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Narcisse et Goldman
(Extrait de "Nos amis les chanteurs 2 : le retour")

Narcisse et Goldman
Extrait de "Nos amis les chanteurs 2 : le retour"
Thierry Séchan, 1994 Retranscription : Benjamin Broucke

"Zanetto, lascia le Donne, e studia la matematica" Zulietta à Jean-Jacques, in "Les Confessions", de Jean-Jacques Rousseau, livre septième (1)

Jean-Jacques Goldman n'aime pas qu'on le critique. C'est son droit le plus strict. A tout hasard, je lui signalerai que la meilleure façon de ne pas être critiqué, c'est encore de ne pas s'exposer à la critique. Critique-t-on le passant anonyme ? Critique-t-on le brave travailleur qui marche, sombre, vers un destin sans famille, c'est-à-dire sans destin ? Jean-Jacques veut bien qu'on l'applaudisse, qu'on le congratule, mais il ne veut point qu'on émette la moindre réserve sur son oeuvre, plutôt sympathique au demeurant, même si ce n'est qu'une oeuvrette. Allons, un peu de modestie, Gigi !

Ainsi, il y a un peu plus d'un an, à l'occasion d'un palpitant séminaire sur la chanson ("La chanson dans tous ses états") organisé par le journal Chorus, indigeste pavé trimestriel financé par Charles Pasqua, Goldman exposa sa conception hystériquement narcissique de la critique. Ce fut si bête que cela méritait que je m'y attardasse.

Jean-Jacques n'est pas poli

La scène se passe à la campagne. Ambiance cool et sympa. Autour d'une table rectangulaire en carton (je n'y étais pas, donc j'ai le droit d'inventer), six personnages en quête de hauteur de vue. Au cours du débat, on atteindra l'altitude de la Beauce. Six Beaucerons, donc, mais aussi six bosseurs, quatre chanteurs sérieux comme des papes et deux journaleux joyeux comme des popes. Autour de la table en caoutchouc mousse, assis par ordre de calvitie : Jean-Jacques Goldman, Yves Simon, Alain Souchon, Francis Cabrel, Fred et Mauricette Hidalgo. On échange des bons mots, on sourit pour la photo. Yves Simon est content parce que, pour la première fois de sa vie molle, il joue dans la cour des grands. Normalement, c'est Renaud qui aurait dû occuper son fauteuil en rotin, mais, Mauricette étant fâchée avec moi, les fiers Hidalgo ont décidé de ne pas l'inviter. En représailles. C'est mon ami Marc Robine qui me l'a dit. Bien. On s'amuse comme des fous, disais-je. "Quel avenir pour les chanteurs français ?" lance en gros le maigre Hidalgo. "Aucun, sauf pour nous !" répond la bande des quatre, et chacun pouffe dans son coin, mais Yves Simon un peu moins. "Et la critique, les gars, qu'est-ce que vous en attendez ?" Réponse de Jean-Jacques Goldman : "Moi, la seule chose que j'attends d'un article sur la musique, comme d'un article sur la Bosnie-Herzégovine ou sur la coupe du monde de foot, ce sont des in-for-ma-tions, rien d'autre. Le prochain album d'Alain Souchon va sortir ; bon, ce que j'attends d'un article qui lui sera consacré, ce sont essentiellement de informations, c'est-à-dire de savoir ce qu'il y a dans ce disque, s'il y a des chansons lentes, des rapides, comment est l'orchestration, de quoi parlent les textes, qui a fait quoi, etc., même sans aller trop dans le technique, mais des informations ! Ensuite, si le critique veut ajouter quelques lignes de son propre goût - dont je n'ai absolument rien à foutre -, bon, libre à lui si ça le défoule, il peut dire qu'il aime, qu'il aime pas, qu'il adore ou qu'il exècre, mais ça n'est pas très important ce que pense X ou Y ou Z ; ce dont on a besoin, nous, c'est d'informations, ensuite on achètera le disque et on est assez grands pour avoir notre propre opinion sans chercher à l'imposer aux autres..." Voilà donc la position de Jean-Jacques Goldman, pourtant grand donneur de leçons devant l'Éternel : on ne cri-ti-que pas, en tout cas pas lui ! Ce point de vue est tellement scandaleux - et tellement stupide - que Souchon va réagir vigoureusement : "C'est pas la critique, ça ! Il y a une critique qui juge les romans, les pièces de théâtre, les films... Pourquoi pas les chansons ? La critique, c'est pas ce que tu dis, c'est pas juste de l'information, c'est quelqu'un qui donne son avis personnel ; que ce ne soit pas très important, d'accord, mais c'est autre chose... Moi, à chaque fois qu'il m'arrive de lire de bonnes critiques, je suis content : lorsqu'elles sont mauvaises, ça me tue, mais je n'en tiens pas du tout compte dans ma vie artistique..."

