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Génération Laser
(RTL, 15-19 novembre 1991)

Génération Laser
RTL, 15-19 novembre 1991
Animé par Christophe Nicolas
Retranscription de Jean-Michel Fontaine

Lundi 15 novembre 1991 ---------------------- Christophe Nicolas : Dix ans que certains l'adorent, d'autres, un petit peu moins, et d'autres essaient encore d'analyser le "phénomène". "Phénomène", voilà bien un mot qui l'amuse, lui le roi de l'anti-frime, le sujet difficile à saisir d'une banalité préoccupante. Mais qu'il l'accepte ou non, il faut bien se rendre à l'évidence, il est l'artiste qui a le plus marqué les années 80. Comment ? Pourquoi ? Il a horreur de ce genre de questions. Il est avec nous dans "Génération Laser" toute cette semaine pour nous parler de lui, et nous présenter en fin de semaine, son intégrale, et vous la faire gagner chaque soir, son intégrale 81-91. Jean-Jacques Goldman, bonsoir.

Jean-Jacques Goldman : Bonsoir.

Christophe Nicolas : (...) Avant de nous raconter toute ta vie, puisque c'est le but de la manoeuvre à partir d'aujourd'hui et jusqu'à vendredi, une petite précision : nous aurons tous les jours des invités, des gens assez proches de toi, par le travail (on ne va peut-être pas trop empiéter sur la vie privée), des gens proches de ton job qui viendront nous parler de cette décennie Goldman. (...) Qui a eu l'idée de cette intégrale ?

Jean-Jacques Goldman : C'est pas moi.

Christophe Nicolas : Je m'en doutais un peu !

Jean-Jacques Goldman : C'est une idée des gens avec qui je travaille sur le plan discographique.

Christophe Nicolas : Ils se sont dits, on va faire un petit bilan de ce qui s'est passé ces dix dernières années pour Jean-Jacques.

Jean-Jacques Goldman : Voilà.

Christophe Nicolas : On va revenir à la case départ, au tout début. Les débuts en chanson bien sûr. Les débuts tout court. Jean-Jacques est né à Paris, le 11 octobre 1951. Avec un tout petit peu de retard, puisqu'on est mi-novembre, bon anniversaire quand même !

Jean-Jacques Goldman : Merci.

Christophe Nicolas : Ses parents, immigrés, juifs, se sont rencontrés à Paris en 1948. Son père fut résistant, et Jean-Jacques n'aime pas trop parler de sa famille. On ne va peut-être pas insister, ni ce soir, ni les autres jours. Il est le troisième d'une famille de quatre enfants. Son enfance se passe à Paris, dans le XIXe arrondissement - Ecoutez bien ! Il y aura peut-être des questions en fin d'émission ! - dans une ambiance bourgeoise, sans problèmes majeurs. C'est ce que disait Jean-Jacques, en tout cas, voici quelques années. "Je ne suis pas de ceux qui en ont honte" dira-t-il, à propos de cette enfance aisée. Est-ce que tu gardes des bons souvenirs de cette époque ?

Jean-Jacques Goldman : C'était une enfance aisée si tu la compares à ce qui se passe dans les banlieues, à des gens qui sont au chômage. Mais on allait quand même faire du camping l'été, au bord de la mer, comme Michel Jonasz (rires), on avait de quoi se payer des glaces à l'eau, mais ça n'allait pas beaucoup plus loin que ça. (...) On n'a manqué de rien et on n'a rien eu de trop non plus.

Christophe Nicolas : Très jeune, il apprend le violon. Ça le lasse au bout de quelques années. Puis le piano. C'est une formation musicale qu'il mène de front, bien sûr, avec une scolarité classique. Comment se sont passées ces études ?

Jean-Jacques Goldman : J'étais dix-septième, en permanence. [NDJM : Qui a dit que 17 n'était pas le nombre fétiche de Jean-Jacques, après Leidenstadt, Elle avait 17 ans, les 17 enfants du petit blues peinard, et le samedi 17 novembre ? ? ?]

Christophe Nicolas : On était combien dans les classes à l'époque ? ? ?

Jean-Jacques Goldman : Ce que je veux dire, c'est que je n'étais pas dans les premiers, mais que je n'étais pas non plus dans ceux qui ne passaient pas. Je passais de classe en classe, ce qui fait que j'ai terminé assez tôt, mais sans jamais être brillant.

Christophe Nicolas : Tu étais plutôt du genre timide, bagarreur... ?

Jean-Jacques Goldman : Genre transparent ! Je crois qu'il y a une émission qui est aussi passée sur RTL, dans un autre cadre, ou l'intervieweuse avait essayé d'interviewer des profs à moi, et aucun ne se souvenait de moi ! (rires) [NDJM : Oui, oui, l'émission en question est bien celle à laquelle vous pensez... :^)]

Christophe Nicolas : ... Alors qu'en général, quand on a eu un élève qui devient célèbre, on a toujours des petites choses à raconter ! (...) "A quinze ans on m'avait dit, si t'es sage et bien gentil, t'auras une mobylette", ça ça fait partie d'une chanson qui s'appelle "Sans un mot", qui résumait un peu cette période adolescente... (...)

Jean-Jacques Goldman : On était d'une génération de parents pour qui l'essentiel était d'avoir des biens, d'avoir une éducation, d'avoir des choses, et nous, on ne pensait qu'idées et idéaux.

Christophe Nicolas : La mobylette, tu l'as eue finalement ?

Jean-Jacques Goldman : Non, non, j'ai pas eu de mobylette.

Christophe Nicolas : (...) Il était déjà pas fan des valeurs établies ou des vies programmées. C'est ce que dit Jean-Jacques lorsqu'il parle de son enfance. "Je plains les plus malins, et je plains les ambitieux". (...) Sa jeunesse est bercée par la musique Rhythm & Blues, des gens comme Aretha Franklin, Wilson Pickett, Ottis Redding. Jean-Jacques pratique quand même le violon pendant dix ans. A dix-huit ans, il arrête, il s'achète une guitare. Sa décision est prise : il deviendra chanteur de soul music !

Jean-Jacques Goldman : Pas chanteur ! Plutôt guitariste...

Christophe Nicolas : On entendra d'ailleurs beaucoup de cuivres dans les chansons. Je pense que cela vient de cet amour pour la soul music, les années 60. Un petit mot sur un groupe qui a été fonde à l'époque, qui s'appelle les Red Mountain Gospellers. Vous chantiez de la soul, du gospel, c'était quoi ?

Jean-Jacques Goldman : C'était à la paroisse de Montrouge, à côté. Je n'y suis pas allé naturellement, j'avais un copain qui jouait là-bas. Il jouait du gospel, c'était l'époque où le gospel, donc les batteries, dont les basses, donc les guitares électriques, commençaient à entrer dans les églises, et il y avait, surtout, un orgue, ce qui était hors de portée, sur le plan financier, pour tout le monde. (...) C'était un petit orgue électronique, qui était tout de même au delà de nos bourses, je parle de pécuniaires...

Christophe Nicolas : ...Bien sûr Jean-Jacques ! (rires) (...)

Jean-Jacques Goldman : (...) Ça nous a donné l'occasion de faire la musique qui est à la base de ce que l'on aime maintenant, qui était du gospel, chez les prêtres, qui étaient très sympas d'ailleurs, et nous ont même financé un disque.

Christophe Nicolas : Un prêtre ouvrier ?

Jean-Jacques Goldman : Il y en a un, je crois qui a mal tourné, qui s'est même marié, après mai 68.

Christophe Nicolas : Il y a eu ensuite le groupe Phalanster. C'était un nom qui venait, paraît-il, de la théorie de Charles Fourier ?

Jean-Jacques Goldman : Sur les communautés du XVIIIe, XIXe siècles... Avec une vie très communautaire, sur le plan financier, et sur le plan des familles. Un éclatement de toute la structure sociale qui existait à cette époque là. C'était un peu les prémices des communautés qui sont apparues en 68.

Christophe Nicolas : Jean-Jacques a une "carrière" en tête de musicien, mais veut se ménager aussi une sortie de secours, en cas de galère. Il continue donc ses études jusqu'au bac D. A la rentrée 70, il s'inscrit en prépa HEC, et l'aventure ne dure qu'un an, puisqu'il part pour Lille faire l'EDHEC.

Jean-Jacques Goldman : Quand tu fais une prépa HEC, tu passes tous les concours. Tu as HEC, l'ESSEC, les Sup de Co, etc, et puis tu avais l'EDHEC, qui était bien côtée, à Lille, j'ai passé le concours, et je l'ai eu dès la première année, et je l'ai prise tout de suite. [NDJM : J'ai un doute sur l'année 70, bien que Jean-Jacques n'ait pas fait de remarque à ce sujet. Jusqu'en 1995, où la prépa HEC durait théoriquement un an, 80 % des étudiants en Ecole de Commerce effectuaient deux ans de prépa pour intégrer une Grande Ecole. Maintenant, la prépa est en théorie obligatoire en deux ans. Et à l'époque où Jean-Jacques était en prépa, les programmes étaient autrement plus élitistes que maintenant. Jean-Jacques a beau être modeste, c'est quand même une sacrée performance que d'avoir intégré l'EDHEC en un an !]

Christophe Nicolas : A cette époque, tu n'avais pas envie de faire grand chose. C'était la période 71 - 73. Il retrouve ensuite Paris avec bonheur, et continue à apprendre les rudiments du métier de musicien. En France, à l'époque, les groupes, il y avait Zoo, Triangle, Martin Circus, et Ange. (...) Il est copain avec des musiciens du moment ?

Jean-Jacques Goldman : J'avais mes anciens groupes de Paris avec lesquels j'avais évidemment perdu contact, parce qu'il y a toujours des moyens de se fâcher, soit pour des histoires de fric, soit des histoires de filles. Il me restait un copain qui m'a présenté un groupe de la région de Sceaux, des musiciens que je ne connaissais pas, et qui allaient monter un groupe qui allait s'appeler Tai Phong.

Christophe Nicolas : Jean-Jacques part pour le service militaire en 74 (...). Au retour, il rencontre deux frères vietnamiens, Khan et Tai, avec lesquels il forme le groupe Tai Phong, qui veut dire "Grand Vent" en vietnamien. (...) Cheminement classique d'un groupe : maquette, rencontres avec un directeur artistique, ils signent chez le label WEA, et l'ingénieur du son est déjà Andy Scott. On le retrouvera dans la semaine. (...) Le plus grand succès de Tai Phong, on s'en souvient, moi surtout puisque je l'avais acheté à l'époque, sera "Sister Jane". Pas de photo à l'époque sur la pochette...

Jean-Jacques Goldman : Pas le plus grand succès ! L'*unique* succès !

Christophe Nicolas : Je ne voulais pas te froisser Jean-Jacques... Trois albums enregistrés par Tai Phong, et "le groupe s'est arrêté parce que les groupes, ça meurt", dira Jean-Jacques (...). En 79, Jean-Jacques continue à écrire des chansons, en français cette fois-ci. Quelques temps plus tôt, il avait rencontré Catherine, qui restera la femme de sa vie, dont il ne parle que très peu, mais qui est là, quand même, dans les périodes de vaches maigres pour encourager Jean-Jacques et croire en lui. Et lui faire des enfants également.

Jean-Jacques Goldman : Qu'est-ce que tu entends par périodes de vaches maigres ? ? ?

Christophe Nicolas : Entre la fin de Tai Phong et "Il suffira d'un signe", c'est une période un petit peu plus maigrichonne.

Jean-Jacques Goldman : Du temps de Tai Phong, les vaches n'étaient pas très grosses non plus ! ! !

Christophe Nicolas : Les bourses n'étaient pas énormes non plus... (...) Est-ce que ça a été un petit peu difficile avant "Il suffira" ?

Jean-Jacques Goldman : Non, pas tellement. Parce que je travaillais en même temps...

Christophe Nicolas : ... Dans le magasin de sport ! (...) Et puis il y a eu la rencontre avec un certain Marc Lumbroso, qui a changé la destinée de Jean-Jacques Goldman. La première chanson solo, c'est "Il suffira d'un signe", elle a été choisie par Bernard Schmitt.

[NDJM : Suit un extrait de "Il suffira d'un signe", version album 1981]

Christophe Nicolas : "Il suffira d'un signe", choisi par le premier invité de cette cédéthèque, Bernard Schmitt. (...) On a choisi quelques proches de Jean-Jacques Goldman (...) et vous, vous êtes le réalisateur des clips de Jean-Jacques Goldman depuis quelques années. Ça a commencé quand ?

Bernard Schmitt : En 1982. Et j'ai mis en scène tous les clips de Jean-Jacques depuis, sauf un. Ainsi que tous ses spectacles.

Christophe Nicolas : Alors on connaît Jean-Jacques, on sait qu'il n'est pas très porté sur le look, qu'il n'était pas trop porté sur l'image, comment ça s'est passé au départ pour réussir à le faire tourner dans un clip ? Il n'était pas très chaud pour la première vidéo ?

Bernard Schmitt : Il était moyennement chaud. Il m'avait appelé en me disant, j'ai de l'oreille, mais par contre, je suis complètement aveugle. Toi, je te demande pas d'écouter ma musique, mais par contre, je te demande d'avoir des yeux. Si on pouvait se compléter, ça serait mieux. (...) Ça m'empêche pas d'écouter ce qu'il fait, et lui de regarder ce que je fais et quand ça lui plait pas, de me le dire. (...) En terme de look, j'ai pas fait grand chose parce qu'il y avait pas grand chose à faire. C'est un garçon extrêmement fort et têtu. Ce qu'on a développé, c'est une envie de narration autour du clip, et dans les spectacles, et de faire qu'il se passe quelque chose, qu'il y ait un début, un milieu, une fin.

Christophe Nicolas : Ce n'était pas un peu difficile justement, sur scène, de le faire bouger ? (...)

Bernard Schmitt : Le tout premier spectacle, à Rueil Malmaison, était un peu difficile. Il était un petit peu "coince man". C'est quand même un musicien avant tout, ce qui fait que lorsque qu'il s'est retrouvé avec ses musiciens, qu'il était bien avec eux, qu'il a pris sa guitare, qu'il chantait, alors à ce moment, il aime bien que des choses se passent autour de lui. Il y a pas de travail de chorégraphie, ni de cascade fabuleuse... Assez rarement en tout cas ! C'est plutôt des choses qui bougent autour de lui, qui font le style des shows Goldman.

Christophe Nicolas : Puisqu'on parle de cette décennie Goldman, une petite anecdote qui s'est déroulée pendant ces dix ans, qui vous a le plus marqué ?

Bernard Schmitt : En dix ans, on est allés à peu près dans le monde entier. Dans tous les pays réputés pour leur temps idéal, il a à peu près toujours plu à chaque fois que l'on y était ! On a vu la pluie en Nouvelle Calédonie, à Tahiti, en Afrique Noire, à Bali, partout ! Dans tous les dépliants, quand on regarde, il n'y a que du soleil, et quand on y chante, nous, en plein air, il pleut... Donc, vivement le concert de Goldman au Sahel qu'il fasse vraiment beau dehors !

Christophe Nicolas : En 1981, on dit, un tout nouveau représentant de la chanson française. En fouillant un peu dans la presse, on te disait un peu influencé par Polnareff.

