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Grand Format
(RTL, 29 juillet 1991)

Grand Format
RTL, 29 juillet 1991
Retranscription de Jean-Michel Fontaine et Delphine W.

Introduction

Apres le troisième et dernier album de Tai Phong en 1979 et malgré l'échec de ses trois 45 T en solo, Jean-Jacques Goldman, tout en travaillant dans le magasin de sport de son frère, essaie de placer ses chansons. Le hasard veut que l'un de ses amis, assistant preneur de son, cherche alors des chansons pour une jeune fille qu'il veut lancer. Jean-Jacques donne alors ses chansons pour un concours télévisé, dont "Il suffira d'un signe". Marc Lumbroso, "jeune éditeur affamé" (dixit Jean-Jacques), note au générique le nom de l'auteur-compositeur et appelle la SACEM pour se procurer ses coordonnées. Dans un premier temps, Lumboso démarche les maisons de disques pour placer les chansons de Jean-Jacques en tant qu'auteur-compositeur, sans succès. En 1981, le label EPIC chez CBS (aujourd'hui Sony Music) se déclare intéressé, et Jean-Jacques devient l'interprète de ses propres chansons. Il signe un contrat pour cinq albums...

Tout n'est pas gagné cependant. Jean-Jacques tient à ce que "Il suffira d'un signe" soit le premier 45 T extrait de l'album, alors que sa longueur (5:48) la rend impropre à la "consommation radio". Pourtant, quelqu'un y croit : Monique Le Marcis, directrice de la programmation musicale de RTL, la première radio française, et elle programme ce titre sans relâche, avec le succès que l'on connaît. Jean-Jacques sait se montrer reconnaissant. Depuis quinze ans, si les chaînes de télé qui ont accompagné la sortie de ses albums et ses tournées ont varié, il est reste fidèle à RTL. Malgré son aversion pour les interviews, il accepte, quelques mois avant la sortie de l'intégrale 1981 - 1991, de participer à l'émission "Grand Format" sur RTL, avec Evelyne Pages, l'équivalent radio de Fréquenstar en quelque sorte, en un peu moins décontracté. Pour la sortie de l'intégrale, il sera même présent tous les soirs pendant cinq jours sur RTL pour refaire ce parcours musical, et faire gagner des intégrales...

Jean-Michel Fontaine

Evelyne Pagès : "Dix ans qu'il domine la scène, dix ans qu'il est un inconnu célèbre, un anonyme de luxe comme il dit, et qui veut le rester en attendant son déclin sagement". Ainsi s'exprimait Philippe Labro [NDJM : ce grand journaliste, dont l'article en question est également disponible sur le site, est aussi le patron de RTL] dans son article du 27 mai 1991 publié dans le Point. Jean-Jacques Goldman, je cite, et je pense que vous êtes en accord avec ce qu'a écrit Labro et avec ces quelques lignes qui forment le titre.

Jean-Jacques Goldman : Oui, bien sûr, oui.

Evelyne Pagès : Aujourd'hui, vous êtes le seul chanteur français à avoir obtenu deux disques de diamant, c'est-à-dire à avoir vendu deux millions d'exemplaires. Je sais que ce n'est pas du tout votre motivation première que de vendre mais c'est quand même bien agréable de savoir que l'on est entendu.

Jean-Jacques Goldman : Oui, m'enfin il faut savoir que l'on partage ça probablement avec Dorothée sûrement, Chantal Goya aussi, ...

Evelyne Pagès : Vous croyez ?!? je crois que vous êtes le seul artiste français à avoir vendu deux millions d'exemplaires comme ça !

Jean-Jacques Goldman : Ça m'étonnerait...

Evelyne Pagès : (rires) Et bien voilà, le ton est donné. En fait, je ne dirais pas que vous êtes un optimiste sceptique ou un pessimiste, je ne sais pas comment vous définir, mais vous relativisez, vous relativisez. Vous êtes très philosophe, finalement.

Jean-Jacques Goldman : Je sais pas si c'est être philosophe que de voir les choses comme elles sont, c'est-à-dire que c'est vrai que c'est très agréable de vendre des disques. D'ailleurs on les vend pas, ce sont les gens qui les achètent.

Evelyne Pagès : C'est pas vous qui allez les vendre dans la rue, non !

Jean-Jacques Goldman : On fait pas du porte à porte ! On fait tous des disques et on sait pas trop comment ça va être reçu. C'est vraiment très agréable quand c'est bien reçu. Ça n'est pas une preuve suffisante.