On imagine Goldman un peu gêné aux entournures, transpirant dans son fauteuil en skaï. Mais il ne baisse pas les bras, le bougre ! Il insiste : "Mais à part ce qu'on écrit sur toi, en tant que simple lecteur tu n'as pas envie d'avoir d'abord des informations ? Comme de savoir, pour un film, s'il est en couleurs, s'il est en noir et blanc, s'il dure trois heures..."

On voit le genre : "Le cuirassé Potemkine" est un film en noir et blanc, il dure un certain temps. Passionnant.

Alain Souchon - brave pépère - persiste et signe : "Mais c'est bien aussi que quelqu'un donne son avis..."

Jean-Jacques n'en démord pas : les critiques sont des nuls, surtout celui qui a écrit "Jean-Jacques Goldman est vraiment nul", mais c'est pas moi, pour une fois, c'est un ami. "Ce sont des gens qui ne connaissent rien à la chanson ; neuf fois sur dix, j'ai envie de leur poser des questions de base : citez-moi quatre chansons des Beatles, quatre chansons de Brassens (rire)..." Ris pas, Jean-Jacques ! Tu dis des menteries ! Moi, je peux te citer quatre chansons des Beatles et de Brassens ! Beatles : "Suzanne", "Love me tender", "My way", "Just like a woman". Brassens : "Le plat pays", "La maladie d'amour", "Mistral gagnant", "Je marche seul". Alors, qu'est-ce que tu en dis ?

Et maintenant, Jean-Jacques Goldman va prouver qu'un bon chanteur, gentil, honnête et généreux, peut énoncer gravement d'énormes bêtises : "S'il n'y avait rien au niveau des médias, ce serait mieux pour nous, voilà, ça c'est une chose à dire. S'il n'y avait pas de télé, pas de radio, pas de presse, pour personne, rien que le public, ce serait mieux pour nous. Quand on sort du tamis des médias, on est défavorisés, et dévalorisés ; la conclusion, c'est qu'il y a eu un boulot négatif qui a été fait contre la chanson française..."

Hélas, la vérité, c'est l'inverse. Sans médias, pas de public. Sans public, pas de chanteur. Depuis une bonne douzaine d'années, les radios passent les chansons de Goldman à longueur de journée. Ses "clips" sont régulièrement programmés sur M6 et sur MCM. Si ce n'était pas le cas, comment connaîtrait-on ses chansons ? Qui irait à ses concerts ? Jean- Jacques Goldman peut-il vraiment ignorer que des dizaines, voire des centaines, d'excellents chanteurs ne vendent pas un disque, faute de passer en radio et en télé ? Comment se faire connaître du public sans pu-bli-ci- té ? Et qu'est-ce que la médiatisation d'une oeuvre et / ou d'un artiste, sinon de la pu-bli-ci-té pour l'œuvre et pour l'artiste ?

Ta voix est juste, Jean-Jacques, mais ta pensée est fausse.

Entre rouge clair et rouge foncé

Maintenant, puisque l'artiste autorise le critique que je suis à dire "de quoi parlent les textes", c'est gentil, je vais le faire. Je vais parler de son dernier album, "Rouge", et je vais le faire avec une mauvaise foi qui en laissera plus d'un pantois. Pour commencer, je donnerai des in-for-ma-tions à mes lecteurs, puisque le chanteur y tient, et je ne vois pas pourquoi je le contrarierais.

"Rouge" est à la fois un disque compact (prix de lancement : 113 francs, je le sais, je l'ai acheté pour pouvoir me le payer) et un coffret livre- disque (298 francs, je le sais, Renaud l'a acheté, les Séchan aiment bien faire marcher les affaires des Goldman, je me demande si c'est réciproque). Le disque est signé Fredericks, Goldman, Jones. Le coffret livre-disque est signé Sorj Chalandon, Jean-Jacques Goldman, Lorenzo Mattotti. Mettotti a illustré les chansons de Jean-Jacques, Chalandon les a "prolongées" par une petite histoire, Goldman les a commentées, au cas où on n'aurait pas tout compris, et justement c'est le cas. Voilà de l'in-for-ma-tion. Cela dit, je vois un lecteur qui s'est endormi.