Jean-Jacques Goldman : C'est pas tout à fait faux. Il y a quelques chanteurs français, comme Polnareff, Charlebois, Berger essentiellement, qui ont été les premiers, qui m'ont fait penser que la musique que j'aimais à la base pouvait être chantée avec des mots français.

Christophe Nicolas : Dès le début de la carrière de Jean-Jacques, la presse s'empare du nouveau venu. Plus on parle de lui, et plus lui, déjà, se protège, même si à l'époque, il est OK pour assurer sans broncher ce que l'on appelle le "service après vente". L'album de "Il suffira" contient onze chansons, écrites et composées par Goldman. Score inattendu : plus de 60 000 exemplaires en quelques mois pour le single. Il parait qu'à l'époque, Jean-Jacques était le premier étonné. Tu te souviens des réactions à l'annonce des chiffres du succès du premier disque ?

Jean-Jacques Goldman : Ce dont je me souviens, c'est que c'était une époque où les choses démarraient très très vite. Lorsque cela démarrait, ça démarrait en un jour. Il y avait une émission qui était un peu mythique, qui était "Champs Elysées", de Drucker ; je suis passé à Champs Elysées en janvier alors que le disque était sorti en août, et le lendemain de cette émission, il y avait comme un déclenchement...

Christophe Nicolas : Autre émission importante de l'époque, c'était la Nouvelle Affiche. Tout début 1982, Jean-Jacques y participe. Une émission mise en place par Monique Le Marcis [NDJM : Directrice des Programmes Musicaux de RTL depuis plus de quinze ans maintenant] ; la première avait lieu à MIDEM 82 à Cannes. Sur cet album, on trouve aussi "Pas l'indifférence". [NDJM : Suit un extrait de "Pas l'indifférence"]

Christophe Nicolas : "Chanter dans les discothèques ne me semble pas satisfaisant, je ne ferai de la scène que dans de bonnes conditions". A l'époque, déjà, tu refusais un système établi, qui faisait que, lorsque que l'on avait eu un premier succès, on tournait dans les discothèques en PBO (Play Back Orchestre).

Jean-Jacques Goldman : Il y a une seule justification pour ça, c'est l'argent. Les [chanteurs] vont dans les discothèques parce qu'ils gagnent de l'argent. Il n'y a aucune justification artistique de le faire, puisqu'on est soit en play back, soit en play back orchestre. (...)

Christophe Nicolas : Il n'y avait pas un petit peu de trac du public ?

Jean-Jacques Goldman : Énormément !

Christophe Nicolas : Tout était allé tellement vite depuis la sortie de "Il suffira", l'automne 80... Et après, la scène. On tanne les artistes, on leur demande quand est-ce qu'on va les voir. Il y avait un petit peu de trac ?

Jean-Jacques Goldman : Ça ne s'appelle pas du trac à ce niveau là. Ça s'appelle de la peur, ou la frousse !

Christophe Nicolas : Jean-Jacques sait parfaitement ce qu'il veut, ou en tout cas, ce qu'il ne veut pas. Pas de compromis, pas de look particulier. Quoique. A force de ne pas avoir de look, on finit par en avoir un ! Pas de tapage, simplement faire des chansons, sans à avoir à les expliquer.

[NDJM : suit un extrait de "Quelque chose de bizarre"]

Christophe Nicolas : Ça fait toujours drôle pour nous, et surtout pour lui, qui est avec nous, de ré-écouter la voix. Tu as drôlement évolué depuis.

Jean-Jacques Goldman : C'est pas un mal...

Christophe Nicolas : C'était très aigu.

Jean-Jacques Goldman : Très aigu, et très lyrique.

Christophe Nicolas : A partir de 1982, Jean-Jacques voyage pas mal. Entre autres, au mois d'avril, un voyage avec le Président, François Mitterrand, qui était parti au Japon et avait emmené quelques artistes.

Jean-Jacques Goldman : Non.

Christophe Nicolas : Tu ne faisais pas partie du voyage ?

Jean-Jacques Goldman : Non.

Christophe Nicolas : Ah bon, il me semblait qu'à l'époque, tu faisais partie...

Jean-Jacques Goldman : Non, pas du tout.

Christophe Nicolas : En tout cas, à l'époque, Jean-Jacques parlait des politiques - c'était pour faire un enchaînement, mais il est raté puisque tu n'es pas parti avec lui...

Jean-Jacques Goldman : C'était pas mal essayé !

Christophe Nicolas :(...) "Tous les politiques ont essayé de me séduire, excepté Rocard", expliquait Jean-Jacques un petit peu plus tard. Est-ce qu'à l'époque, tu avais eu des contacts, est-ce que les politiques avaient essayé de mettre la main sur le nouveau venu, le nouveau messager ?

Jean-Jacques Goldman : Déjà, ils ne s'intéressaient pas beaucoup à la chanson. Ils s'y intéressent quand tu deviens un "phénomène" qui peut être entendu par une quantité de personnes x... (...)

Christophe Nicolas : L'année 1982 est l'année du deuxième album de Jean-Jacques. Pochette très sobre, en noir et blanc. Un charme intense, dira-t-on à la sortie de cet album.

Jean-Jacques Goldman : Cette déclaration n'engage que toi !

Christophe Nicolas : C'est vrai que lorsque je la regarde, j'éprouve encore un certain trouble... On parlera des photos de Jean-Jacques mercredi avec Claude Gassian. Un extrait de cet album, "Quand la musique est bonne".

[NDJM : Suit un extrait de "Quand la musique est bonne"]

Jean-Jacques Goldman : J'ai dû faire 60, 70, 80 chansons, et sur ces 80 chansons, il y en a deux sur lesquelles j'ai jamais eu aucun doute, même avant qu'elles ne sortent, c'est "Quand la musique est bonne" et "Je te donne". Comment le savoir ? C'est un petit peu stupide, mais j'en étais sûr...

Christophe Nicolas : En général, les artistes disent qu'on ne peut pas à l'avance prévoir...

Jean-Jacques Goldman : Mais bien sûr qu'on ne peut pas ! Sur les 80 autres, à chaque fois, je me pose la question. Mais sur ces deux là, je n'avais aucun doute. (...) Presqu'en l'écrivant.

Christophe Nicolas : A l'époque de ce deuxième album, Goldman est présent sur tous les fronts. Interviews radio, RTL bien sûr, qui croit en lui depuis le début, la télé, la presse, et la presse dite "jeune" déjà... Tu seras toujours plus cool avec la presse cool comme Salut, Podium, OK Magazine, qu'avec la presse un peu plus sérieuse...

Jean-Jacques Goldman : D'avance, tu te rends compte que la presse dite sérieuse, ce qui les intéresse, ce n'est pas la musique, c'est tout ce qui est "phénomène", un peu "à part", un peu "histoire privée" et tout ça. Ils ne sont pas mieux informés que la presse jeune non plus. Sauf que la presse jeune, tu sais quand tu la lis qu'il y a un décalage. Un côté pas sérieux, un côté "faut pas croire ce qu'il y a dedans" (...)

Christophe Nicolas : Il y a toujours eu une certaine méfiance vis à vis de la presse sérieuse, les hebdos politiques...

Jean-Jacques Goldman : Je me suis rendu compte a posteriori que cette méfiance était bien en deçà de ce qu'elle aurait dû être. C'est encore pire que ce que tu penses !

Christophe Nicolas : Tu fais allusion à l'époque "Génération Goldman" ?

Jean-Jacques Goldman : Tout ! Il suffit de lire ce qu'ils écrivent maintenant. Ils méprisent profondément la chanson. La seule chose qui les intéresse, c'est tout ce qui est périphérique à ça, c'est-à-dire les côtés "vie privée", les côtés "événements mondains"...

Christophe Nicolas : Ce deuxième album est une mine de tubes. Même si "Quand la musique est bonne" était plus évidente, on trouve des chansons comme "Veiller tard", qui deviendra un standard...

Jean-Jacques Goldman : ... Sans avoir jamais été un simple !

Christophe Nicolas : Chanson d'album.

Jean-Jacques Goldman : Ça fait partie de ce genre de chansons que les gens vont chercher et en général, ils ne se trompent pas.

Christophe Nicolas : Il y en avait une aussi, que j'aime bien, qui est très courte et qui s'appelle "Quand la bouteille est vide".

Jean-Jacques Goldman : Justement, tu l'aimais pour ça ! Parce qu'elle ne dure pas très longtemps...

Christophe Nicolas : Et il y avait "Quand la musique est bonne" et bien sûr, "Comme toi".

[NDJM : Suit un extrait de "Comme toi"]

Christophe Nicolas : Jean-Jacques Goldman, "Comme toi". Pour la première fois depuis des années, on se met à écouter ou à ré-écouter les titres des chansons avec Goldman. Je ne sais pas si tu en étais conscient à l'époque, en 1983. (...) On se met à lire les textes (...), à les écouter, on se dit, tiens, ce mec, il raconte des trucs.

Jean-Jacques Goldman : J'avais eu aucun doute là-dessus, même sur les petites de 13 ou 15 ans qui effectivement au départ, étaient l'essentiel du public. Je savais qu'elles écoutaient les textes, et que c'était une des raisons essentielles de leur attachement.

Christophe Nicolas : Tant mieux pour Jean-Jacques, puisque c'est lui qui les écrit. Preuve qu'on peut faire danser, chanter, rêver, qu'avec d'autres paroles que "tu es partie", "tu es triste, reviens mon amour".

Jean-Jacques Goldman : Ceci dit, maintenant, lorsque je ré-écoute, puisque je n'écoute pas souvent les disques, je comprends que des gens un peu plus adultes n'écoutaient pas les disques, tellement ils pouvaient être énervés par la façon de chanter, l'apparence un peu... jeune. Même les réactions de ces filles qui criaient, c'est vrai que ça donne pas envie d'aller un peu plus loin... De se dire, peut-être que ce type là dit des choses.

Christophe Nicolas : Un peu comme Renaud plus tard, tu étais un chanteur énervant. Pour certains en tout cas.

Jean-Jacques Goldman : Ça, certainement.

Christophe Nicolas : Est-ce que tu as des bons souvenirs de ce deuxième album ? J'imagine que oui. Est-ce qu'on avait déjà l'impression que "ça y était", "je crois que c'est parti, ça fait quelques années que j'attends, là c'est bon, c'est sur les rails" ou est-ce qu'il y avait déjà un petit doute et une méfiance par rapport à l'avenir ?

Jean-Jacques Goldman : C'était effectivement le déclic dans le sens où j'ai effectivement arrêté de travailler. Je me suis dit, maintenant, je ne vais plus vivre que de ça. C'était un peu un risque. C'est également à la fin de cet album là que j'ai commencé à faire de la scène. Juste avant le troisième album.

Christophe Nicolas : On en reparlera demain de celui-là. A cette époque, Jean-Jacques met les points sur les i, remet les pendules à leur place comme disait je ne sais plus quel chanteur : son succès grandissant ne lui fera pas faire la une des magazines à sensation, il n'accumulera pas les conquêtes féminines au grand dam des paparazzis. Il n'aura pas de chauffeur pour piloter sa Talbot Horizon GTI, il n'ira pas en vacances, ni à Saint-Tropez, ni ailleurs. (...) Il ne jouera pas à un jeu qu'il trouve grotesque. Ses moments de liberté, il les passera en famille. Peut-être une photo, avec elle. Il y en avait une, une photo, avec la femme de ta vie, à l'époque. Il y en a eu *une*.

Jean-Jacques Goldman : Non.

Christophe Nicolas : Peut-être pas à l'époque, mais un peu plus tard... ?

Jean-Jacques Goldman : Non.

Christophe Nicolas : Ça a dû être pris à Roland Garros.

Jean-Jacques Goldman : Ça, c'est pas une photo posée, c'est une photo volée !

Christophe Nicolas : "Je ne vous parlerai pas d'elle" [NDJM : Un peu brusques, ses enchaînements, je trouve... Suit un extrait de "Je ne vous parlerai pas d'elle"]

Christophe Nicolas : "Je ne vous parlerai pas d'elle". Voilà qui était clair, et qui le fait sourire, je le dis parce qu'évidemment, les auditeurs ne le voient pas. (...)

Jean-Jacques Goldman : Celle-là est pas mal...

Christophe Nicolas : C'est sympa pour les autres ! (...) Pour terminer l'émission d'aujourd'hui, on a une question à poser ; si vous arrivez vite au standard de RTL (...), vous serez deux à gagner une intégrale 81-91 avec en tout sept CD... Huit ! On en a rajouté un...

Jean-Jacques Goldman : On en a rajouté un de Dave Stewart ! (rires de Christophe Nicolas)

Christophe Nicolas : ... Et un bouquin de Claude Gassian que nous retrouverons très bientôt...

Jean-Jacques Goldman : ... Et deux carambars !

Christophe Nicolas : ... Et un bouquin de Claude Gassian. C'est "Jean-Jacques Goldman par Claude Gassian", c'est un bouquin que Claude te consacre, et l'intégrale Goldman. Voici la question, j'espère que vous avez bien écouté la Cdthèque d'aujourd'hui : Citez-moi deux noms de groupes formés par Jean-Jacques, avant son succès solo. [NDJM : Oh et l'autre, trop facile la question ! ! !]. Merci Jean-Jacques, on se retrouve demain, même heure et même endroit comme on dit.

Jean-Jacques Goldman : Salut.

[NDJM : Pour l'anecdote, c'est Véronique d'Aix en Provence et Stéphanie de Guignes (77) qui ont gagné les deux intégrales du jour. Non, ce ne sont pas des copines à moi, mais comme cela figure sur l'enregistrement de Sandrine que je suis en train de retranscrire... :^p]

Mardi 16 novembre 1991 ---------------------- Christophe Nicolas : Jean-Jacques, bonsoir, et merci d'être avec nous encore toute cette semaine, pour commenter tout ce qui s'est passé pendant dix ans, et Dieu sait s'il s'en est passé. Tu n'es pas fan des retours en arrière. Tu nous fais l'amitié de le faire pour nous, mais je ne crois pas que tu sois très fan de bilans.

Jean-Jacques Goldman : Ni fan, ni spécialement contre. Ça ne me dérange pas, quoi.

Christophe Nicolas : On en était hier au deuxième album de Jean-Jacques, 82-83. Goldman apparaît à cette époque là comme un phénomène, ça doit toujours un peu te titiller quand on te disait "phénomène", phénomène de société, Goldman représente telle ou telle génération. Il se fait vite une place aux côtés d'autres artistes qui s'étaient "établis" un petit peu avant : Cabrel, Souchon... tout en semblant mener sa barque loin de tout clan, de toute école. C'était une volonté délibérée dès le début de ne pas être intégré à tel clan de chanteur, à tel style de musicien, de sembler un peu seul comme ça ?

Jean-Jacques Goldman : Ça s'est fait. Je ne sais pas pourquoi. (...) C'était pas calculé. On s'est rencontrés, il n'y a pas eu d'atomes crochus...

Christophe Nicolas : Je ne parlais pas particulièrement de Cabrel ou Souchon, mais des autres. On ne t'a jamais vu aller à des soirées avec untel ou untel, en faisant la fête avec Machin...

