la musique ?". Et j’ai dit "Ben, si. On peut faire un disque où on offrirait aux lecteurs de "Sono"… dans lequel on montrerait les étapes d’un enregistrement d’un morceau". Donc, j’ai composé un morceau exprès pour eux et on peut entendre chaque musicien, des parties de piano, de batterie, de guitare… etc. Et petit à petit, le morceau se construisait, et à la fin, tu avais le morceau complet. Cela a été enregistré à Hérouville.

Ludovic Lorenzi : Hérouville, dans le Calvados ?

Khanh Mai : Non, Hérouville, ce n’est pas très loin d’ici. C’est un studio mythique parce qu’il y avait les Bee Gees, Pink Floyd qui ont enregistré là-bas. Et il y a aussi le fantôme du château [rires]. C’était très très marrant parce qu’on commençait le matin et arrivé à la nuit, tout le monde était fatigué. Sauf moi, J’étais à la console pour faire le mixage mais tous les autres commençaient à dormir. J’étais le seul éveillé et je savais que, d’après la légende, vers minuit, tu entends le fantôme qui joue du piano.

Ludovic Lorenzi : Vous l’avez entendu ?

Khanh Mai : Non, je redoutais l’heure. Je regardais l’heure tout le temps et arrivé à minuit, rien [rires]. Et donc, c’est un disque fait pour "Sono". Il y a une face où tu entends la musique et l’autre face, c’est des bruits, bruits blancs et bruits roses pour régler les platines.

Ludovic Lorenzi : Là, je vois que vous n’êtes que quatre musiciens. Il manque Michael Jones. Vous vous étiez mobilisés comment ?

Khanh Mai : En fait, Michael Jones n’était pas encore dans le groupe.

Ludovic Lorenzi : On va parler de quelque chose de triste : de la séparation. Séparation de fait ou officielle ? Comment l’avez-vous vécue ?

Khanh Mai : En fait, il n'y a jamais eu de séparation officielle. Chacun est resté dans ses occupations. Et puis, on avait un problème de contrat avec l’éditeur qui était le même éditeur que la maison de disques. Ils nous ont fait du chantage et nous, on n’a pas apprécié donc, on n’a pas pu faire un quatrième album.

Ludovic Lorenzi : C’était prévu ?

Khanh Mai : Sur le contrat, on avait signé pour cinq ans. Et, en fait, il n’y avait pas de nombre d’albums précisé. On pouvait aussi bien faire cinq albums que six ou plus. Mais comme on a eu des problèmes d’édition, on était vraiment fâchés. On s’est dit "Pas question d’enregistrer pour eux". C’est surtout Dominique Lamblain qui est parti… Grâce à lui, on avait signé. Une fois que sur le navire, tu n’as plus le capitaine… On s’est dit "Plus personne ne s’intéresse à ce qu’on fait, ça ne sert à rien qu’on enregistre. Heureusement, Jean- Jacques est parti chez CBS, et c’est comme ça qu’il a démarré. Parce qu’avec les disques qu’il a enregistrés chez WEA, ils n'ont pas fait de promotion pour lui.

Ludovic Lorenzi : C’est justement ce que Jean-Jacques reprochait à WEA, c’est que ça manquait de promotion. Par la suite, il a enregistré ses disques solo et que… "Il suffira d’un signe", il y a eu de la promotion quand même pendant huit mois avant que ça ne marche. Il a quand même pas mal galéré aussi à ce niveau là. Vous, de votre côté, qu’est-ce que vous avez fait ? Apparemment, d’après ce que j’ai lu, vous teniez un magasin d’instruments de musique, ainsi que des rubriques dans des revues. Et vous aviez formé un groupe qui s’appelait Contact, vous auriez fait un album avec ?

Khanh Mai : Pour ce qui est du magasin, oui, c’est vrai. J’ai ouvert un magasin. Pour ce qui est de Contact, je ne connais même pas le groupe, non. Alors, là [rires], je n’ai jamais fait autre chose que du Taï Phong.

Ludovic Lorenzi : Entre deux, est-ce que vous avez refait de la musique, des maquettes…?

Khanh Mai : Tout le temps. Je n’ai pas arrêté de faire des maquettes parce que j’aime tellement composer que j’en ai plein les tiroirs de maquettes. Donc, j’ai composé pour des personnes, comme ça, ou pour moi. Ludovic Lorenzi : Il y a une question que j’ai oubliée. C’est à propos de Jean-Alain Gardet qui a formé un groupe qui s’appelait Alpha Ralpha. Est-ce que ça vous dit quelque chose ? Vous avez participé à son disque ?