C'est bon ? Je peux analyser, maintenant ? Dire de quoi il s'agit, dire ce qui s'agite derrière les mots vagues de Jean-Jacques Goldman ?

En préambule, le chanteur nous explique pourquoi son disque s'appelle "Rouge". Dans un texte confus, il nous fait part de ses réflexions du moment, écrivant notamment : "En ce moment, je suis frappé par le fait qu'on puisse ricaner en disant "égalité des chances", "justice sociale", "dignité", "droit au travail". Quand tu dis "communisme", ça n'évoque plus Potemkine, mais nomenklatura. Quand tu dis "gauche", on ne pense plus au Front Populaire, mais Tapie, Fabius, Attali and Co., la bande à Mitterrand, quoi. Ça, c'est tragique. Vraiment. Parce que des tricheurs se revendiquent des droits de l'homme ou de l'antiracisme, ces idéaux deviennent tricheries.

Parce que ces gens-là ont endossé des habits qui n'étaient pas les leurs. On confond les hommes avec les idées". Surtout, Jean-Jacques Goldman confond un peu tout, les torchons et les serviettes, les idées et les sentiments.

Après les considérations politiques, voici de puissantes considérations artistiques : "A court terme, fondamentalement, c'est la musique qui fait le succès d'une chanson. Mais à long terme, c'est le texte. Le texte, aussi, qui fait la fidélité à un chanteur. Bien après la chanson, c'est en relisant le texte qu'on n'a pas honte du plaisir pris avec la musique".

Eh bien, ne boudons pas notre plaisir, et lisons-les, ces textes. Le premier s'intitule "Serre-moi". On y découvre ces deux vers : "Ferme tes bras, ferme la porte / Aux diables qui m'emportent". Il a osé. Quel poéteux peut encore ignorer que "porte" et "diable qui m'emporte", c'est la tarte à la crème du rimailleur paresseux ? Tu te laisses aller, JJG, comme ils disent. Le dictionnaire des rimes, c'est fait pour les crétins, mais pas pour les chiens ! Or, si tu l'avais consulté, Jean-Jacques, tu aurais trouvé très exactement (et non pas "treize exactement", eût dit celui qui aimait tant les petites filles, et ce n'était pas moi, pour une fois) vingt rimes en "porte" et quarante-quatre en "orte" (2). Et si, par mégarde, aucune ne te convenait, tu pouvais même en inventer. Regarde Francis Cabrel : "Elle rentrera blessée / Dans les parfums d'un autre / Tu l'entendras hurler / Que les diables l'emportent !". "autre" et "porte", c'est parfait.

Deuxième chanson : "On n'a pas changé". Mieux qu'une chanson : un cri. On Est tous des salauds, sauf JJG, qui n'a "pas changé". Hargneux, le gars. Une fois de plus, et courageusement, il tombe à bras raccourcis sur François Mitterrand : "Un président pathétique, cynique et boursouflé". Il y a des jours, on deviendrait socialiste. Passons les éternels lieux communs goldmaniens ("Rallumer la lumière, briser l'obscurité", lis Desnos, Aragon, Eluard et Maïakovski, l'ami) et soupirons à la lecture de ce jeu de Mots qui, pour l'ancien président de l'OM, constitue un fameux coup de pied De l'âne : "J'ai des marchands, des tapis, qui peuvent tout acheter". J'irai porter des oranges à Bernard, j'apporterai des orages à Jean-Jacques qui, comme chacun le sait, habite une chambre de bonne à Montrouge.

Troisième Titre : "Que disent les chansons du monde ?". J'aimerais bien le savoir, en effet, surtout celles de Jean-Jacques Goldman. Si tu n'as que six cents mots devant toi, appelle-toi plutôt Richard Brautigan, man.

Quatrième chanson : "Il part". L'histoire d'un mec qui quitte sa maîtresse à l'aube pour aller retrouver sa femme. J'ai connu ça, c'est pas marrant. Il y a ces draps froissés dans le matin pâle, ces regards qui n'osent pas se croiser, la cigarette qui vient tuer les parfums tièdes de l'amour. Franchement, c'est pas rigolo.

Le cinquième texte a pour titre "Juste après". J'ai rien compris, mais je crois que c'était triste. Plus tard, j'ai lu le commentaire de Jean- Jacques, et ma lanterne a été éclairée. Les chansons de Goldman, c'est comme les médicaments : avant de consommer, il faut lire attentivement le mode d'emploi.