Jean-Jacques Goldman : Je les ai rencontrés ! J'ai même travaillé avec certains, comme Hallyday, mais c'est vrai que c'est resté sur le plan professionnel.

Christophe Nicolas : Dans ce métier, seul le public décide, et il est parfois versatile, et Jean-Jacques ne semble pas vraiment craindre les renversements de vapeur. Est-ce qu'il y avait parfois un petit doute ? Les gens ont adoré "Il suffira d'un signe", "Quand la musique est bonne" est un méga succès, est-ce que le public va changer d'avis ou est-ce que tu fonçais, tu suivais les rails et on verra bien ? [NDJM : Christophe Nicolas a la désagréable habitude de mélanger la deuxième et la troisième personne, et je crains que nos ami(e)s non francophones de naissance risquent parfois de s'y perdre...]

Jean-Jacques Goldman : Il ne pouvait pas y avoir de peur ou de doute, dans la mesure où ce succès là ne pouvait pas avoir de valeur, c'était quelque chose dont je jouissais, j'étais vraiment très content que cela arrive, mais j'avais jamais espéré cela, et c'était pas quelque chose qui était fondamentalement important pour moi. Ce qui était, ce qui est, et ce qui sera toujours fondamentalement important pour moi, c'est d'avoir un minimum de gens qui s'intéressent à ce que je fais pour me permettre d'exercer ce métier. [NDJM : On est là Jean-Jacques ! ! !] Et encore ! Les gens qui m'écoutent, je n'en ai pas besoin de dix millions, de cent millions ou d'un milliard. [NDJM : Jean-Jacques a dit plus tard que les personnes qui l'intéressaient vraiment, c'était ce petit noyau dur de 40 000 personnes qui achetaient l'album dès sa sortie, avant même de savoir ce qu'il y avait dessus. C'est quand même un sacré petit noyau dur !]

Christophe Nicolas : A l'époque de Tai Phong, c'était pas un rêve, le fait de devenir célèbre ?

Jean-Jacques Goldman : Pas du tout !

Christophe Nicolas : C'était le fait de chanter ses chansons...

Jean-Jacques Goldman : Même pas ! Mon but, au départ, était d'écrire des chansons. J'avais vraiment cette envie très forte, parce que je me sentais capable de le faire, et que j'en avais besoin, mais au départ, j'ai proposé ces chansons à tous les interprètes connus et existants de l'époque, en passant de Delpech à Nicoletta, ces gens qui n'en ont pas voulu, finalement, et j'ai été amené à les chanter moi-même; Si j'avais trouvé un interprète, de la même façon que Boutonnat a trouvé Mylène Farmer, Michel Berger a trouvé France Gall, si j'avais trouvé ça, j'aurais jamais chanté.

Christophe Nicolas : Il n'y aurait pas eu de phénomène Goldman...

Jean-Jacques Goldman : Certainement pas, non !

Christophe Nicolas : A l'époque, il fonce sans se préocupper de ce qu'il est bien de faire ou de ne pas faire... (...)

Jean-Jacques Goldman : Quand on me dit, par exemple, il faut faire cette télé de telle façon parce que c'est bon pour toi et que sinon, ça ne marchera plus, alors que moi, je m'en foutais. Bah non, moi je n'ai pas envie de la faire alors je ne la ferai pas. C'était aussi simple que cela.

Christophe Nicolas : Sortie d'"Aux bouts de mes rêves". [NDJM : Suit un extrait... Vous avez compris le principe ? ? ?]

Christophe Nicolas : Cdthèque Jean-Jacques Goldman toute la semaine et ce soir aussi. (...) A l'époque, Jean-Jacques déclarait, "dès que vous êtes célèbre, l'attitude des gens changent à votre égard (...). On s'étonne de me voir arriver à l'heure. A partir de combien de disques vendus", disait-il non sans humour, "a-t-on le droit d'arriver en retard ?" (...) Est-ce que tu en as parfois souffert, de cette attitude que les autres avaient, une fois que tu étais devenu célèbre ?

Jean-Jacques Goldman : Ça, c'est plutôt amusant. Tout ce que tu fais dans ta vie, quand tu es étudiant, que tu travailles, ces choses qui me paraissent moins simples et que tu es obligé de faire, comme arriver à l'heure, ou de dire quand tu t'en vas, paraissaient absolument exceptionnelles aux gens !

Christophe Nicolas : Oui, mais si tu as choisi ce métier, c'est justement pour ne pas avoir toutes ces contraintes là.

Jean-Jacques Goldman : Et bien moi, ce n'est pas pour ces contraintes là, figure-toi ! Moi, c'est pour faire de la musique que j'en fais. Parce que cela me plaît. Pas forcément pour faire attendre des gens trois quarts d'heure. C'est pas quelque chose qui me fait jouir, de faire attendre les gens trois quarts d'heure.

Christophe Nicolas : Mais les gens qui le font ne le font pas exprès...

Jean-Jacques Goldman : Tu laisses n'importe qui avec le droit de le faire, il finira par arriver avec trois quarts d'heure en retard.

Christophe Nicolas : Et donc, après quelques millions de disques vendus, tu n'arrives toujours pas en retard ?

Jean-Jacques Goldman : Si, ça m'arrive d'être en retard, mais dans ce cas là, je donne un coup de fil pour que la personne ne m'attende pas ! Je ne peux pas dire que je suis particulièrement vertueux.

Christophe Nicolas : Et à l'époque, même si tu faisais un petit peu "bande à part", est-ce que tu étais parfois surpris de voir comment se comportaient les autres ? Tu n'es pas quelqu'un qui dira du mal de quelqu'un d'autre de toute façon. Mais est-ce que tu n'étais pas un peu surpris de la façon dont "le métier" se passait ?

Jean-Jacques Goldman : En tant que spectateur ou que téléspectateur, j'ai assisté, effectivement, à des émissions de destruction d'un artiste, je voyais que le mec était en train de se casser, avec lui inconscient de ça, et les gens autour de lui incapables de lui dire qu'il ne fallait pas dire ces choses là et se comporter de cette façon. Je te donnerai des exemples hors micro après. Tu assistes à ça, et tu as tendance à t'amuser, pas tellement parce que tu connais le métier, mais quand tu connais les gens.

Christophe Nicolas : Est-ce qu'il y avait des tensions, des jaloux de ton succès ? Peut-être des artistes un peu moins en vue à l'époque, ou en perte de vitesse ? (...)

Jean-Jacques Goldman : C'est pas que je m'en souciais pas - ça m'aurait ennuyé - mais je ne les rencontrais pas. Je ne sais pas ce qui se disait. Je n'avais pas beaucoup d'amis dans le métier.

Christophe Nicolas : A la fin de 1983, en novembre, on pouvait lire dans un journal "une vedette de fraîche date, et certainement pour un temps éphémère". (...) C'est drôle de fouiller quelques années plus tard. Dernier extrait de Jean-Jacques Goldman II, dans cette Cdthèque, "Minoritaire". [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : Tout est dit dans cette chanson : "J'ai pas le bon blouson, j'ai pas les bonnes bottes. Quand je serais grand, je sais ce que je veux faire, je veux être minoritaire". On enfonce le clou, à tout de suite avec Jean-Jacques.

Le succès du deuxième album va conduire Jean-Jacques sur les routes, en tournée. Novembre 83 à mars 84. Il y avait quelqu'un ou plusieurs personnes qui avaient dû te décider, puisqu'on parlait hier des tournées de discothèque qui ne s'étaient jamais faites. C'était vraiment le premier contact avec le public. Comment ça s'est passé les premiers soirs ?

Jean-Jacques Goldman : Ce qui m'a décidé vraiment, c'était le courrier des gens. Je me rendais vraiment compte que je commençais à avoir plus de succès. Je recevais beaucoup de lettres. Je sentais que les gens me demandaient de venir à Nevers, à Charleville, à Lyon, Marseille, et je sentais que ces gens là avaient pris les albums et les textes de façon tellement sincère qu'ils auraient considéré comme une trahison de ne pas les défendre de visu, pour de vrai.

Christophe Nicolas : Lettres arrivées par milliers alors...

Jean-Jacques Goldman : Deux centaines par jour à peu près.

Christophe Nicolas : Au bout de deux albums, tu te dis, il faut que je me lance. Le soir où tu t'es jeté à l'eau, comment cela s'est-il passé ? Tu n'as pas eu le temps de le rôder...

Jean-Jacques Goldman : Les répétitions s'étaient très mal passées. J'avais déjà travaillé avec Bernard [Schmitt] mes incapacités sur scène. On était bien conscient que j'étais tellement nul sur scène, qu'il fallait absolument faire une mise en scène de cinéma, de façon à faire un spectacle où je ne sois qu'un pion. On a commencé dans de toutes petites salles, avec entre 500 et 1 000 personnes. Je prenais des médicaments comme un fou pour pouvoir simplement monter sur scène !

Christophe Nicolas : Jean-Jacques, des cette époque, préfère le public hors-Paris, peut-être moins blasé, plus généreux que le public parisien.

Jean-Jacques Goldman : Quoique. On avait passé une petite semaine à l'Olympia qui s'était passée de manière très chaleureuse.

Christophe Nicolas : Tu as toujours préféré le public dit "de province" ?

Jean-Jacques Goldman: Oui. Pas spécialement pour moi, particulièrement. Je crois que c'est pareil pour tout le monde. Un type de Clermont-Ferrand et qui achète un billet, ce n'est pas la même chose qu'un type de Paris qui a vu cinq concerts dans la semaine, dont deux sur invitation...

Christophe Nicolas : Ça, ce sont les gens du métier...

Jean-Jacques Goldman : Ou même les gens qui ont un haut niveau de vie. Qui vont à tous les concerts. Qui ne savent pas s'ils vont au cinéma ou s'ils vont aller au concert ce soir là. A Clermont-Ferrand, lorsque le type a payé 150 ou 180 F pour son billet, il sait pourquoi il est là... Il y a vraiment une motivation des gens en face de toi qui est vraiment très différente.

Christophe Nicolas : La presse rock à l'époque continue à te bouder un petit peu... Pas bouder, mais à être un petit peu suspicieuse vis à vis du succès de Goldman.

Jean-Jacques Goldman : C'est bon signe quoi !

Christophe Nicolas : Ça ne va rien changer à son succès. "Envole-moi" se vendra à plus de 600 000 exemplaires... [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : "Envole-moi" figure sur "Positif". C'est le titre de l'album. Jean-Jacques assure le chant, le clavier, les guitares, les choeurs, les arrangements. Il maîtrise un bonne partie de tout ce qui fait le disque, et le fidèle Marc Lumbroso (...) assure toujours la réalisation.

Jean-Jacques Goldman : C'était l'interlocuteur. Il y avait un preneur de son qui était Jean- Pierre Janiaud à cette époque là , et Marc était un interlocuteur. Quand je lui faisais écouter une chanson, il me donnait son avis, "là on s'ennuie", "là c'est faible", "là il faut changer".

Christophe Nicolas : C'est le genre de gars que l'on écoute évidemment.

Jean-Jacques Goldman : Quand c'est quelqu'un comme lui, oui. C'est un type qui a un goût très sur, et une oreille pas du tout métier, une oreille de bon sens.

Christophe Nicolas : C'est un ancien ami, lui aussi, d'avant "Il suffira d'un signe" ?

Jean-Jacques Goldman : Pas du tout ! C'est quelqu'un qui m'a téléphoné, qui ramait dans le métier à cette époque là. C'était un jeune éditeur, qui avait faim, qui m'a téléphoné, parce qu'il a entendu des maquettes de moi. Un type qui a vraiment fait son métier...

Christophe Nicolas : Alors que personne d'autre n'y croyait...

Jean-Jacques Goldman : Absolument. Et capable lui, de déceler quelque chose d'intéressant chez quelqu'un de pas forcément connu.

Christophe Nicolas : Ce qui est assez rare. (...) La photo de la pochette de l'album est signée Bettina Rheims. Ce sera la toute dernière, la série en tout cas.

Jean-Jacques Goldman : Il suffit de regarder cette pochette pour comprendre pourquoi !

Christophe Nicolas : C'est la faute de Bettina Rheims ? C'est vrai que la photo n'est pas hyper chouettos...

Jean-Jacques Goldman : A mon avis, c'est l'une des plus odieuses ! (...) J'avais déjà l'air niais, mais alors là... !

Christophe Nicolas : L'album est dédié "à ceux qui resteront fidèles quand il sera moins facile de l'être". Est-ce que tu avais déjà une peur de lasser le public à l'époque de "Positif" ?

Jean-Jacques Goldman : Ce n'était pas une peur, c'était une certitude. Ce qui est très mignon, c'est que récemment, voici trois quatre jours, j'ai reçu juste un petit mot, avant un concert, où il y avait marqué, "tu vois, c'est plus difficile, et on est toujours là". Et c'était signe d'une Frédérique ou d'une Nathalie.

[NDJM : Suit un extrait de "Encore un matin"]

Christophe Nicolas : "Positif" au programme de la Cdthèque. (...) Sur cet album, Jean-Jacques invite le saxophoniste de Supertramp, John Helliwell. Tu es fan du groupe, j'imagine. Au fil des albums, vous avez remarqué comme nous que la voix de Jean-Jacques a évolué. (...) Est-ce que tu as travaillé l'organe ? (rires) Entre "Il suffira d'un signe", "Positif" et depuis ?

Jean-Jacques Goldman : Plus que l'évolution de la voix, c'est la façon de chanter surtout qui change.

Christophe Nicolas : Elle en agace même certains, puisqu'on pouvait lire "les premiers rangs craignent une otite, les bas fonds demandent des cotons tiges". (...) Pour l'album "Positif", Jean-Jacques recevra le Diamand de la Chanson Française. Est-ce que tu es sensible à ce genre de décorations ? Je sais que les victoires, c'est pas ta tasse de thé, on en reparlera dans la semaine. Même à l'époque, avant le "phénomène Goldman", tu n'étais pas sensible aux récompenses de cet ordre.

Jean-Jacques Goldman : Si tu es sensible à ces récompenses, il faut que tu sois sensible aussi aux critiques négatives. On ne peut pas être sensible qu'aux choses positives. Si j'avais été sensible aussi aux critiques négatives, je serais probablement en train de garder des chèvres dans le Caucase. Ni les excès d'honneur, ni les excès d'indignité ne doivent te perturber. Ce qui m'intéressait, c'était le contact avec les gens, et ça me suffisait.

Christophe Nicolas : Ça peut pas passer comme ça. Les critiques ne peuvent pas passer comme ça sans rien abîmer au passage.

Jean-Jacques Goldman : Ça dépend de qui ça vient ! Moi, je les connaissais, je les voyais. Je savais que c'étaient des gens qui, avant, faisaient de la politique, ou alors le théâtre, et qu'on avait mis dans la musique. En grande majorité, les gens qui s'occupent de la musique dans la "grande presse" sont des gens qui ont échoué au départ. Ce sont des gens qui sont très peu cultivés, qui connaissent très mal la chanson, qui sont pas capables de te citer quatre chansons des Beatles ! C'est tragique ! Que ces gens la te disent que tu as une voix de castrat endimanché, ou que tu es vraiment nul, tu te dis, "oh ! Formidable ! Ce sont sans doute eux qui ont dit la même chose d'Elvis Presley !