Evelyne Pagès : C'est un travail qui vous tient à cœur. Vous y passez énormément de temps. Ce n'est pas l'enregistrement d'un concert live, qui vous prend également aussi toute votre énergie. C'est un beau produit. Tout est pesé, sous-pesé. La pochette, la photo... J'ai encore un disque 33 T, je sais que je suis un peu démodée puisque maintenant on ne parle plus qu'en CD, mais j'imagine qu'il y a un symbole, par exemple, quand on vous voit avec Michaël Jones et Carole Fredericks, c'est une scène à table, je ne dis pas que c'est *la* Scène parce que vous n'êtes que trois, mais j'imagine que chaque détail a son importance. Vous buvez peut-être de la bière, eux sont au vin rouge pour Carole Fredericks et à l'eau pour Michaël Jones... [NDJM : Comme vous l'aurez compris, elle parle de la pochette de "Fredericks-Goldman-Jones"]

Jean-Jacques Goldman : Non ! C'est les bonnes boissons mais dans le désordre ! [rires] Mais c'est vrai que sans rentrer dans les détails, l'esprit de la pochette est important. Ce qu'elle représente, cette espèce de complicité, de confiance qui se dégage de cette photo-là, c'est cela qui nous a séduits.

Evelyne Pagès : Il y a un air de bonheur qui se dégage. J'en reviens à l'évidence. Voilà ce qui a changé en dix ans, Jean-Jacques, vous n'êtes plus un, vous êtes trois. Et ça, on le sentait venir quand vous avez commencé à chanter avec Michaël. On sentait que vous ne vouliez pas être un chanteur tout seul, pas un soliste adulé.

Jean-Jacques Goldman : C'est une vieille histoire aussi dans le sens où j'ai été au milieu de groupes pendant une quinzaine d'années. D'une certaine manière, c'est plutôt les années 81 à 90 qui ont été un peu bizarres, dans le sens où je faisais quelque chose d'un peu contre nature qui était de chanter seul. Le travail solitaire reste quand même au niveau de la composition des chansons.

Evelyne Pagès : On est mieux à trois ? On se sent épaulé ou...

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas que ce soit psychologique ou alors ça fait partie d'une analyse que je ne fais pas. J'aime le mélange des voix. Ce qui m'a donné envie de faire de la musique, c'est (...) les Beach Boys, tout ce qui est vraiment vocal.

Evelyne Pagès : Et les Beatles peut-être...

Jean-Jacques Goldman : Et les Beatles évidemment.

Evelyne Pagès : Il y a, apparemment, un bonheur d'être sur scène, qui est communicatif, puisque le public est là, il vient. Vous allez passer un été studieux, et en même temps, je pense que le travail, c'est votre récréation, en parcourant les routes de France, avec nous, avec RTL. Un petit mot, simplement, à propos de l'image un peu stéréotypée que l'on veut donner de vous : le chanteur qui refuse l'interview. C'est vrai ? C'est moins vrai ? Qu'est-ce qui a changé en dix ans ?

Jean-Jacques Goldman : Je pense qu'il y a maintenant un média qui est en train de bousculer tous les autres sur le plan de l'importance qui est la télévision. C'est vrai qu'en télévision, j'évite...

Evelyne Pagès : Pas de 7 / 7, pas de Divan...

Jean-Jacques Goldman : Non.

Evelyne Pagès : Vous pensez que c'est une comédie l'interview ? Qu'on joue un rôle ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne pense pas du tout cela de façon globale. C'est vraiment quelque chose de personnel. Une émission que je trouve magnifique comme "Mon Zénith à moi" que je regarde régulièrement, j'ai beaucoup d'estime pour Denisot... J'ai toujours refusé de la faire tout simplement parce que je n'ai pas envie de raconter ces choses-là aux gens. Si on y va pour tricher ou pour occulter des choses un peu plus personnelles, ce n'est pas la peine d'y aller. [NDJM : D'où la fausse émission de "Mon Zénith à moi" que l'on peut trouver en 1989 sur la cassette vidéo "Traces", 124 F TTC]. C'est une des raisons principales. Ceci dit, je suis très content d'entendre les autres. Lorsque je veux connaître quelqu'un, je regarde cette émission, et en une heure, on en apprend beaucoup.

Evelyne Pagès : C'est ce qu'on va faire là avec vous.