Khanh Mai : Oui. Alpha Ralpha, c’était un groupe composé par un journaliste de Rock & Folk, et Jean-Alain a fait des parties de claviers. Et j’ai dû faire des chœurs avec eux mais pas plus que ça.

Ludovic Lorenzi : En 1984, a lieu, je dirais, la "résurrection" de Taï Phong, puisque grâce au succès de Jean-Jacques Goldman, WEA ressort une compilation qui s’appelle "Les années Warner" qui inclut trois titres de Taï Phong : un extrait de chaque album, la ressortie de "Sister Jane" en 45 tours, et la réédition des titres solos de Jean- Jacques Goldman. Il y aussi le magasine "Chanson" de juin 1984, qui vous interviewe. Qu’est ce que ça vous a rapporté ? C’est vrai qu’on ne pouvait pas vous laisser pour compte dans l’affaire, puisque vous êtes le fondateur du groupe, et celui qui a écrit "Sister Jane", le seul succès du groupe. Qu’est-ce que ça vous a apporté personnellement ?

Khanh Mai : En fait, je ne connais pas cette interview là. Non, je ne connais pas.

Ludovic Lorenzi : Je vous l’ai montrée tout à l’heure. Dans "Chanson". Elle est de 1984.

Khanh Mai : Ah, oui. Je ne me rappelle pas.

[Nous nous levons pour aller consulter les coupures de presse que j’avais apportées. On regarde l’article en question. Khanh me dit qu’il s’agit d’un montage de vieux articles]

Ludovic Lorenzi : En fait, pas d’interview en 1984. Là, on remonte en 1985. Décembre 1985, Zénith de Jean-Jacques Goldman, et il vous invite à monter sur scène. Il y a Stéphane aussi, il y a Pascal et apparemment, il y aurait Lang qui a conçu vos pochettes de disques.

Khanh Mai : Non, il n’y avait pas Lang. Il y avait un pianiste qui s’appelait Philippe.

Ludovic Lorenzi : Comment ça s’est fait ? Comment en êtes-vous arrivés à monter sur scène ?

Khanh Mai : C’est tout bête. J’avais rendez-vous avec Jean-Jacques pour… parce qu’il m’avait dit "Tiens, je n’arrive pas à faire sonner "Sister Jane" sur scène". Parce qu’à l’époque, il avait des musiciens qui ne savaient pas très bien jouer ce type de musique. Et donc, il m’a dit "Tu ne pourrais pas venir en répet pour montrer comment on doit jouer". J’y suis allé et, là dessus, je lui ai fait écouter des morceaux que je composais – parce que je composais sans arrêt des morceaux – et ça l’a emballé. Il me dit "Tu ne veux pas venir au Zénith ?". Et là, j’ai dit "Bon, d’accord". Mais au départ, je devais venir tout seul. Et après, j’ai demandé "Est-ce que les autres peuvent venir ?". Il me dit "Oui, oui, ils peuvent venir aussi". Voilà comment ça s’est fait.

Ludovic Lorenzi : On retrouvait là en fait, avec Jean-Jacques Goldman, Michael Jones, plus les autres, le groupe Taï Phong de 1979 au complet. Qu’est-ce que ça vous a fait ?

Khanh Mai : C’était bien, et un peu frustrant parce qu’on n’a fait qu’un morceau.

Ludovic Lorenzi : Est-ce que c’est suite à ça qu’en 1986 vous avez ressorti un disque ? Comment avez-vous fait les démarches pour faire le 45 tours que vous avez sorti, "I’m your son" ? chez Vogue. Vous n’avez pas eu trop de problèmes pour trouver une maison de disques ?

Khanh Mai : Non, en fait, j’avais retrouvé la trace de Dominique Lamblain qui nous a signé et qui travaillait chez Vogue. Lui m’a dit "Ecoute, moi je peux m’occuper de ça". Et comme il était toujours en relation avec Jean Mareska, on a fait ça chez Vogue. Tout simplement.

Ludovic Lorenzi : Est-ce que vous attendiez le succès ? J’imagine que oui, puisqu’un album était prévu. Il est annoncé un album "Return of the samouraï". Pourquoi n’est-il jamais sorti ?