Christophe Nicolas : Donc ça glisse quand ça vient de ces gens là...

Jean-Jacques Goldman : Non seulement ça glisse mais en plus c'est bienvenu ! Il y a des gens à qui ça m'aurait vraiment gêné de plaire ! Un bon article de Philippe Manoeuvre, ça m'aurait gravement perturbé ! [NDJM : Attends attends attends ! Philippe Manoeuvre, c'est pas le mec qui faisait "Les enfants du rock", qui a consacré une spéciale à Jean-Jacques en 1984 ? ? ?]

Christophe Nicolas : A l'époque, les vidéoclips illustrent déjà pratiquement toutes les chansons. Jean-Jacques se laissera convaincre de jouer dans un clips pour "Envole moi", souvenez-vous de ce que racontait hier Bernard Schmitt. Nous parlions tout à l'heure de la scène. Jean-Jacques semble la maîtriser plutôt bien, lui qui ne voulait pas en faire, que ce soit en tournée ou à l'Olympia. Il dit ne pas aimer la vie de tournée, les voyages en voiture et se coucher tard. Est-ce que ça a un peu changé depuis ou pas, parce que Jean-Jacques a passé presque la moitié du temps sur les planches.

Jean-Jacques Goldman : J'ai appris. Je ne savais pas que c'était aussi bien. En particulier, le rapport avec les musiciens, cette vie de communauté. On arrive à 60 dans une ville, et on a l'impression de la réveiller un petit peu, et de changer de ville le lendemain. Ce sont des choses que je ne connaissais pas et que je ne pouvais donc pas juger. Je ne suis toujours pas comparable aux autres chanteurs, dans le sens où je suis content de partir, mais je suis content de rentrer aussi. Pendant les deux ans ou les trois ans où je ne tourne pas, je ne peux pas dire que cela me manque.

Christophe Nicolas : La rencontre avec le public, elle a été possible, elle est toujours possible ou pas ? Elle l'a été à une époque en tout cas. (...)

Jean-Jacques Goldman : Ça, jamais !

Christophe Nicolas : Même pas pendant les premières tournées ?

Jean-Jacques Goldman : Tu rencontres des personnes. Tu n'es pas en état de toute façon. Tu n'es pas disponible.

Christophe Nicolas : Tu n'es pas du genre à aimer qu'on vienne te voir après, ou la profession, ou les fans, pour te dire, c'était formidable, Jean-Jacques, j'adore ce que tu fais !

Jean-Jacques Goldman : Non. Moi je m'en vais tout de suite après un concert...

Christophe Nicolas : ... Pas en hélicoptère ? ! (rires)

Jean-Jacques Goldman ... Non, tout simplement, je ne suis pas en état de causer, et puis je n'ai pas envie. J'ai besoin d'au moins une heure, une heure et demie de tranquillité pour digérer ce qui s'est passé. Parce que ce qui se passe, c'est grave quand même !

[NDJM : Suit un extrait de "Long is the road"... Faudra qu'on m'explique l'enchaînement... ! Moi, je voyais plutôt "Nous ne nous parlerons pas"...]

Christophe Nicolas : Avec ces deux premières tournées, on se rend compte que Jean-Jacques ratisse large comme on dit. On vient souvent à ses spectacles en famille. Je ne sais pas si tu avais la même impression, toi qui étais sur scène et nous dans la salle, que les familles venaient avec les enfants. Un journaliste remarquera qu'il y avait à l'époque quelques babas tendance patchouli et pétard qui venaient assister aux concerts de Goldman. (...) Jean-Jacques parle pas mal sur scène. Et il y avait une époque [NDJM : Comme je suis vicieux, je viens de regarder avec la fonction "rechercher" de Word, et il l'a quand même dit 42 fois en 50 minutes d'interview ce mot !] où tu passais même des petits films sur ton enfance ou ton adolescence...

Jean-Jacques Goldman : Oh, j'ai dû faire ça sur le medley...

Christophe Nicolas : C'était un medley de tes chansons ou un medley de chansons des années 60 ou 70 ? [NDJM : La question est tellement ahurissante que Jean-Jacques n'y répond même pas !]

Jean-Jacques Goldman : Il y a toujours eu une présence de cinéma qui est due à Bernard, qui est issu du cinéma. Et donc, effectivement, on faisait des petites projections derrière.

Christophe Nicolas : Dans les albums de Goldman, on trouvera des cette époque deux styles de chansons, celles comme "Envole moi" ou "Encore un matin", plus "boum boum", plus faciles à programmer à la radio, et d'autres que Jean-Jacques a peut-être pris plus de plaisir à écrire, comme "Ton autre chemin" qui figure sur l'album, et d'autres chansons que seuls ceux qui écoutent l'album découvrent, et qui sont un peu plus longues. Jean-Jacques n'hésite pas à dépasser parfois cinq, six, sept minutes. Ce ne sont pas des chansons dites de radio. Il y en a dès le deuxième album des chansons comme ça, moins accrocheuses, pour ne pas dire racoleuses. Et justement, quand on dit que des chansons comme "Envole-moi" ou "Encore un matin" ou un peu plus tard "Je marche seul" ont un petit côté racoleur pour l'oreille, est-ce que tu prends ça bien ou est-ce que tu te sens un petit peu atteint ?

Jean-Jacques Goldman : Non, pas du tout ! Ce sont les chansons qui ont le plus de valeur pour moi. Les gens croient qu'il y a "Ton autre chemin", "Veiller tard", "Tu manques". Ce sont des chansons personnelles que j'aime beaucoup, mais celles pour moi qui ont le plus de valeur et qui m'épatent le plus, c'est quand même des chansons comme "Je te donne", "Quand la musique est bonne", parce qu'à mon avis, ce sont les plus difficiles à faire.

Christophe Nicolas : Mais tu disais tout à l'heure qu'elles te paraissaient évidentes à l'écriture... ? ? ?

Jean-Jacques Goldman : Non non non ! Une fois qu'elles sont terminées ! Je n'ai jamais douté du succès de celle-ci, par exemple [NDJM : On entend toujours "Long is the road" en fond...] mais pour les faire, pour les construire, les arranger, c'est beaucoup plus difficile de faire une chanson comme "A nos actes manqués" qu'une chanson comme "Nuit". En gros, les chansons rapides sont beaucoup plus difficiles à faire que les chansons lentes.

Christophe Nicolas : Le son, c'est l'affaire d'Andy Scott, il sera notre invité dans un moment. Il a choisi "Petite fille" [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : Pourquoi ce choix de "Petite fille" ?

Andy Scott : C'était un choix assez simple. Ça remonte à une soirée à La Réunion, en début de tournée 85. C'était un des premiers concerts que je faisais avec Jean-Jacques et l'équipe. C'était une soirée en plein air à La Réunion, il faisait bon, il faisait chaud. Je ne connaissais pas tout le monde très bien. Je connaissais Jean-Jacques depuis un bout de temps. Je trouvais que ce titre là, surtout ce soir là, était magnifiquement interprété.

Christophe Nicolas : La rencontre s'est passée comment ?

Andy Scott : On a travaillé ensemble avec Jean-Jacques en 1975 avec Tai Phong ! J'avais mixé "Sister Jane", c'était Jean Mareska [NDJM : le producteur de Tai Phong...] de WEA qui m'avait contacté.

Christophe Nicolas : S'il fallait retenir une petite anecdote de cette décennie Goldman, qu'est-ce que vous retiendriez, vous ?

Andy Scott : Une des plus drôles affaires à laquelle j'ai participé, c'était deux jours à l'aéroport de Miami, où on était bloqués. On devait aller à Cayenne pour voir le lancement d'Ariane. Eastern Airlines était en grève, et on s'est retrouvé bloqués deux jours à l'aéroport de Miami. Air France nous a trouvé un avion, sans équipage, et nous avons fait les piquets de grève en demandant si quelqu'un pouvait piloter ce type d'appareil, car nous avions des concerts en Guyane. Finalement, nous avons raté le lancement, car nous n'avons pas trouvé d'équipage. C'était en 1988.

Christophe Nicolas : Un petit mot quand même, puisque vous êtes l'ingénieur du son de Jean-Jacques Goldman. Comment se comporte-t-il lui, avec les gens qui sont derrière ?

Andy Scott : Tout à fait normalement. On est vraiment tous très très copains. (...) On a une équipe vraiment en or, aussi bien du côté des musiciens que du côté des techniciens. Jean-Jacques se trouve parfaitement bien avec tout le monde. C'est vraiment la famille.

Christophe Nicolas : Gagnez l'intégrale de Jean-Jacques Goldman, puisque Goldman a dix ans déjà...

Jean-Jacques Goldman : ... Bientôt la puberté !

Christophe Nicolas : Il est en train de se former doucement ! (...) Voici la question, elle a un rapport avec la photo : Qui a réalisé la photo de l'album Positif ?

(...)

Mercredi 17 novembre 1991 ------------------------- Christophe Nicolas : Comment est le quotidien de Jean-Jacques, lorsqu'il ne s'agit ni de tournées, ni de promo ?

Jean-Jacques Goldman : Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de quotidien. C'est en même temps intéressant, et en même temps un peu difficile. Tu te lèves, neuf fois sur dix, il n'y a pas de rendez-vous très fixe, il n'y a personne pour te dire ce que tu dois faire pendant la journée. C'est en même temps très confortable, mais cela peut être angoissant aussi.

Christophe Nicolas : Tu te rends compte quand même de la chance que tu as de vivre depuis quelques années. Nous sommes arrivés au milieu de la carrière... euh, de la décennie, on n'espère pas de la carrière, même si souvent, Jean-Jacques a dit "je sais que cela va s'arrêter un jour", on arrive à l'année 85. C'est une année chargée : un nouvel album, "Non homologué". On parlait de "Minoritaire" hier, "Non homologué" enfoncé un petit peu plus le clou encore.

Jean-Jacques Goldman : Je savais, en sortant cet album, qu'il ne plairait ni aux tenants de la chanson traditionnelle française, ni aux tenants du rock 'n roll.

Christophe Nicolas : ... Et la chanson des Restos du Coeur, qui a été faite un peu plus tard. Mais elle avait été pensée en 85...

Jean-Jacques Goldman : Non ! Elle avait été pensée en trois jours, puisque Coluche était venu me voir un soir dans une loge. C'était pendant "Je te donne", donc l'album était déjà sorti. Il me dit, "voilà, je veux une chanson pour les Restos du Coeur", je lui réponds "pour quand", et il me dit, "oh, tu as jusqu'à mardi !" (rires) La conception, la cogitation, la maturation a été relativement rapide !

Christophe Nicolas : Il y a eu l'Ethiopie aussi...

Jean-Jacques Goldman : Je n'ai rien fait là-dedans ! J'ai juste participé à une chanson qui a été composée par Renaud et Langolff.

Christophe Nicolas : Le magazine "Paroles et Musiques" dira à l'époque "L'art de raconter des histoires, Goldman le maîtrise à la perfection, et en cela, il s'inscrit dans la lignée de la grande chanson populaire, celle qui, de Piaf à Brel, de Bruand à Renaud, remplit sa fonction d'observateur social, de témoin du quotidien". Est-ce qu'à l'époque, tu avais le sentiment de raconter de mieux en mieux ce quotidien, ces petites histoires ?

Jean-Jacques Goldman : Non. (...) J'ai pas l'impression que les chansons du dernier album soient fondamentalement meilleures que celles du premier album. (...) Par contre, ce dont je suis sûr, c'est de ne pas du tout me sentir l'héritier de cette chanson traditionnelle dont ils parlaient. Ce ne sont pas du tout ces chanteurs là et ces chansons là qui m'ont donné envie de faire de la musique.

Christophe Nicolas : Et tu te sentais à l'époque déjà prêt à jouer ce rôle d'observateur social comme le disait le magazine, de témoin du quotidien ?

Jean-Jacques Goldman : C'est pas quelque chose que tu analyses, mais je sais que le chanteur, c'est un témoin, un voyeur des choses qui se passent à un certain moment. C'est vrai que les chansons sont un révélateur, des espèces de repères assez fidèles d'une époque, d'un moment, et de certaines préoccupations.

Christophe Nicolas : Quels sont les différents stades de la création d'une chanson ? (...)

Jean-Jacques Goldman : C'est le contraire de la chanson pour les Restos du Coeur. Il y a une longue maturation qui se fait en général, sur un thème qui me préoccupe, n'importe lequel, et sur lequel je vais prendre des notes pendant un an, deux ans, une phrase, deux phrases. Il y a une longue période qui met à peu près deux ans, qui est une période de maturation, et des textes, et des idées, et d'un autre côté, des thèmes qui me viennent en jouant. Je prends ça sur un dictaphone. Au bout de deux ans, quand tu sens que c'est mûr, il y a une période de travail qui dure à peu près un an. A peu près un mois par chanson, un mois et demi, où tu essaies de mettre ensemble la musique avec les idées que tu as eues, et de le mettre en forme. Et après, il y a la période studio où tu réalises.

Christophe Nicolas : Est-ce qu'il y a eu des chansons plus difficiles à composer que d'autres ? "Je marche seul" par exemple ?

Jean-Jacques Goldman : Très difficile !

Christophe Nicolas : ...Et tube énorme ! Premier extrait de l'album "Non Homologué" [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : Toujours un petit mot sur les pochettes de Jean-Jacques Goldman : "Les chansons sont souvent plus belles que ceux qui les chantent. Pardon à ceux que j'ai pu décevoir ou choquer par une attitude, un mot, une absence, un silence." (...) Tu prends un malin plaisir à trouver la petite chose qui va nous titiller ?

Jean-Jacques Goldman : C'est pas quelque chose qui m'a titillé ! C'est une réponse à des questions que je sens, des questions que l'on me pose. Des questions que je me pose. C'est vrai que quand tu sors de scène, que tu es crevé, et qu'il y a quelqu'un qui s'avance avec une photo, un autographe, ou qui veux te parler, et que toi t'es pas disponible parce que tu es un être humain à peu près normal, et que tu es fatigué ou de mauvaise humeur, je sais que, pour ces gens là, ça les choque profondément. Tu dois être en permanence, 24 heures sur 24, l'image qu'ils ont de toi. Les chansons sont souvent plus belles que ceux qui les chantent, et nous, on a des états d'humeur, des mauvaises volontés, des bassesses, qu'on ne marque pas dans nos chansons.

Christophe Nicolas : Ça veut dire aussi, mes chansons se suffisent à elles-mêmes comme on le disait avant-hier, lisez les paroles, écoutez les chansons, et ne venez pas me demander de les expliquer.

Jean-Jacques Goldman : Non, c'est pas ce que je veux leur dire, dans le sens où je comprends très bien qu'ils aient envie, éventuellement, d'en savoir un peu plus et de rencontrer le personnage, même si moi, j'ai jamais éprouvé ça avec aucun chanteur. Je ne méprise pas du tout cette attitude, mais qu'ils soient prévenus, qu'ils n'auront pas l'image du chanteur qu'ils se sont faite à travers les chansons.

Christophe Nicolas : Une fois de plus, "Non Homologué" contient quelques tubes. Pour la première fois, Jean-Jacques décide d'enregistrer un duo, qui connaîtra le succès que l'on sait. C'est une chanson qui a été choisie par le photographe, Claude Gassian. D'où est venue l'idée du duo avec Michael ?