Jean-Jacques Goldman : Pas trop...

Evelyne Pagès : Pas trop. On va refaire un peu le parcours de votre vie jusqu'à la notoriété qu'on sait. Un peu d'enfance, un petit peu d'études, avec vos camarades qui n'ont pas changé. Ce qui me plaît, c'est que ce sont les mêmes depuis dix ans : les fidèles, Thierry Suc, Michaël Jones bien entendu, il est là depuis le début. On va savoir comment la mosaïque s'est composée. Première chanson que l'on pourrait entendre, je l'aime beaucoup, c'est "Un, deux, trois". Elle explique parfaitement comment trois destins ont été réunis sur scène pour notre grand bonheur...

[Un, deux, trois]

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman, le principe de Grand Format, c'est d'accumuler des témoignages, et ainsi de former un puzzle pour reconstituer cette image de l'invité. Nous écoutons votre frère parler de Jean-Jacques Goldman.

Robert Goldman : C'était un enfant qui, sans être banal, était un enfant normal. Il n'était ni le premier de sa classe, ni dernier. Ce n'était ni un génie, ni un cancre. C'était, au niveau scolaire, un enfant normal, et au niveau du comportement, un enfant normal. On ne peut pas dire que, des sa plus tendre enfance, il rêvait d'être chanteur ou musicien. En tout cas, quand il était jeune. Il y a des gens qui deviennent médecin ou pompier, et qui disent, quand ils étaient petits, rêvaient d'être médecin ou rêvaient d'être pompier. Lui, non. Jamais on avait le genre de discussion que l'on prête souvent aux enfants du genre "quand je serai grand, je ferai ceci, ou quand je serai grand, je ferai cela". On n'a jamais eu l'insouciance des grands rêves. On n'a jamais rêvé d'être quelque chose d'exceptionnel.

Evelyne Pagès : Vrai ? Faux ?

Jean-Jacques Goldman : C'est tout à fait vrai.

Evelyne Pagès : C'est tout à fait vrai ? Vous n'avez jamais voulu être rien ? Ni pompier ? Ni médecin ? Ni astronaute ? Ni marchand de journaux ?

Jean-Jacques Goldman : Je n'ai aucun souvenir de ça... Peut-être que quand j'avais trois-quatre ans, j'était un peu fasciné par Davy Crockett, mais... (rires); je ne me rappelle pas avoir vraiment *envie* de devenir Davy Crockett. J'aimais bien Davy Crockett. (rires).

Evelyne Pagès : C'était à cause de la chanson ?

Jean-Jacques Goldman : J'avais un grand Davy Crockett, un soldat de plomb, un cadeau de Noël. Je n'étais pas non plus très intéressé par la musique et la chanson.

Evelyne Pagès : Votre frère porte le même nom que vous ?

Jean-Jacques Goldman : Oui.

Evelyne Pagès : J'osais pas donner son nom parce que je sais que vous n'aimez pas beaucoup que l'on piétine votre vie privée...

Jean-Jacques Goldman : C'est du domaine de l'état civil ! Je le dis bien aux douaniers, je peux le dire à vous, quand même !

Evelyne Pagès : Pour l'instant, enfant normal, bien élevé, équilibré, sage...

Jean-Jacques Goldman : Oui. Très sage. Je n'ai jamais reniflé de la colle, je n'ai jamais volé aucune mobylette... J'ai jamais dit "merde" à mes parents... Très très banal quoi. J'étais même pas cancre, ni révolutionnaire, ni exceptionnel.

Evelyne Pagès : Robert Goldman encore, confirme ou infirme.

Robert Goldman : Ce qui me frappe aujourd'hui, c'est à quel point il n'avait pas de traits, de personnalité extrême. Il n'était pas très énervé, il n'était pas très calme, il n'était pas renfermé. Il n'y avait rien d'extrême. Si vous voulez, quand il était dans une classe, je ne veux pas dire qu'il passait complètement inaperçu, c'est pas vrai, mais il avait un certain conformisme et aujourd'hui, je pense, ça correspondait à un certain décalage entre une certaine insouciance qu'avaient ses camarades de classe et ses préoccupations. Il n'avait rien d'excessif. Ni il n'était seul dans son coin, ni il n'était le leader de grands chamboulements dans les écoles. Il était toujours, j'allais dire proche des faibles mais c'est pas ça. Quand il y avait un môme un peu attardé dont les autres se moquaient, c'est vrai qu'il n'était pas du côté des loups.