Khanh Mai : Il n'est jamais sorti parce que ce disque là n’a pas marché. Et, en fait Vogue avait quasiment arrêté. La maison de disques a pratiquement arrêté, ce qui fait que… ça plus le disque qui n’a pas marché, l’album qui devait suivre ne s’est pas fait.

Ludovic Lorenzi : Vous l’aviez enregistré ?

Khanh Mai : Non.

Ludovic Lorenzi : Vous aviez des maquettes ?

Khanh Mai : Oui, on avait des maquettes mais… on ne les a pas gardées.

Ludovic Lorenzi : Sinon, le groupe officiel, d’après ce que je vois [Je lui montre le dos de la pochette de "I’m your son"], vous n’êtes que deux : Khanh et Stéphane. Et, musicien additionnel : Pascal (Wuthrich). Pourquoi est-ce que Pascal ne fait pas partie officiellement du groupe ? C’est une question de contrat ?

Khanh Mai : En fait, Pascal était un peu trop gourmand. Si tu veux… il a réclamé des parts de compositeur alors qu’il avait pas composé les morceaux. Nous, on n’était pas d’accord là dessus. Lui, il avait un studio d’enregistrement, donc il était rémunéré en tant qu’ingénieur du son et les frais de studio lui appartiennent mais il voulait en plus des parts pour les compositions. On n’était pas d’accord là- dessus et c’est pour ça qu’il ne faisait pas l’affaire. Sinon, il jouait très très bien.

Ludovic Lorenzi : Et comment est venue l’idée de faire participer Jean-Jacques Goldman à la chanson ?

Khanh Mai : L’idée, c’est que, jusqu’à présent Jean-Jacques était toujours là. Et ça n’a pas été facile parce qu’il était très très pris. On a pu l’avoir un soir, et puis il est venu pour faire les chœurs à la fin de "I’m your son". C’était super d’ailleurs.

Ludovic Lorenzi : Toujours chez Vogue en 1987, Stéphane Caussarieu sort un 45 tours, avec deux titres en français. On a quelques sonorités de Taï Phong mais dans l’ensemble, c’est de la variété. Est- ce que vous avez participé à ce disque ?

Khanh Mai : Non, pas du tout. Je n’étais même pas au courant qu’il avait sorti un disque.

Ludovic Lorenzi : En 1993, vous réenregistrez "Sister Jane" pour une compilation qui s’appelle "Génération slows" chez Flarenach. Qui vous l’avait demandé ? Est-ce que c’était déjà avec Hervé Acosta ?

Khanh Mai : En fait, ce qui paraît incroyable, c’est qu’on n’a pas joué du tout. Il n’y avait qu’Hervé qui a chanté.

Ludovic Lorenzi : Ah bon !!

Khanh Mai : Oui [rires]. On n’était pas au courant. C’est un truc fait par Jean Mareska. Il a fait une compilation et je crois que c’est pour éviter l’autorisation de la maison de disque WEA qu'il a fait la compilation avec Hervé, avec des musiciens de studio. Moi, je ne l’ai su qu’après.

Ludovic Lorenzi : On l’a quand même crédité à Taï Phong.

Khanh Mai : Oui, ça m’a surpris aussi mais on ne peut rien dire. Mais je ne savais pas du tout. Cela m'a permis de connaître Hervé. En écoutant, j’ai dit "Mais Hervé, qu’est-ce qu’il chante bien" [rires].

Ludovic Lorenzi : C’est comme ça que vous auriez rencontré Hervé Acosta. Et, c’est comme ça que vous avez décidé de collaborer avec ?

Khanh Mai : Oui, tout à fait. Parce qu’en fait, quand on a arrêté avec Michael, c’est parce que, vocalement, il ne pouvait pas chanter les parties de Jean-Jacques. Et pour moi, ça ne servait à rien, si on faisait de la scène et qu’on doit rejouer les anciens morceaux tels que "Going away", tout ça… Et Hervé, lui, il y arrive sans problème. Il monte encore plus haut que Jean-Jacques, s’il veut. Pour moi, c’était le chanteur idéal pour succéder à Jean-Jacques. D’autant plus qu’il est vraiment très très gentil et très très bon.

Ludovic Lorenzi : Vous l’aviez rencontré en 1993. Pourquoi avoir mis autant de temps avant de faire un disque ? Il y a eu beaucoup de démarches ?