Jean-Jacques Goldman : On a chanté beaucoup ensemble avant, sur le dernier album de Tai Phong, "Last Flight" que j'ai eu l'occasion de réécouter récemment à la suite d'une émission de "Saga", je trouve que ça sonne tout à fait comme le dernier album, c'est assez troublant. C'était simplement la matérialisation sur disque d'un fait qui existait depuis longtemps, c'est à dire que Michael et moi, on aime beaucoup chanter ensemble. [NDJM : Suit un extrait de "Je te donne"...]

Christophe Nicolas : Claude, vous êtes le photographe attitré de Jean-Jacques depuis l'époque de "Non Homologué", en quelques mots, c'était quoi, la photo de pochette ?

Claude Gassian : C'était Jean-Jacques qui s'accoudait sur l'épaule d'un des musiciens. C'est la première fois où j'ai travaillé très sérieusement avec Jean-Jacques, je le connaissais déjà à l'époque de Tai Phong, mais on s'était un peu perdu de vue pendant un certain nombre d'années.

Christophe Nicolas : Quand je disais "photographe attitré", est-ce que c'est vraiment le terme qui convient ? Est-ce qu'un artiste comme Jean-Jacques a vraiment "son" propre photographe, qui le suit, que ce soit en tournée, en tournage de clips, pendant certaines scènes de la vie privée ?

Claude Gassian : C'est pas vraiment comme ça qu'on peut appeler les choses. Je crois qu'il y a une question de confiance qui s'est installée entre nous. J'aime beaucoup faire des photos avec lui, lui se sent tranquille de travailler avec moi parce que l'on parle un peu le même langage au niveau photo. On a les mêmes idées, les mêmes envies, donc ça se passe plutôt bien.

Christophe Nicolas : Est-ce que lui, avant de vous prendre comme photographe, reconnaissait déjà ce que vous faisiez pour les autres ? Pour situer Claude Gassian un peu tout de même, ça fait vingt ans que vous tournez, que vous photographiez le monde du rock. Les premières photos ont dû être prises en 69, 70, au moment du Festival de Wight. Il y avait Morrisson, Jimi Hendrix. Goldman connaissait déjà ce que vous faisiez à l'époque ?

Claude Gassian : Il voyait souvent les photos dans les revues musicales spécialisées, et il connaissait déjà un peu mon travail. Au départ, la photo ne l'intéressait pas tellement. Au fur et à mesure des années, maintenant, je le soupçonne d'aimer assez bien ça ! (...)

Christophe Nicolas : Une petite anecdote de celui qui tire le portrait de Jean-Jacques ?

Claude Gassian : J'ai remarqué quelque chose : pendant les séances photo, il baille très souvent. (Rires) Je voudrais savoir si c'est par ennui... En fait, je trouve cela assez intéressant, visuellement ! [NDJM : cf. La couverture de "Traces" !] (...)

Christophe Nicolas : Combien de photos dans le nouveau livre que vous venez de consacrer à Jean-Jacques ?

Claude Gassian : 120, je crois.

Christophe Nicolas : Alors, on baille pendant les séances de photos, Jean-Jacques ? ? ?

Jean-Jacques Goldman : C'est bon signe, puisque c'est un signe de détente exemplaire...

Christophe Nicolas : A l'époque, à la question "quel est ton disque phare ?", dans un magazine de la presse jeune, Jean-Jacques répondait, "c'est le Best Of Spencer Davis Group". C'était vraiment tes premières amours, ces chanteurs des années 60 ?

Jean-Jacques Goldman : Ce jeune blanc, style Steve Winwood, polyinstrumentiste, chanteur qui chantait à 15 ans comme un vieux noir, (...) baigne de soul, de blues... (...)

Christophe Nicolas : L'album marquera les années 85-86. 86, c'est aussi l'année de la rencontre avec Johnny, et l'écriture de tout un album pour Johnny, "Gang". C'était un rêve de jeune homme ?

Jean-Jacques Goldman : Non, c'était une opportunité, une évidence à un certain moment. Johnny avait été remis en selle au niveau de son talent par Michel Berger, et je trouvais que cette façon de procéder était la bonne, qu'il fallait la continuer. Il lui fallait donc un autre auteur-compositeur avec lequel collaborer, puisqu'avant, il prenait des chansons d'un peu partout. (...)

Christophe Nicolas : Est-ce que Johnny faisait partie de ces gens pour qui tu aurais aimé écrire avant "Il suffira d'un signe" ?

Jean-Jacques Goldman : Bien sûr. Une chanson comme "Plus fort", par exemple, était une chanson qui avait été proposée à Johnny.

Christophe Nicolas : Pour faire une allusion à une de tes chansons, est-ce que Johnny est de ta famille ?

Jean-Jacques Goldman : [long silence, plusieurs hésitations]. Les rapports avec Johnny sont vraiment particuliers. Ça serait long d'en parler. C'est un type qui m'émeut beaucoup, pour lequel je souhaite vraiment beaucoup de bien, pour lequel j'éprouve une grande estime. Je pense qu'il éprouve la même chose pour moi. C'est pas suffisant pour avoir des contacts, et c'est un très mauvais type pour avoir des contacts. Et moi, je suis encore pire que lui. On n'a donc jamais pu vraiment communiquer. On ne communique pas bien ni l'un ni l'autre mais je pense qu'au fond, effectivement, il y a un vrai amour des deux côtés. Le mot amour n'est pas bien choisi ! Mais on se veut du bien, je crois...

Christophe Nicolas : Tu as appris quoi, toi, de ces contacts avec Johnny ?

Jean-Jacques Goldman : J'ai eu surtout le plaisir et le privilège d'avoir une Ferrari dans mes mains ! C'est comme quand tu es pilote automobile et que l'on te donne un superbe moteur. Lui, c'est une voix prodigieuse, et c'est aussi un personnage. Quand il chante, il n'y met non seulement ses capacités vocales, dont on ne parle pas assez, parce que c'est vraiment un grand chanteur, mais il y met aussi trente ans de vérité, de personnage, d'authenticité, et de vécu.

Christophe Nicolas : C'est vrai que depuis un certain temps, on oublie son talent. Il y a des marionnettes qui se sont moquées de lui, alors maintenant, quand on parle de lui, on pense à "ah que", etc.

Jean-Jacques Goldman : "On" ?! Mais pas les gens ! Les gens, quand ils le voient sur scène, ils savent que c'est un grand chanteur et qu'ils en prennent plein la tronche !

Christophe Nicolas : On revient à l'album "Non Homologué". Il y a des chansons d'amour, bien sûr, on va écouter "Pas toi". Est-ce qu'il y a beaucoup de chansons d'amour que tu as écrites sans pour autant qu'elles soient autobiographiques, sans avoir vécu ladite situation ?

Jean-Jacques Goldman : J'ai écrit très peu de chansons d'amour. C'est pour ça que ça me faisait rire, sur une émission précédente où tu disais que l'on me considérait comme un chanteur romantique au départ. Je dois être le chanteur qui a écrit le moins de chansons d'amour de l'histoire des chanteurs ! (...) "Pas toi" est peut-être effectivement la première chanson d'amour que j'ai écrite, [NDJM : Et "J't'aimerai quand même" ?! et "Juste un petit moment" ?! Et "Toutes mes chaînes" ?! Et "Si tu m'emmènes" ?! Et "Je ne vous parlerai pas d'elle" ?! A la rigueur, on peut même considérer que "Comme toi", "Petite fille" et "Ton autre chemin" sont des chansons d'amour, d'une certaine manière...] qui est très triste. C'est pas une situation que j'ai connue moi, effectivement. [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : Une des ballades briquées de l'album "Non Homologué". Une des chansons d'amour. Il y en a eu d'autres, j'étais en train d'y réfléchir pendant la pause.

Jean-Jacques Goldman : Lesquelles ?

Christophe Nicolas : J'ai pas eu assez le temps d'y réfléchir ! Il y en a eu d'autres... Il y en a eu d'autres... Avant "Pas toi"... C'était la toute première ?

Jean-Jacques Goldman : Oui, ou alors on peut parler de "Je ne vous parlerai pas d'elle", c'est pas vraiment une chanson d'amour...

Christophe Nicolas : Il n'y a pas de problème pour un auteur-compositeur à écrire des chansons sur des situations que tu n'as pas vécues directement ? Tu les as vu vivre par d'autres, et ça suffit largement pour faire une bonne chanson ?

Jean-Jacques Goldman : A mon avis, oui. De la même façon que quand un chanteur fait une chanson sur la faim en Ethiopie, il n'a pas besoin de crever de faim pour faire une chanson touchante. Ou quelqu'un qui fait une chanson sur l'exode rural dans la montagne, comme Jean Ferrat, il n'a pas besoin d'être paysan pour écrire ça...

Christophe Nicolas : Bien qu'il le soit. Sur cet album, on trouve aussi "Confidentiel"...

Jean-Jacques Goldman : ... Tu me cherches, toi !

Christophe Nicolas : Pas du tout ! "Confidentiel", c'est un petit peu à part...

Jean-Jacques Goldman : Ramenez-moi Nagui ! (rires)

Christophe Nicolas : C'est gentil pour moi, tiens ! Il y a les textes sur les pochettes d'album, et "Confidentiel", tu l'as terminée à la main si je puis dire. Tu l'as écrite à la main, cette chanson. Pourquoi ?

Jean-Jacques Goldman : Parce que c'est une chanson plus personnelle, plus de rapport direct avec les gens, parce que c'était une chanson qui ne pouvait pas sortir en 45 T, dans le sens où ce n'était pas une chanson qui allait vers les gens, mais les gens devaient aller vers elle. Je savais disons que c'était le point sensible de cet album, comme l'avait pu être "Veiller tard" avant, et comme l'a été "Tu manques" sur le dernier album.

Christophe Nicolas : "Confidentiel" fait partie de ce style de chansons [NDJM : défendues sur scène...] par exemple au Zénith, en décembre 85. Et là, Jean-Jacques qui est un garçon qui fait preuve d'humour à chaque fois que nous le recevons, a carrément acheté une page dans le journal Libération, pour faire paraître toutes les critiques négatives qui avaient été écrites sur toi. Tu t'en souviens de cet épisode là ? On a tout gardé, nous à RTL, donc on a retrouvé tout ce qui se disait à l'époque. L'idée était de toi ou de l'entourage proche ?

Jean-Jacques Goldman : C'est le genre d'idées qu'il faut que tu aies toi-même !

Christophe Nicolas : Ça se passait en décembre 85, avec tout ce qui se disait...

Jean-Jacques Goldman : Avec les noms !

Christophe Nicolas : ... Avec les noms des gens qui avaient écrit cela dans leurs journaux respectifs... Tu disais que la critique glissait, à un moment de cette Cdthèque. A l'époque, elle ne glissait pas tant que cela !

Jean-Jacques Goldman : On avait fait vraiment un Zénith magnifique, et un peu inespéré, puisqu'on avait fait un deuxième passage à Paris, et qu'on était restés longtemps... Je trouvais extraordinaire que les gens soient venus malgré ce déferlement de mépris, d'injures... Et que les gens soient assez forts pour passer là-dessus, et se dire, nous, on a quand même envie d'y aller, j'ai trouvé ça magnifique. La base, c'est quand même la phrase qu'il y a marqué dessus, "merci d'avoir jugé par vous-mêmes".

Christophe Nicolas : Avec des petits mots gentils, x : "Lui pour qui l'essentiel du jeu de scène consiste à garder sa manche au dessus du coude". A chaque fois, les gens sont cités, les journaux aussi. "La voix de castrat endimanché", on la retrouve, puisqu'à chaque fois, tu as puisé dans le passé. Ce n'était pas uniquement les critiques du moment. Il n'y avait pas également une histoire d'affichage, un Zénith complet sans affiches qui aurait pu faire des jaloux à l'époque ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas que ce soit une histoire de jalousie. C'est une question de facilité, de la même façon qu'ils vont maintenant taper sur Roch Voisine, sur Bruel, parce que ce n'est pas encore institutionnalisé. Il y aura un moment où ils arrêteront de taper, comme à un moment ils ont arrêté de taper sur Sardou et sur Hallyday. Ce sont des gens qui non seulement sont incompétents, mais ils sont en même temps lâches. Ils arrêtent dès que tu es arrivé à un certain niveau de reconnaissance. Ils ne tapent sur toi que quand tu es fragile. C'est des ordures !

Christophe Nicolas : Est-ce que tu serais prêt, toi, à en venir aux mains, à les rencontrer ?

Jean-Jacques Goldman : Ah non ! Dès que tu fais couler le sang, maintenant, tu ne sais pas trop... Ils sont sûrement séropositifs en plus ! Je ne veux pas prendre de risques...

Christophe Nicolas : Pour quelqu'un qui passe pour casanier, la tournée d'hiver-printemps ne suffit pas. On met rapidement en place quelques concerts d'été. Bon souvenir. Ça s'appelait "Veiller tard en juillet". Vous aviez investi avec toute l'équipe les parcs, les stades, les arènes. (...) En tout, plus de six cent mille entrées, je crois.

Jean-Jacques Goldman : Je sais pas, j'étais pas à l'entrée !

Christophe Nicolas : A l'automne 86 paraît le double album "En public". [NDJM : Suit un extrait de "La vie par procuration" '86...].

Christophe Nicolas : Jean-Jacques Goldman a obtenu la Victoire de la Musique 86 [de Meilleur Interprète Masculin], mais il n'est pas touché par ce genre de choses...

Jean-Jacques Goldman : Je préfère l'avoir que ne pas l'avoir !

Christophe Nicolas : Voici la question qui va vous permettre de gagner l'intégrale, avec quelques inédits, des chansons live, des chansons en anglais, et le livre de Claude Gassian. Voici la question, toute simple : Quelle chanson a choisie Claude Gassian pour illustrer la décennie Goldman ?

Jeudi 18 novembre 1991 ---------------------- Christophe Nicolas : Est-ce qu'il t'a été parfois difficile d'envisager la suite du succès ?

Jean-Jacques Goldman : J'avais que des certitudes négatives. C'était inespéré. 85-86, c'était "Je te donne", c'était cette tournée là, c'était fou, ce qui se passait. C'était un genre d'état de grâce qui arrive très peu. Je savais que ça ne pouvait que retomber et revenir à une relation plus "normale" entre un chanteur et son public.

Christophe Nicolas : Dans ces cas là, on n'a pas peur d'envisager la retombée du soufflet ?

Jean-Jacques Goldman : En ce qui me concerne, non, dans la mesure où ce qui m'arrivait m'avait surpris, n'était pas espéré. A la limite, je n'en ai pas vraiment joui, puisque ce n'était pas quelque chose que j'attendais impatiemment et passionnément. Ça m'a étonné, ça m'a beaucoup apporté. C'est mieux de vivre ça que d'être malade et au chômage... (...) J'en ai été très content, mais je ne peux pas dire que c'était quelque chose que je voulais absolument garder. C'est un truc en plus, quoi.

Christophe Nicolas : Lors de l'évocation de l'année 86, hier, j'ai oublié de parler de l'une des passions de Jean-Jacques qui est le foot.