Et voici "Rouge", chanson révolutionnaire. Avant, Jean-Jacques était "entre gris clair et gris foncé". Quand il passait devant un mur, il fallait un radar pour le détecter. Aujourd'hui, il est "rouge". Quand il nage dans la mer de la même couleur, il faut donc un sonar pour le repérer. "Rouge", donc. La chanson nous annonce l'éden à venir. "Et après ?" dirait le brave Robbe-Grillet. Après, si c'est Jean-Jacques qui organisent les festivités, on n'a pas fini de se marrer. Cinq vers au hasard :

"On aura du temps pour rire et s'aimer Plus aucun enfant n'ira travailler Y'aura des écoles pour tout l'monde Que des premières classes, plus d'secondes C'est la fin de l'histoire, le rouge après le noir"

Si c'est pour écrire "Y'aura", c'est pas la peine qu'il y a des "écoles pour tout l'monde", hein ? Les écoles pour ceux qui savent, la délinquance juvénile pour les autres. Voilà un discours authentiquement progressiste. Ensuite, j'ai pas envie qu'on supprime les secondes. Déjà, je voulais qu'on garde les troisièmes. Enfin, c'est quoi cette "fin de l'histoire", ce charabia à la Fukuyama ? Tu te laisse aller, Zanetto !

Je résume : quand on veut écrire un chant d'espoir, il vaut mieux avoir le talent d'Etienne Roda-Gil. La différence entre l'écriture d'un potache et les mots d'un poète, c'est la totalité des mots, c'est la totalité du monde.

Voici ce que le poète écrivait en 1979 :

"Ça commence comme un rêve d'enfant On croit que c'est dimanche Et que c'est le printemps Toi et moi, on s'en va regarder Le soleil sous les branches Et puis parler de toi"

C'est simple, la poésie. Ça ressemble à Jean Gabin dans "La belle équipe". C'est aussi le regard las de Gary Cooper dans "Le train sifflera trois fois". Roda-Gil a raison, qui me disait récemment : "Le talent, c'est contagieux, mais il n'y a pas beaucoup de malades."

La septième chanson (plus que cinq !) s'appelle "Des vôtres". Bon. Il est des nôtres, il a vu son verre comme les autres. Ah, non, il ne boit pas. Alors il n'est pas des nôtres. En fin de chanson, ces vers :

"Pas j'ai pas j'ai pas j'ai pas Les mots les mots les mots J'ai pas les mots qu'il faut"

On avait cru remarquer.

Huitième Titre : "Frères". Commentaire de Jean-Jacques : "Ces frères-là, aujourd'hui, sont évidemment bosniaques et serbes. Je ne dis pas qu'ils ont tort de se combattre. Il y a malheureusement des situations qui n'avancent que dans la confrontation. Des situations où, parfois, il faut lui en mettre une entre les deux yeux". Zanetto, lascia la politica, e studia la musica !

La neuvième chanson s'intitule "Des vies". En gros, nous dit Goldo, ta vie, tu la choisis pas. C'est la vie qui choisit pour toi. A quelle heure on se pend, Jean-Jacques ?

Dixième Titre : "Ne lui dis pas". Rien à en dire, ça tombe bien.

Onzième : "Elle avait dix-sept ans". Je recommande la lecture de "Roman", d'Arthur Rimbaud :

"On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. - Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! - On va sous les tilleuls verts de la promenade".

C'est évidemment autre chose (3). Si quelqu'un pouvait en douter, voici les quatre derniers vers de "Elle avait dix-sept ans" :

"Face à tant d'appétit vorace Que vouliez-vous que j'y fasse ? A tant de violente innocence J'avais pas l'ombre d'une chance."

Question : C'est du serbe ou du bosniaque ?

Dernière chanson : "Fermer les yeux". Oui, dormir. On commence à fatiguer. Dormir. Et rêver à un monde meilleur, plus juste, où Goldman nous chanterait de jolies chansons, avec des fleurs, des femmes et des enfants, oublierait ce rouge qui lui convient si peu et nous parlerait du grand bleu, qui va si bien à ses beaux yeux d'enfant distrait.

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foot-note (1) : "Jean-Jacques, laisse les femmes et étudie les mathématiques"

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foot-note (2) : "Dictionnaire des rimes orales et écrites", par Léon Warnant, Librairie Larousse, 1986.

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foot-note (3) : Léo Ferré a mis ce poème en musique. Julien Clerc l'a chanté. Sur l'intégrale Virgin de Juju, le texte d'Arthur Rimbaud est signé Léo Ferré. Vous comprenez pourquoi les chanteurs m'énervent ?


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