Khanh Mai : Oui, il fallait déjà composer les morceaux, faire les maquettes. J’étais à Paris dans un studio chez Copellia et on a fait des maquettes en 24 pistes. On a fait facilement une dizaine de titres. Et avec ça, on a dû… après, pendant que j’enregistrais les maquettes… on n’avait plus de pianiste, donc il fallait en retrouver un. Grâce au directeur de studio, on a retrouvé Angelo [Zurzolo] qui avait joué avec nous parmi les six pianistes avant. Donc, je me rappelle, j’avais composé "Lisa" et… je lui ai envoyé la maquette de "Lisa". J’ai envoyé la maquette au pianiste de Balavoine qui devait l’orchestrer et il me l’a renvoyée un mois après, mais mauvais, vraiment un truc très très mauvais. J’ai envoyé ça à Angelo. Deux jours après, il me la renvoie parfaite. J’ai dit "Bon, Angelo, tu n’as pas changé. Tu viens avec nous pour faire l’album".

Ludovic Lorenzi : On va parler des rééditions par WEA des trois albums de Taï Phong. Déjà, en 1987, ils avaient ressorti "Les années Warner" en CD. Est-ce que vous y avez participé, est-ce qu’on vous a posé des questions et pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour ressortir ces albums là ?

Khanh Mai : Non, en fait, moi je n’étais pas du tout au courant puisqu’on ne faisait plus partie de la maison de disques. Et donc, c’est eux qui ont décidé eux même de sortir les disques. Et je pense que si les albums sont ressortis en CD, c’est grâce aux Japonais, puisque les Japonais ont devancé la France. Ils ont ressorti les albums en mettant les singles et comme ça marchait bien, la maison de disques en France a sorti aussi les albums en version française.

Ludovic Lorenzi : Qu’est-ce que vous pensez du fait que les Japonais aient réédité cinq titres de plus sur les deux premiers albums. C’est à dire des titres comme "North for winter", "Let us play", "Dance", "Back again", "Cherry". En fait, des titres qui n’étaient pas inclus sur des albums au départ. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Khanh Mai : Moi, je les admire. Avoir l’idée de faire ça, c’est super. Je sais qu’ils nous adorent. Donc, s’ils ont fait cela c’est que…

Ludovic Lorenzi : Je ne vais pas poser la question de savoir pourquoi on n’a pas réuni tous les titres hors album sur une compil. Il faudrait plutôt poser la question à WEA, en fait. Khanh Mai : Oui.

Ludovic Lorenzi : Le nouvel album, "Sun", 2000, sorti 21 ans après le précédent. Il a coulé de l’eau sous les ponts. Hervé Acosta, vous l’aviez rencontré en 1993. Angelo, on a su que vous le connaissiez déjà depuis 25 ans. Quelles sont vraiment les circonstances qui vous ont conduit à faire cet album ? Apparemment, il y a eu une série d’opportunités qui ont fait ça. Il y avait aussi la volonté, parce que vous n’avez jamais arrêté de faire des maquettes. Vous avez fait combien de maisons de disques, cette fois-là ?

Khanh Mai : Je crois qu’on a fait… En fait, je n’ai pas fait les maisons de disques. C’est Jean Mareska qui a démarché. Je ne sais pas combien de maisons de disques il a fait. Moi, je suis juste allé voir Sony, c’est tout.

Ludovic Lorenzi : Il n’y a pas eu de problème à ce niveau là. Il y a eu moins de tracas administratifs ?

Khanh Mai : Non, je pense qu’il y avait autant de problèmes. Mais, comme ce n’était pas moi qui m’en occupais, je voyais moins les problèmes que Jean Mareska. Le problème de l’album, c’était que beaucoup de maisons de disques avaient la consigne de sortir des artistes qui chantaient en français. Beaucoup de maisons de disques nous ont dit "Mais pourquoi ne chantez-vous pas en français ?" Nous, on a toujours chanté en anglais. On ne va pas changer notre style habituel. On continue de chanter en anglais. C’est pour ça que l'album a mis un certain temps à sortir. Ludovic Lorenzi : Dans le nouveau groupe, Stéphane Caussarieu semble avoir pris une place plus importante, puisque maintenant, il compose et il chante. D’après ce que j’ai entendu dire… (parce que dans le dernier album, on a oublié le crédit des auteurs-compositeurs) apparemment ce serait vous et Stéphane qui auriez composé l’essentiel des titres. Alors, j’en ai déduit… Je ne sais pas si j’ai bien déduit… J’en ai déduit que les titres chantés par Stéphane sont composés par Stéphane et les titres chantés par Hervé sont composés par vous. Est- ce que ma déduction est bonne ?