Jean-Jacques Goldman : Passion téléphile ! C'est à dire que je suis le meilleur joueur de foot du monde devant mon fauteuil en train de regarder...

Christophe Nicolas : ... Non, je faisais allusion à la Fondation Balavoine pour laquelle tu avais joué plusieurs fois avec Cabrel, Harlem Désir, Patrick Bruel, le groupe Gold... Tu t'es détaché après d'Harlem Désir et de son mouvement SOS Racisme auquel tu avais été OK pour adhérer un petit peu avant.

Jean-Jacques Goldman : J'avais toujours dit que le jour où un type de droite ne pourrait pas se reconnaître dans une formation anti-raciste, ce serait un constat d'échec. Le jour où ils ont appelé à voter pour Mitterrand, pour moi, c'était la fin de la raison d'être de SOS Racisme qui pour moi, était un mouvement qui devait réunir tout le monde sur cette idée de base qui était l'antiracisme et l'égalité.

Christophe Nicolas : Tu es toujours prêt à te mobiliser pour de bonnes causes.

Jean-Jacques Goldman : Je dois en refuser beaucoup plus que j'en accepte...

Christophe Nicolas : On parlait des Restos du Coeur, de l'Ethiopie, les pompes à eau pour le Sahel avec la Fondation Balavoine...

Jean-Jacques Goldman : Oui, mais c'est un après-midi passé à jouer au foot avec des potes, ce n'est pas très contraignant.

Christophe Nicolas : Il y avait eu un tout autre domaine sur lequel tu avais réagi, c'était la suppression de TV6, à l'époque, en 87, la chaîne musicale. Est-ce que cela ne te paraît pas un peu oublié, comme combat ?

Jean-Jacques Goldman : Pas oublié dans la mesure où on se rend compte maintenant du taux de chansons anglaises et américaines qui sont programmées, en particulier, sur les radios FM. Ce qu'on avait dit au départ, c'est à dire que sans une télé pour nous soutenir, la chanson française était vraiment en danger comme cela s'est passé dans bien d'autres pays...

Christophe Nicolas : Bien que tu sois l'un de ceux qui soit le moins en danger !

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas que l'on se sauve tout seul. Plus il y a de chanteurs français qui marchent, et mieux c'est pour tout le monde. Même pour ceux qui marchent bien (...) Je crois que tout le monde est concerné par ça, et on se rend compte maintenant que c'était un vrai combat. Qui n'est pas fini.

Christophe Nicolas : A l'époque, le journaliste Patrick Amine, qui a écrit un bouquin sur Goldman, comparait Goldman à une sorte de Springsteen français. Comme Springteen, disait-il, il évoque une sorte de transition entre les années 60 et les années 70, un passage vers la positivité des années 80. Ces années 80, tu les as ressenties comme nous, j'imagine. Cette positivité, ça voulait dire quoi ?

Jean-Jacques Goldman : C'est un boulot d'analyste qui est un peu difficile. Il m'a semblé assister, surtout entre 80 et 90, à des fins de clivage. Par exemple, entre le rock et la variété. C'étaient des choses qui étaient extrêmement nettes avant, et qui ont complètement disparu, du moins dans l'esprit des gens. Ceux qui ont 15 ans, 20 ans, maintenant, peuvent très bien écrire des lettres du genre "J'aime bien Cure et Mylène Farmer", des choses qui étaient complètement inconcevables à notre époque. Il y a des phénomènes comme ça auxquels on a pu assister, mais cette histoire de retour à la positivité, ce sont des choses sociales, sociologiques, qui me dépassent un peu.

Christophe Nicolas : Une des chansons de Goldman de 87 illustrera d'ailleurs une situation courante depuis quelques années, c'était le bébé sans papa à la maison. "Elle a fait un bébé toute seule" annonce le double album (double en vinyl, simple en CD) "Entre Gris Clair et Gris Foncé". Pas de photo de pochette comme le précisait Claude Gassian hier soir, sobriété. J'imagine que c'était un des désirs de Jean-Jacques. On disait que tu voulais un peu reculer la sortie de l'album pour qu'il n'y ait pas overdose. (...) Un des plus gros succès de cet album sera, après "Je te donne", un duo, avec Sirima. On connaît la fin tragique de Sirima. Est-ce que tu te souviens de la rencontre ?

Jean-Jacques Goldman : La chanson était finie. Je cherchais la femme qui allait me répondre dans cette chanson. J'ai demande à tous mes amis, autour de moi, dans les maisons de disques, de me faire écouter des voix de chanteuses. J'ai écouté des centaines de disques, des centaines de cassettes. Un jour, Pinpin est arrivé avec une cassette, en disant, j'ai un copain qui s'appelle Philippe Delettrez, qui est saxophoniste aussi, qui travaille avec une fille, qui actuellement chante dans le métro, qui s'appelle Sirima. J'ai écouté la voix, c'était tout à fait le genre de voix que je cherchais. Je l'ai essayée comme j'ai essayé d'autres. Un jour, je l'ai rencontrée près du Châtelet parce que c'était la qu'elle officiait dans le métro. On est allés dans un bistrot, et je me suis rendu compte tout de suite que non seulement c'était la voix, mais que c'était aussi le personnage. On a fait un essai en studio, qui s'est révélé concluant, et on a pris rendez-vous pour la séance.

Christophe Nicolas : Le but, c'était quoi ? De donner une suite à "Je te donne" ? De renouveler l'expérience du duo qui avait déjà bien fonctionné un an, un an et demi avant ? Ou est-ce que ça s'est fait comme ça, parce que tu sentais cette chanson plutôt avec quelqu'un que seul ?

Jean-Jacques Goldman : Il y avait cette chanson, "Là-bas", qui était un duo. Je dirais presque que ce sont les autres chansons qui sont anormales. Si l'on prend les débuts, depuis que je fais de la musique, que ce soit avec Tai Phong ou d'autres groupes, c'étaient des gens qui chantaient ensemble. Ce qui est plutôt un épiphénomène, c'est quand je chante tout seul. Le fait de rechanter par la suite avec d'autres, c'était quelque chose qui m'était naturel.

Christophe Nicolas : "Entre gris clair et gris foncé", c'est l'album qui sort fin 87 avec tous les styles chers à Goldman. Pour refermer ce chapitre Sirima, il y avait d'autre projets avec elle ?

Jean-Jacques Goldman : Il y a eu un immédiat projet qui s'est réalisé, qui était son album solo. C'était quelqu'un qui avait beaucoup de personnalité et qui ne pouvait pas rester la chanteuse de quelqu'un d'autre. Elle avait beaucoup de choses à dire, et elle a donc réalisé son album, sur lequel j'ai chanté d'ailleurs. J'ai fait des choeurs. C'est arrivé, ensuite, après la sortie de son album.

Christophe Nicolas : Nous n'écouterons ce soir que des extraits d'"Entre gris clair et gris foncé". Comme sur chaque pochette, il y a un petit mot de l'artiste : "Tous les participants à cet album y ont laissé leur empreinte. Pour ma part, j'y ai laissé des bouts de moi", disait Goldman. (...) Cdthèque Goldman dans "Génération Laser", et Géneration Goldman aussi, qu'il le veuille ou non (...). La "Génération Laser" a commencé en 83, 84, et les CD sont vraiment devenus populaires en 86. Est-ce que tu te souviens de changements que cela a pu entraîner dans ta façon de faire ?

Jean-Jacques Goldman : Dans ma façon de faire, pas grand chose, mais j'ai assisté, effectivement, à tout ça, à la fin des vinyls, des 45 T.

Christophe Nicolas : "Entre gris clair et gris foncé" est sorti en CD en album simple, puisque l'on peut "serrer" un peu plus, alors qu'en vinyl, c'était un bel album qui s'ouvrait, avec de grands disques à l'intérieur...

Jean-Jacques Goldman : Avec des versions plus longues aussi...

Christophe Nicolas : Tu n'es pas un peu nostalgique du bel objet ?

Jean-Jacques Goldman : Non. Dans l'ensemble, je ne suis pas très attaché aux objets.

Christophe Nicolas : 88, Jean-Jacques a l'idée d'écumer plusieurs salles à Paris : Bataclan, Olympia, Palais des Sports, le Zénith. Un petit mot sur cette idée dont on avait pas mal parlé à l'époque ?

Jean-Jacques Goldman : C'était une idée que j'avais piquée à Georges Moustaki, qui avait fait une tournée des salles parisiennes. Il avait fait, comme ça, quatre, cinq salles. J'avais trouvé cela intéressant, pas dans le sens d'aller dans différents endroits, mais surtout dans des endroits de différentes contenances. Ça allait, en particulier, du Bataclan, où il n'y avait rien, sur le plan du décor, mais une proximité...

Christophe Nicolas : Il y a un bar...

Jean-Jacques Goldman : ...Mais il y en a partout !

Christophe Nicolas : Celui-là est plus accessible ! (rires) Et bien achalandé ! Je voulais te suggérer, pour la prochaine, Bobino, qui est bien équipée.

Jean-Jacques Goldman : C'était le plaisir de revenir à de toutes petites salles, et il y a aussi le plaisir de continuer de grandes salles avec de vrais décors. Ne me demande pas de choisir. J'aime bien les deux.

Christophe Nicolas : Mais je ne te demande rien...

Jean-Jacques Goldman : Ça tombe bien !

Christophe Nicolas : Sans pub, sans affiches, puis l'été emmènera notre petite troupe à Dax, à Montpellier, à Béziers, à Fréjus, Orange, Nîmes, Vienne, et Annecy, fameuse tournée avec les Arènes. Un grand moment, j'imagine, le fait de chanter dans des arènes ? Ce qui a fait que tu aies voulu recréer cette ambiance l'été 91 à la cipale, à Paris. C'était un vieux rêve, ou ça t'a pris comme ça pendant ta carrière.

Jean-Jacques Goldman : C'est arrivé un peu par hasard, dans le sens où tout le monde faisait ça. C'étaient les tournées d'été bien connues. La première fois où l'on avait joué, avec en première partie Cock Robin;, il s'était passé des choses que l'on n'avait pas vécues dans des endroits couverts. La température, le tempérament des vacances fait que les gens sont dans un état d'esprit différent. Et on a essayé de recréer ça.

Christophe Nicolas : En 88, pour le Nouvel Observateur qui titre "Génération Goldman", Jean-Jacques interviewe Michel Rocard, futur Premier Ministre. Les questions portent à l'époque sur l'avenir des enfants, l'avenir des enfants à l'école, le changement du rôle du Président pendant la cohabitation, le privilège, la formation des fonctionnaires face aux professions libérales... Et lorsqu'on fait ce job, la question arrive, est-ce qu'on n'est pas décalé du quotidien des autres, par la force des choses, que l'on vit en tournée, que l'on vit comme tu le fais en faisant des disques, en faisant quand même un métier à part. Est-ce que tu ne te sentais pas pas vraiment à ta place en interviewant un futur Premier Ministre sur les problèmes de tous les jours des Français moyens ?

Jean-Jacques Goldman : Tu as raison de dire qu'on est décalés, qu'on vit pas la même vie que les gens. Ça, c'est vrai, on est des privilégiés. Par contre, je me sentais à ma place dans le sens où je ne lui ai pas posé de questions là dessus. Je lui ai posé des questions sur l'éducation nationale, c'est quelque chose que je connaissais en tant qu'étudiant, longtemps, et ensuite en tant que père de famille. Je lui ai posé des questions sur la structure qui faisait qu'il était beaucoup plus facile pour un fonctionnaire, au départ, de faire de la politique que pour une profession libérale. C'est un problème de fond. Un fonctionnaire, c'est vraiment quelqu'un qui est déconnecté des vrais problèmes quotidiens. Des choses comme ça sur lesquelles je pouvais m'exprimer. C'est vrai que je ne lui ai pas posé de questions sur le prix de la baguette de pain, ou sur le confort dans le métro, qui ne sont pas des choses que je vis au quotidien.

Christophe Nicolas : 88 est aussi pour Goldman l'année des grands voyages, on se souvient lundi du Goldman qui ne voulait pas faire de galas en province. Il part au Gabon, en Côte d'Ivoire, à Madagascar, bons souvenirs ?

Jean-Jacques Goldman : Mais j'ai pas fait de discothèques là-bas !

Christophe Nicolas : Non, je faisais allusion aux voyages, tu étais plutôt quelqu'un qui restait à la maison...

Jean-Jacques Goldman : Oh non. J'ai toujours fait beaucoup de voyages, en stop ou n'importe comment...

Christophe Nicolas : "Long is the road" était du vécu... Malgré sa soif de chanter, Goldman ne cesse de répéter qu'il s'arrêtera un jour, il le dit à l'époque dans une interview, au grand désespoir des fans...

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas avoir dit ça. Dans quel truc tu as lu ça ?

Christophe Nicolas : On me l'a dit plusieurs fois. Je n'ai pas noté tout, mais tu disais à l'époque que tu sais que cela allait s'arrêter, que tu t'arrêterais un jour...

Jean-Jacques Goldman : Il y a une différence ! Ce dont j'étais sûr, c'est que le succès qui existait à l'époque de "Non Homologué", la période 85-90, allait s'arrêter. Je continue à le dire. Même McCartney, quand il vient à Paris, il n'y a pas autant de monde que quand il chantait il y a vingt ans ! C'est pas être devin que de penser ça !

Christophe Nicolas : Tu n'as pas dit que tu allais t'arrêter ?

Jean-Jacques Goldman : Non. Je savais qu'il y a des choses qui allaient s'arrêter, parce qu'elles s'arrêtent pour tout le monde. On ne peut pas penser que si, actuellement, Léo Ferré fait moins de monde que New Kids on the Block, c'est parce qu'il est moins bon chanteur qu'eux ! Il y a une question de génération, de moment. (...)

Christophe Nicolas : (...) 1987. 18 nouvelles chansons. Est-ce que certaines étaient prêtes depuis longtemps ? Est-ce que tu es du genre à stocker un peu, ne sentant pas le bon moment, à te dire, on va attendre un peu, ou est-ce que ce sont des chansons écrites un an avant la sortie de l'album ?

Jean-Jacques Goldman : Il y a les trois. Il y a des chansons qui traînent depuis cinq, six ans, et qui n'ont pas leur forme définitive, et qui arrivent à un moment, exemple, "Elle a fait un bébé toute seule" dont les rythmiques avaient déjà été enregistrées auparavant sur un autre album, ou alors, "J'oublierai ton nom", pour Hallyday, qui avait été enregistré pour un album précédent mais qui n'était pas mûre. Ensuite, il y a les chansons qui sont faites pendant les trois dernières années, qui sont l'essentielles d'un album. Et puis ensuite, il y en a toujours une ou deux qui arrivent pendant que tu es en train de faire cet album.

Christophe Nicolas : Qui arrivent comment ? Parce que tu sens que le thème abordé va vraiment coller à l'époque de sortie de la chanson ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas. Elle s'impose. Tu es en train de travailler sur une autre, et puis tout d'un coup il y a celle ci qui s'impose de façon évidente, qui prend la place d'une autre qui était prévue là depuis deux ans ou trois ans. Ce sont des chansons comme "Nuit" qui arrive presque au dernier moment, une chanson comme "Pas toi" aussi.