Khanh Mai : Oui, tout à fait. C’est ça. Le seul titre qu’Hervé chante et qui est composé par Stéphane c’est "Lady love". Sinon, tous les titres qu’il chante lui, c’est lui qui les a composé.

Ludovic Lorenzi : Sinon, toujours pareil, il y a quand même beaucoup de slows. Je vous ai demandé si vous vous sentiez plus à l’aise dans ce style. Est-ce que c’est encore le cas maintenant ?

Khanh Mai : Oui, [rires] tout à fait.

Ludovic Lorenzi : Pourquoi avoir repris "Sister Jane" ? Est-ce que la chanson est vraiment devenue incontournable ?

Khanh Mai : Je pense que oui. En fait, on avait enregistré l’album et il était fini. Et c’est la maison de disques qui a insisté pour qu’on refasse une nouvelle version de "Sister Jane". Ludovic Lorenzi : En ce qui concerne Pascal Wuthrich, pourquoi est-ce qu’il n’est plus dans le groupe alors qu’il était présent en 1986 ?

Khanh Mai : Hé bien, comme je t’ai dit tout à l’heure, pour lui, même s’il ne composait pas, il voulait un pourcentage sur les droits d’auteur. Et nous, on ne fonctionne pas comme ça. On dit "Celui qui compose, il a le mérite de composer donc, c’est à lui que reviennent les droits d’auteur". Par contre, les royalties, ça c’est partagé en cinq.

Ludovic Lorenzi : Jean-Alain Gardet, l’album lui est dédicacé mais il n’est pas présent dans le groupe. Pourquoi ?

Khanh Mai : Parce qu’il est décédé. Je ne me rappelle plus il y a combien de temps. Je crois, une dizaine d’années.

Ludovic Lorenzi : Vous avez un gros succès au Japon. Cela a toujours été le cas puisqu’ils ont été les premiers à rééditer les albums. Même à l’époque, les Japonais avaient fait de bonnes critiques, paraît-il, dans les années 70 sur les albums de Taï Phong. Est-ce que ça vous déçoit que ça marche mieux au Japon qu’en France ?

Khanh Mai : Bien sûr, on aimerait bien que ça marche plus en France parce que le pays est plus grand. Mais bon, on ne peut pas aller contre l’avis des gens, du public.

Ludovic Lorenzi : Est-ce que vous pensez que ce n’est pas dû à un manque de promotion ? Parce que l’album "Sun" a eu une sortie discrète. Dans les bacs des disquaires, c’est assez mitigé. Parfois, on trouve un bac spécialement réservé à Taï Phong, d'autres fois, on le retrouve dans les bacs de Jean-Jacques Goldman. Et c’est vrai qu’ils l’ont pas spécialement mis en avant non plus. On ne l’a pas entendu à la radio. Alors, est-ce que ça ne vient justement pas de la promotion ? Khanh Mai : Si. A chaque fois que ça ne marche pas pour nous c’est parce que la maison de disque n’a rien fait. Par exemple pour "Sono", c’est moi-même qui ai dû démarcher auprès de "Sono" parce que je les connais. Sinon, ils ne font rien. [NDLL : le soir même, Khanh avait rendez-vous avec un journaliste du magasine "Sono"]

Ludovic Lorenzi : On va parler des projets. Vous avez une série de concerts qui est prévue. Pour l’instant, d’après ce que vous m’avez dit, il n’y a pas beaucoup de dates de prévues. Mais vous cherchez à faire une vraie tournée pendant deux ans.

Khanh Mai : C’est cela. On est en pourparler pour trouver un tourneur. Une fois qu’on aura trouvé, on va faire quelques dates. Mais toujours dans des bonnes conditions parce que sur scène, on sera neuf.

Ludovic Lorenzi : Comme la dernière fois ?

Khanh Mai : Comme la dernière fois, oui, au 287.

Ludovic Lorenzi : Est-ce que vous pensez, après avoir fait une série de concerts, que ça pourrait éventuellement lancer le succès du groupe. C’est vrai que Taï Phong est un groupe mythique… enfin, tout le monde connaît le nom mais c’est vrai que ça ne fait pas forcément tilt chez les acheteurs.

Khanh Mai : C’est vrai, les gens connaissent plus le titre que le nom du groupe. Et je pense que si on arrive à bien tourner, l’album peut bien décoller.