Christophe Nicolas : Beaucoup sont parties à la casse ou pas ? (...)

Jean-Jacques Goldman : Pas à la casse. Elles sont de côté. Je piquerai un bout du refrain, ou un bout du texte.

Christophe Nicolas : Il y en a une qui figure sur "Entre gris clair et gris foncé". Elle a été choisie par Thierry Suc, qui est le tourneur, l'organisateur des spectacles, "Puisque tu pars". (...)

Christophe Nicolas : Vous, Thierry, vous êtes l'organisateur des spectacles de Jean-Jacques ?

Thierry Suc : Depuis le jour où il a mis le pied sur scène. C'était l'automne 83.

Christophe Nicolas : On dit que vous vous êtes rencontrés quelques années plus tôt dans une station de ski. C'est vrai ?

Thierry Suc : Non, c'est pas vrai. On s'est rencontrés à La Nouvelle Affiche, au MIDEM [82] à Cannes. J'avais vingt ans à l'époque et je faisais des concerts à Lyon. Et mon grand rêve était de faire un concert avec Jean-Jacques à Lyon. J'aurais jamais imaginé qu'on ferait quatre cents et quelques spectacles en dix ans à travers la France et à travers le monde.

Christophe Nicolas : C'est à dire que dès le début, vous avez craqué sur la musique et le personnage, et vous vous êtes dit, j'aimerais bien faire quelque chose avec lui. Dès le début de 1982. Peu de gens le connaissaient, à part avec "Il suffira d'un signe".

Thierry Suc : C'était la seule chanson connue...

Christophe Nicolas : Et vous vous sentiez que cela ferait quelque chose ?

Thierry Suc : Ce serait prétentieux de dire que je le sentais ! Encore une fois, j'avais vingt ans, j'étais très jeune. Et Jean-Jacques a eu la folie de partir avec moi dans cette aventure. Sans cette rencontre et sans ce jour là, je ne serais pas ici, et je n'aurais pas fait ce métier.

Christophe Nicolas : Si vous deviez retenir de cette décennie Goldman une petite anecdote...

Thierry Suc : On a vécu beaucoup de moments incroyables. On a fait un concert à Madagascar, il ne s'était rien passé là-bas depuis 1968. On y est allé en 1988. Ce qui s'est passé est carrément dingue. Il y avait trente mille personnes qui attendaient devant la porte, pour une salle de trois mille places. Ça a été une folie. C'était un concert à la fois difficile, tendu. Les gens connaissaient les chansons par coeur. Ils ont tout chanté. C'était une émotion très très intense. Et on a revécu quelque chose à Bali, quelques mois plus tard, qui était très proche de ça. Bien sûr, chaque soir en France, en Belgique, en Suisse, c'était un public incroyable, mais il y a eu des moments comme ça très forts dans des endroits perdus dans le monde.

Christophe Nicolas : Plus qu'à Paris ou partout en France...

Thierry Suc : Pas plus, mais différemment ! A Paris, on a l'habitude de voir des spectacles, et on sait qu'il va se passer des choses. On sait qu'à Forêt National [à Bruxelles], il se passe tous les soirs quelque chose de merveilleux. Quand on nous a dit, personne n'est allé à Madagascar depuis vingt ans, on savait pas, on pensait qu'on allait faire cinq cent personnes. (...) On pensait pas qu'il y aurait trente mille personnes. Les gens n'avaient pas loué leurs billets. En France, les gens ont l'habitude d'acheter leurs places avant le spectacle. Là, la location, c'était deux mille places, et ils étaient trente milles devant la porte !

Christophe Nicolas : Quand je te regardais et te voyais écouter attentivement ce que disait Thierry Suc, je me disais qu'il y avait des petites choses que tu avais oubliées, et que tes amis viennent nous raconter au fil des jours. Ça rappelle de bons souvenirs, Madagascar par exemple.

Jean-Jacques Goldman : Ce ne sont pas des choses que j'ai oubliées, mais ce sont des choses qui me rappellent.

Christophe Nicolas : Tu es quelqu'un qui a une bonne mémoire en général. Tu as cette réputation là.

Jean-Jacques Goldman : Sélective.

Christophe Nicolas : Tu te souviens des gens. Tu te rappelles parfaitement, j'en suis certain, de ce qu'untel ou untel a pu dire aux débuts ; quand Thierry Suc parlait de ceux qui croyaient en Goldman au début, tu te rappelles parfaitement de qui t'a donné un coup de main... (...)On va poser une question toute simple pour faire gagner à deux d'entre vous la compilation... euh, l'intégrale de Goldman, et un très beau livre de Claude Gassian. Dans combien de salles parisiennes Jean-Jacques s'est-il produit en 1988 et lesquelles ?

Vendredi 19 novembre 1991 ------------------------- Christophe Nicolas : Nous voilà arrivés à ce denier rendez-vous. Cela n'a pas été trop difficile depuis lundi ?

Jean-Jacques Goldman : C'était un plaisir.

Christophe Nicolas : Je sais que tu n'aimes pas trop parler de toi, de parler du passé.

Jean-Jacques Goldman : Franchement, je n'ai pas trop l'impression de parler de moi. C'est ça qui est terrible. J'ai l'impression de parler de quelqu'un d'autre (rires).

Christophe Nicolas : "Mon succès m'a offert la plus chère des libertés. Celle de pouvoir me taire quand je n'ai pas envie de parler". En 89 sort "Traces", l'album enregistré live de mars 88 à janvier 89. 147 concerts en tout. Il y a eu le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Togo, l'Afrique quoi, la Réunion, Madagascar, Saint-Etienne, Paris, les salles dont on a parlé, les Francofolies, le Canada... euh, non, un concert en plein air avec Canada ! Le Groupe Canada n'existe plus, mais Gildas Arzel, lui, a continué, et on l'a retrouvé en 91 dans la tournée.

Jean-Jacques Goldman : Et on retrouve également Erick Benzi, avec lequel je travaille étroitement et avec lequel j'ai beaucoup travaillé sur le dernier album. C'était le clavier de Canada.

Christophe Nicolas : Il y a peu de gens, on le disait au début de cette semaine, avec lesquels tu as dans ce métier des contacts étroits.

Jean-Jacques Goldman : Il y a peu de gens globalement avec lesquels j'ai des contacts étroits. (Rires).

Christophe Nicolas : On a dit qu'on ne se mêlerait pas de la vie privée ! En tout, douze chansons souvenirs de ces mois passés sur la route. Est-ce qu'il t'arrive de les réécouter, toi, ces albums enregistrés en public ?

Jean-Jacques Goldman : Franchement, uniquement pour des raisons professionnelles. Par exemple; on joue tel titre et on a un doute sur le tempo, sur l'arrangement, pendant les concerts, avant les répétitions. On s'en remet un, comme ça, devant tout le monde. Et puis au cours des émissions de radio. C'est pour ça que c'était marrant de le faire, parce que j'ai réécouté des morceaux qui m'ont étonné : la voix, la tonalité, la façon de chanter, que je trouvais vraiment très bizarre...

Christophe Nicolas : Michael Jones était, bien sûr, sur scène. Il a souhaité réentendre "Peur de rien blues" enregistré live sur l'album "Traces". [NDJM : Suit un extrait...]

Christophe Nicolas : Michael, en quelques mots, un bref historique de la rencontre entre toi et Jean-Jacques Goldman ?

Michael Jones : La rencontre s'est passée dans une maison à Sceaux pour le choix des titres d'un 45 T de Tai Phong.

Christophe Nicolas : C'est à dire que c'était avant "Sister Jane"...

Michael Jones : Non, c'était après Sister Jane. Je suis rentré dans Tai Phong, en fait, pour remplacer Jean-Jacques au départ parce qu'il ne voulais pas faire de scène. Il est arrivé un moment où il fallait faire un disque. On avait tous fait des maquettes à droite et à gauche. Il y avait une réunion dans cette maison. C'était la première rencontre. Il y a eu un échange comme ça, un regard, et on est devenus tout de suite copains.

Christophe Nicolas : Vous êtes devenus tout de suite complices, jusqu'à la sortie du premier album de Jean-Jacques en 1981. (...) Si on devait choisir deux temps forts de cette période...

Michael Jones : Un des temps forts, c'était justement "Peur de rien blues" sur la dernière tournée, c'était pour moi le moment le plus fort du spectacle. Je faisais cette chanson très guitare, donc ça me plaisait beaucoup, avec des moments très très doux où il n'y a pratiquement que de la voix et du piano et le public, et arrive à un moment à la fin de cette chanson, on a commencé à jouer un boogie woogie. Il y avait la scène qui montait et qui rentrait dans le public. Le public réagissait très fort, c'était fantastique.

Christophe Nicolas : Lorsque la chanson a été créée en studio, est-ce que vous vous doutiez déjà du résultat qu'elle aurait sur scène ?

Michael Jones : Pas du tout. A l'époque où on avait le décor de scène, on ne savait même pas sur quelle chanson on allait utiliser ces effets. On savait comment la dernière chanson allait se terminer, mais on a cherché pendant la mise en scène, surtout Bernard et Jean-Jacques, quelle chanson pouvait le mieux valoriser ce mouvement de scène et c'était "Peur de rien blues".

Christophe Nicolas : Michael, durant toutes ces années de complicité, j'imagine qu'il s'est passé pas mal de choses, alors est-ce que tu as choisi *une* anecdote ?

Michael Jones : Pendant la toute première tournée en 83, on a joue à Sedan, c'était une petite salle d'environ 800 personnes, et le public était juste devant nous au bord de la scène. Il y avait des fans qui tendaient les bras, et Jean-Jacques a essayé de serrer les bras d'une ou deux personnes, et plouf ! Il est parti dans le public ! On ne voyait que le micro qui dépassait le public comme ça. Il a essayé de sauver le micro ! (...) Il a plus jamais tendu la main !

Christophe Nicolas : On revient à l'année 89. Du 6 au 14 novembre, Jean-Jacques participe aussi à la tournée des Enfoirés. (...) Sept concerts en tout pour les Restos du Coeur. Une petite famille qui se retrouvait sur scène ?

Jean-Jacques Goldman : Pas trop. Justement, puisque l'on se connaissait peu. Eddy, Johnny et Sardou se connaissaient bien, mais sinon, cela faisait longtemps qu'ils n'étaient pas montés sur une scène ensemble.

Christophe Nicolas : Au fil des tournées, des rencontres, est-ce que tu t'es lié avec des gens, de la Tournée des Enfoirés par exemple ? Vous vous êtes revus, comme nous ça se passe dans la vie, on va s'appeler on va se voir, ou est-ce que ça ne se passe jamais ?

Jean-Jacques Goldman : On est contents de se croiser. Quand Mitchell joue au Casino de Paris, je vais le voir, on bouffe ensemble après. Ce sont vraiment des gens pour qui j'ai beaucoup d'estime, ce sont des gens bien.

Christophe Nicolas : Le charity business, comme on l'appelle, qu'est-ce que tu penses de ça ? Il n'y a pas eu un abus, du monde du spectacle, de vouloir se mêler de tout ce qui se passe dans le monde à une époque ?

Jean-Jacques Goldman : La seule chose qu'on peut lui reprocher, c'est l'échec. Je refuse de participer à des disques qui, pour moi, vont échouer. La pire des choses, c'est de faire quelque chose comme ça, et que cela soit un échec. Par contre, lorsque je sens que cela peut marcher comme cette Tournée des Enfoirés qui a eu un grand retentissement, qui a généré beaucoup d'argent et qui a donné la pêche à tous les bénévoles des Restos du Coeur, pour en plus une action que je trouve très positive, et qui est sans tache, pour l'instant, dans ce cas là, je suis d'accord pour y participer. A priori, il ne faut pas que la cause soit juste - évidemment, si - mais surtout, que ce qu'on fait ait du succès.

Christophe Nicolas : Est-ce qu'il y a à ton avis une cause pour laquelle on n'a rien fait et qui l'aurait mérité ?

Jean-Jacques Goldman : Toutes les causes ! Je réponds non dix fois par jour à des causes qui sont toutes plus magnifiques les unes que les autres ! On ne peut pas être solidaire de tout, on ne peut pas résoudre tous les problèmes. Il y a beaucoup de problèmes qui doivent être résolus par le pouvoir et les collectivités et pas par les gens qui passent à la télé.

Christophe Nicolas : Fin 1990, tout le monde attend la nouvelle cuvée Goldman. Dans les milieux autorisés, comme disait Coluche, on murmure que la vedette apparaîtrait désormais au sein d'un groupe. (...) Dorénavant, Jean-Jacques n'apparaîtra plus tout seul, sera crédité en tout cas de deux complices au même titre que lui sur la pochette, Carole Fredericks et Michael Jones. Est-ce que tu te souviens du jour où tu as annoncé cela à ta maison de disques ?

Jean-Jacques Goldman : Je me souviens de la discussion que j'ai eue avec Henri de Bodinat, qui est le Président de la Société [NDJM : Sony Music France]. Ils étaient déjà un peu habitués, dans le sens où auparavant, j'avais dit que j'allais chanter un duo, moi chantant en français, l'autre chantant en anglais, avec un guitariste inconnu ; ensuite, je leur ai dit que j'allais chanter en duo avec une jeune fille qui chantait dans le métro, pour l'instant, aussi inconnue ; ensuite, je leur ai dit que j'allais faire un album qui serait finalement double avec toute une face acoustique et qu'il y aurait pas ma photo sur la pochette. Quand je leur ai dit ça, ils ont été attentifs en tout cas, et ils n'ont pas du tout eu d'a priori contre. Ils ont essayé de comprendre. J'ai essayé de leur expliquer, et ils m'ont tout de suite aidé, plutôt que d'essayer...

Christophe Nicolas : ... de te mettre des bâtons dans les roues. L'idée avait mûri pendant la tournée. Vous étiez tellement complices que vous vous êtes dit, après tout, pourquoi pas carrément faire un album tous les trois.

Jean-Jacques Goldman : Ça n'a pas été une discussion à trois. C'est un fait qui s'est imposé à moi. J'ai commencé à composer des chansons, et arrivé à huit chansons, je me suis aperçu que les huit étaient des duos ou des trios. Je me suis dit, qu'est-ce que je fais. Je jette tout pour écrire un album solo pour des raisons de carrière, ce qui pour moi était impossible. L'autre chose, c'était, comment je l'appelle : Jean-Jacques Goldman et quelques amis ? C'était presque une escroquerie, dans le sens où il y a une chanson que je chante seul. Le mieux était de l'appeler par ce que c'était. (...)

Christophe Nicolas : Il a failli s'appeler un temps "Guitare et voix".

Jean-Jacques Goldman : Il aurait pu s'appeler "Guitare et voix". Il aurait pu s'appeler Fredericks / Goldman / Jones : Guitare et voix, mais il me semblait que déjà, Fredericks / Goldman / Jones, c'était un truc assez difficile à avaler !

Christophe Nicolas : Collaboration depuis quelques années puisque Carole avait rejoint la troupe en 86 en tournée, puis sur disque. Michael, on l'a entendu tout à l'heure, il est en France depuis une vingtaine d'années. Durant ces dix années, est-ce que tu as eu la sensation de passer à côté de certaines choses, de rater quelques trucs ?