Ludovic Lorenzi : Donc, un nouvel album de prévu. Est-ce que vous prévoyez la sortie d’un album live ? Khanh Mai : Pourquoi pas. C’est possible, s’il y a la demande on pourrait le faire.

Ludovic Lorenzi : Cela se fera en fonction de circonstances.

Khanh Mai : Bien sûr. Mais déjà, pratiquement tous les titres du prochain album sont composés. Il n’y a plus qu’à enregistrer.

Ludovic Lorenzi : Comment composez-vous un titre ? D’où vous vient l’inspiration ? Est ce que ce n’est pas trop difficile d’écrire en anglais ?

Khanh Mai : Non, pour moi ce n’est pas difficile parce que j’ai habité l’Angleterre pendant quatre ans. De l’âge de dix ans jusqu’à quatorze ans. J’étais pensionnaire dans un collège anglais, donc je parle couramment l’anglais. Pour composer en anglais, il n'y a pas de problème. Pour la musique, je peux composer aussi bien dans la voiture que n’importe où. J’ai déjà composé dans un piano bar alors qu’il y avait un orchestre qui jouait. Et là, je m’assois à une table et je compose. Ludovic Lorenzi : Alors, c’est comme Prince, vous avez de quoi faire au moins douze albums d’avance ?

Khanh Mai : Pas autant mais… Je compose aussi très bien quand… quand, par exemple, on me dit "Tiens, Khanh, demain il faut que tu composes une chanson". Et là, je vais passer la nuit mais je vais sortir la chanson. Pratiquement sur commande [rires].

Ludovic Lorenzi : Sinon… j’avais la liste de tous les morceaux que vous avez écrit ou co-écrit avec votre frère. Je poserais bien une question sur chaque chanson si vous vous en rappelez. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire cette chanson-là, comme "Games", par exemple ?

Khanh Mai : "Games", il n’y avait rien qui m’inspirait. Non, c’était juste… J’ai dû prendre la guitare et puis les notes sont venues. Le refrain… ah, oui, je me rappelle. Le refrain, ça m’est venu quand je travaillais chez Phonogram. J’étais en train de faire un mixage et puis j’avais le refrain qui passait dans la tête. Après le boulot, je l’ai marqué.

Ludovic Lorenzi : Et "Sister Jane" ?

Khanh Mai : "Sister Jane" a été composée en répétition, en une demi- heure.

Ludovic Lorenzi : En ce qui concerne "Cherry" ?

Khanh Mai : "Cherry" ? [Il réfléchit] Oui, c’était un soir où il pleuvait beaucoup. J’étais assez triste et cela m’a inspiré cette chanson.

Ludovic Lorenzi : "Rise above the wind", on en a parlé tout à l’heure.

Khanh Mai : Oui. "Rise above the wind" a été faite pour "Sono". Donc, il n'y avait rien de spécial. C’était juste pour qu’il y ait plusieurs progressions dans le morceau. Les lecteurs de "Sono" pouvaient ainsi voir la progression, ce qu’on peut faire avec tel ou tel instrument, la guitare synthé qui venait de sortir à l’époque alors que maintenant, j’ai le dernier modèle de guitare synthé.

Ludovic Lorenzi : "Saint-John’s avenue" ? Co-écrit avec Taï.

Khanh Mai : Oui. Alors, celui là, c’est parce que mon frère allait souvent en Angleterre. Cela l’a inspiré pour faire cette chanson.

Ludovic Lorenzi : "Out of the night" ? Aussi écrit avec Taï.

Khanh Mai : "Out of the night", c’est inspiré par, plutôt, Pink Floyd. Et on voulait chanter à deux. Il n'y a rien de spécial là-dedans.

Ludovic Lorenzi : "Last flight" ?

Khanh Mai : "Last flight", j’étais assez branché soucoupes volantes, c’est pour ça que le titre s’appelle "Last flight". C’est plutôt quelqu’un qui est dans un navire spatial et il ne sait pas s’il peut retourner sur terre. Le texte est un peu comme ça.

Ludovic Lorenzi : Sinon, le dernier, "Broken dreams" ?

Khanh Mai : Alors, "Broken dreams", c’était… euh… Ludovic Lorenzi : 1986.

Khanh Mai : Oui, oui, je me rappelle mais le… J’essaie de me rappeler comment est venu le titre. Oui, j’avais programmé un rythme sur une boîte à rythme et avec ça, j’ai composé un morceau.

[Un grand merci à Khanh pour sa collaboration]


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