Jean-Jacques Goldman : (rires) Il y en avait même suffisamment pour en faire une chanson !

Christophe Nicolas : Par exemple ?

Jean-Jacques Goldman : "A nos actes manqués" !

Christophe Nicolas : Mais non ! Evidemment, la chanson qu'on va l'amener comme ça ! Est-ce que toi, j'imagine que tu rentres pas le soir en te disant, mon Dieu, c'est dix ans, mais puisque l'on en parle là, que l'intégrale est là, est-ce que tu te dis, on en parle un peu ensemble Jean-Jacques, j'ai raté telle ou telle chose, j'aurais dû faire comme ça.

Jean-Jacques Goldman : M'ouais.

Christophe Nicolas : Pour quelqu'un qui n'a pas vraiment mis de plan de carrière au début, c'est ce que l'on disait lundi et mardi.

Jean-Jacques Goldman : M'ouais.

Christophe Nicolas : Qu'est-ce que tu as le sentiment d'avoir raté ?

Jean-Jacques Goldman : Sur le plan de l'image, sur le plan des clips, Bernard a vraiment très bien travaillé, mais je crois que j'aurais dû m'impliquer plus. J'étais trop, presque agressif vis à vis de l'image, parce que je ne suis pas d'une génération de l'image. Je suis de la génération de la musique, avec un peu le mépris du reste.

Christophe Nicolas : Mais Bernard Schmitt disait que tu étais les oreilles, et lui les yeux.

Jean-Jacques Goldman : Dans ce sens là, je lui ai plutôt mis des bâtons dans les roues plutôt que de l'aider. J'aurais dû apprendre plus cette notion maintenant fondamentale de l'image avec la musique, et je me suis presque cabré contre ça, comme si c'était quelque chose de dévalorisant, presque de méprisable.

Christophe Nicolas : Le fait de devoir expliquer par l'image aux gens ce que signifie la chanson ?

Jean-Jacques Goldman : Exactement. J'avais pas besoin de ça quand j'écoutais les Hendrix, ce qui était faux d'ailleurs puisque c'étaient des gens qui avaient une image extrêmement forte. Mais je m'en rendais pas compte. Il y a donc ce côté un peu aveugle et un peu agressif vis à vis de l'image qui se reporte aussi sur la façon de traiter la télévision, qui est un peu méprisante, alors que c'est maintenant un média incontournable, dans lequel on peut faire des choses, éventuellement.

Christophe Nicolas : Tu t'en es rendu compte récemment de ça ?

Jean-Jacques Goldman : Non. Depuis toujours. C'était un petit complexe de supériorité malvenu. L'image, c'est la même chose, la télé, ce ne sont pas du tout des choses méprisables, qui font partie du deal maintenant, et qui sont très intéressantes, et dans lesquelles on peut faire de l'art.

Christophe Nicolas : Il était encore temps, il y a quelques années, de se remettre en question, ce que tu fis d'ailleurs...

Jean-Jacques Goldman : Bien sûr ! Tu me demandes si j'avais des choses à regretter, je pense qu'il y avait des choses à faire sur le plan de l'image sur lesquelles on aurait pu aller plus loin... Sur le plan des concerts aussi, sur la dernière tournée, je regrette de ne pas avoir tenu suffisamment compte des salles dans lesquelles je jouais. C'est un problème avec les promoteurs locaux. On aurait dû, certaines fois, aménager les salles quand on le pouvait financièrement, de manière à ce que les gens soient mieux encore, sur le plan du son. Ce n'est pas de notre faute aussi si on joue dans des dépotoirs et dans des halls expo qui sont honteux pour les gens qui viennent. Ce n'est pas de notre faute si à Nice, il n'y a pas une salle, si à Marseille il n'y a pas de salle, si à Lyon il n'y a pas de salle. C'est un scandale, mais on aurait dû quasiment les construire, ces salles. Voila des petits détails comme ça. Ce sont des petits regrets.

Christophe Nicolas : Qu'est-ce qui s'est passé à Quimper pendant la dernière tournée ? C'est la seule fois où Jean-Jacques Goldman a dû annuler un concert...

Jean-Jacques Goldman : Je vais essayer d'être rapide... L'organisateur local n'était pas l'organisateur privé normal mais un organisateur appuyé par la mairie qui est l'organisateur d'un festival de musique traditionnelle, qui avait décidé d'ouvrir un petit peu sa programmation et en dehors du festival de musique traditionnelle, d'organiser un concert avec nous. Ça a été mal pris par un promoteur local, et cela a tout de suite donné le prétexte d'une bagarre municipale et politique entre les deux partis, dans laquelle je ne suis pas intervenu mais où on a commencé à dire des choses, disant que je demandais un million de francs pour venir. Quand tu dis des choses comme ça à des gens, tu peux pas en même temps venir après et faire un concert où tu demandes un peu de confiance. La seule façon pour moi de prouver aux gens de Quimper que j'en avais rien à foutre du blé, c'était d'annuler. Je n'avais pas d'autre moyen. Je ne pouvais pas dire, vous savez, moi, le blé, ça m'intéresse pas. Ce qu'il fallait, c'étaient pas des mots, mais des actes. Donc, j'ai dit voilà, je viens pas. Je suis revenu trois mois après, quand tout était retombé. C'était en dehors de l'été, en dehors des périodes estivales ; ça prouvait bien que je ne venais pas pour uniquement me remplir les poches, mais que je venais aussi pour les gens de Quimper.

Christophe Nicolas : Sinon je crois que tu aurais arrêté depuis un moment, si le seul but était de remplir tes poches.

Jean-Jacques Goldman : Mais tu sais, j'aurais fait ce que tu disais au départ, c'est à dire des discothèques. Tu viens avec ta bande, et là, tu deviens un homme riche, et extrêmement pauvre à mon avis...

[Suit un extrait de "A nos actes manqués"]

Christophe Nicolas : Nous voici en avril 91, Jean-Jacques, avec toujours la tournée, en juin à Paris. On parlait d'aménager des salles tout à l'heure, là c'est pas une salle, c'est un endroit de spectacles aménagé en plein air, réaménagé. C'est la sipale, qui t'a laissé un bon souvenir. Certains avaient amené des couvertures, ils ont bien fait. Je crois que c'était le premier ou le deuxième soir, il faisait un petit peu frais ! Ensuite, il y a une toute la tournée à travers la France. Justement, ça m'amène une question sur le public et sur le renouvellement du public depuis ces dix ans. Est-ce que tu as senti des changements dans ce public ? Est-ce que ce sont, parfois, les enfants des premiers qui viennent aux spectacles de Goldman ?

Jean-Jacques Goldman : Y a pas eu le trop le temps pour qu'ils aient des enfants...

Christophe Nicolas : Au début, on venait en famille, c'est ce que l'on disait au début de cette Cdthèque.

Jean-Jacques Goldman: Il y a assez peu de renouvellement, dans le sens où une fille qui a douze treize ans maintenant ne met pas dans sa chambre le poster que mettait sa grande soeur...

Christophe Nicolas : Celle qui avait 19 ans en 81 a arrêté d'écouter Goldman ?

Jean-Jacques Goldman : Oh, il y en a qui continuent. Ce qui a changé, globalement, c'est un vieillissement, toutes ces petites qui étaient pré-adolescentes, elles sont plus âgées. Il y a plus d'hommes qui viennent.

Christophe Nicolas : Est-ce que tu tiens compte de tout ça lorsque l'on en est au premier stade de la création, de l'écriture des chansons ? Ou est-ce que l'artiste ne peut pas tenir compte de ce genre de données ?

Jean-Jacques Goldman : Je crois qu'il peut en tenir compte ; en ce qui me concerne, lorsque j'écrivais "Quelque chose de bizarre", qui était tiré d'une nouvelle d'Edgar Poe, ou alors "Il suffira d'un signe", qui est vraiment un texte assez noir, assez dur. Comme je te disais tout à l'heure, il n'y a quasiment pas de chansons d'amour dans les quatre cinq premiers albums que j'ai faits. C'étaient pas du tout, pour moi, des chansons qui s'adressaient à un public adolescent ou très jeune. Je me retrouve maintenant devant un public plus âgé à chanter "Il suffira d'un signe". Je crois que c'est la quatrième chanson du concert, sans avoir de décalage. J'ai pas l'impression de chanter "Bonne nuit les petits" ou "Nounours est arrivé".

Christophe Nicolas : Pourtant, il paraît que tu fais très bien "pom popopom pom pom..."

Jean-Jacques Goldman : Il paraît...

Christophe Nicolas : On revient à cette tournée qui dure jusqu'au 22 décembre. Il y a quelques mois, il y avait une révélation du journal "Ici Paris". Tu vois, nous avons un peu fouillé la presse. "Curieux personnage que Jean-Jacques Goldman. Bien discret pour une idole, mais quel homme n'a pas ses secrets : un refuge mystère pour se terrer en solitaire...". Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ?

Jean-Jacques Goldman : La seule personne à qui j'ai fait des confidences, c'est Philippe Labro. Il faisait un article pour "Le Point", et me demandait de le recevoir chez moi pour avoir une idée, pour se faire une idée en fonction des gens, du contexte dans lequel ils vivaient. Je lui avais dit, si vous voulez venir chez moi, c'est pas dans ma maison officielle qu'il faut venir, c'est dans mon antre à moi, qui est l'endroit où je travaille, où je respire.

Christophe Nicolas : Ensuite, il y a eu la rencontre avec Bruce Hornsby, qui a donné une chanson, on va écouter un extrait de "Né en 17 à Leidenstadt", et on en parlera un petit peu après. [NDJM : Suit un extrait...]. C'est vrai que le piano fait penser à Bruce Hornsby, c'est d'inspiration hornsbienne pour ce titre. Il y a eu une rencontre entre Goldman et Bruce Hornsby ?

Jean-Jacques Goldman : Il y a eu un croisement quand il a donné son concert à La Cigale, concert fabuleux d'ailleurs. Ensuite, il y a eu échange de maquettes. Je lui avais demandé s'il pouvait produire deux titres, qui étaient "Né en 17 à Leidenstadt" et "A nos actes manqués" qui sonnaient très West Coast au départ sur les maquettes. Il avait écouté les maquettes, il avait accepté, on avait commencé à travailler par cassettes interposées ; et puis, il a eu du retard pour son album, et il m'a proposé une date qui était un peu trop tardive pour moi, et j'ai dû renoncer à cette collaboration.

Christophe Nicolas : Et Leidenstadt, tout le monde cherche encore sur une carte où ça se situe ! On peut chercher un petit moment ! ! !

Jean-Jacques Goldman: Elle n'existe pas.

Christophe Nicolas : On va présenter l'intégrale (...). Qu'est-ce qu'on trouve de plus par rapport aux gens qui ont déjà tous les enregistrements de Goldman ? Est-ce que tu le sais ? Est-ce que tu t'es investi dans le choix des titres, ou est-ce que tu as laissé faire les commerciaux de Sony Music ?

Jean-Jacques Goldman : J'ai tout à fait laissé faire les gens, simplement en donnant mon avis, ensuite, oui ou non, et en participant quand même à la phase artistique, aux remix, etc.

Christophe Nicolas : Et aux titres à mon avis. Les titres ne sont pas les mêmes que ceux des albums originaux. 81-82 s'appelle "Une autre histoire", ensuite "Quand la musique sonne", "Famille", "Veiller tard", "Des bouts de moi", et "Un deux trois" pour illustrer l'épisode Carole Fredericks / Michael Jones.

Jean-Jacques Goldman : ... En essayant de tronçonner ça en périodes avec une espèce de vérité par période, si c'est possible.

Christophe Nicolas : Il y a des versions live qui n'étaient pas sorties encore, ni sur "Traces", ni sur "En public"...

Jean-Jacques Goldman : Il y a des choses marrantes... Comme "La Dame de Haute-Savoie" que je faisais pendant la tournée des Enfoirés...

Christophe Nicolas : Les musiques de film aussi ! On n'en a pas parlé dans cette Cdthèque, il y a eu L'Union Sacrée entre autres...

Jean-Jacques Goldman : Il y avait une chanson que je ne chantais que dans le film, et pas sur disque [Lisa], des reprises en anglais, une chanson de Feliciano qui s'appelle "Rain", qu'on avait fait sur une émission aux Enfants du Rock, et "Dust my blues", je ne m'en rappelle plus, je crois qu'on la faisait sur scène. Des choses comme ça, un peu marrantes.

Christophe Nicolas : L'intégrale 81-91... Toi t'es pas tellement un homme de bilan. Est-ce que tu as le sentiment depuis lundi que j'ai oublié de parler de certaines choses ?

Jean-Jacques Goldman : Dans l'ensemble, vous avez été absolument complet, comme d'habitude, Monsieur Nicolas !

Christophe Nicolas : Jean-Jacques est trop bon ! L'angoisse de l'âge, non ? Quarante ans, c'était un petit clin d'oeil sur le document qui accompagnait l'album FGJ. "Michael règlera ses guitares, Carole ira faire ses prières, et moi j'aurais quarante ans". Un petit peu angoissé ? Une étape ?

Jean-Jacques Goldman : La seule angoisse que tu peux avoir concernant l'âge, c'est de ne pas y arriver ! Il y a des gens comme Jésus, ils se sont arrêtés à 33. Il y en a beaucoup, malheureusement, qui s'arrêtent un peu tôt. La seule angoisse, c'est de ne pas y arriver. Le reste, c'est inéluctable. C'est une chose contagieuse qui arrive à beaucoup de gens...

Christophe Nicolas : L'intégrale signifie-t-elle, comme Francis Cabrel lorsqu'il est venu nous présenter un triple album live qui s'appelle "D'une ombre à l'autre", qu'il n'y aura plus rien de nouveau de Goldman avant longtemps ?

Jean-Jacques Goldman : (rires) Il pensait qu'il n'y aurait rien de nouveau pendant longtemps ? (...) Qu'est-ce qu'il appelle longtemps ?

Christophe Nicolas : Je ne sais pas, mais ça doit se chiffrer en années. Est-ce que c'est la même chose pour toi ?

Jean-Jacques Goldman : Mais ça l'a toujours été ! On a toujours sorti un album tous les deux trois ans. Il y a quelque chose de sûr. Plus on en dit et moins on a à en dire. C'est très difficile de se renouveler. On en a de moins en moins besoin. Les deux choses probables, c'est qu'on continuera à faire des chansons, je peux parler pour lui [Cabrel] aussi, parce que c'est notre vie, c'est notre façon d'être. La deuxième chose, c'est que ce sera compliqué, et qu'on mettra du temps, ça c'est sûr !

Christophe Nicolas : Et ces années 90, en quelques mots, tu les vois comment ?

Jean-Jacques Goldman : (longue hésitation) Je ne suis pas un visionnaire. Il y a une chose qui est sûre, c'est que tu n'as pas la même carrière à 40 ans que quand tu en as 30. Tout ce qui est séduction, identification par rapport au personnage, sont des choses qui se déplacent sur d'autres. Toi, ce que tu as à proposer, ce sont des chansons. Et uniquement des chansons ! A priori, c'est pas quelque chose qui est fait pour me déplaire !

Christophe Nicolas : Merci d'avoir passé une semaine avec nous, Jean-Jacques !


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