Evelyne Pagès : Ça se précise, quand même.

Jean-Jacques Goldman : Vous trouvez ? ? ?

Evelyne Pagès : Je trouve que là, tout d'un coup, normal, normalité, équilibre... Quand même. Le conformiste résolu que vous êtes sort de sa réserve pour défendre un copain.

Jean-Jacques Goldman : J'étais pas spécialement courageux non plus ! En plus, j'étais un peu en avance, alors j'étais un peu petit par rapport à la taille des autres...

Evelyne Pagès : Ah bon ? Petit de taille ? Parce que vous êtes grand, là...

Jean-Jacques Goldman : Je suis moyen... Ou plus maigre....

Evelyne Pagès : Vous faites bien 1 m 80 quand même...

Jean-Jacques Goldman : Non, non. Un mètre soixante-quinze. C'est psychologique, si vous me voyez grand. (rires).

Evelyne Pagès : C'était en quelle année cette enfance ?

Jean-Jacques Goldman : Je suis né en 51, donc c'était...

Evelyne Pagès : ... 60, 65. Des années pourtant importantes dans l'environnement ?

Jean-Jacques Goldman : Bah oui. J'ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque-là. Je me rappelle, je m'ennuyais à l'école.

Evelyne Pagès : Ah ! Vous vous ennuyiez à l'école !

Jean-Jacques Goldman : Je me suis ennuyé pendant toutes mes études. J'en veux beaucoup au corps professoral français. Parce qu'en plus, il y a beaucoup de choses maintenant qui m'intéressent en histoire, en géographie. Je découvre tout ça dans la vie et quand je pense qu'ils ont réussi à me faire haïr tout ça : la littérature, les maths, la géologie, la géographie, l'histoire. Je leur en veux terriblement d'avoir perdu tellement de temps avec eux.

Evelyne Pagès : Alors au fond, ces années de lycée, où vous aviez envie de devenir un peu gris, un peu comme un prisonnier...

Jean-Jacques Goldman : J'avais pas envie ! J'étais, j'étais, très fasciné par les autres, je regardais les gars qui étaient forts en sport, ceux qui étaient forts en maths... J'étais très à l'écoute des autres et je me sentais vraiment comme la masse des gens. Ce que je me sens encore, d'ailleurs.

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman, avant de passer au deuxième chapitre de votre vie, le chapitre des études...

Jean-Jacques Goldman : ... Qui va être aussi passionnant d'ailleurs !

Evelyne Pagès : Et bien j'espère. [sur un ton un peu guindé, cette fois :] Ecoutez, je ne m'ennuie pas encore. Je vous le dirai. Jean-Jacques Goldman, écoutons une autre chanson de vous. Peut-être la première dans l'ordre chronologique, celle qui a été à l'origine de votre très grand succès actuel : "Il suffirait d'un signe".

Jean-Jacques Goldman : "Il suffira d'un signe".

Evelyne Pagès : Il suffira. Elle a une histoire, cette chanson ?

Jean-Jacques Goldman : Sur le premier album, j'avais fait des tas de chansons auxquelles je croyais pour être le premier simple qui allait marcher, et dont on n'a jamais entendu parler, et il y avait une chanson que j'avais faite pour me faire plaisir qui s'appelait "Il suffira d'un signe", qui n'avait aucune chance en 45 T parce qu'elle fait cinq ou six minutes sur l'album, et c'est celle qui a marché, et à partir de ce moment-là, je me suis dit qu'il fallait vraiment que je me fasse plaisir.

[NDJM : Les derniers mots sont prononcés avec un plaisir non dissimulé, alors que démarre la chanson. Comme à chaque fois qu'elle passe à la radio, les quarante dernières secondes sont amputées...]

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman s'ennuie à l'école. Il va s'intéresser, peut-être, davantage à la vie grâce à HEC Lille ou il fait quand même un séjour prolongé : trois ans. Vous terminez vos études ? [NDJM : J'ai toujours trouvé très étrange que l'on appelle l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales du Nord, ou EDHEC, HEC Lille. Question de conformisme ou de prestige ? Pourquoi pas HEC Grenoble pendant que l'on y est !]

Jean-Jacques Goldman : Oui. Je me suis arrêté parce qu'il n'y avait plus rien après. (rires). Sinon, j'y serais encore !

Evelyne Pagès : Et M. Bourgois ? Vous vous souvenez de votre prof d'anglais ?

M. Bourgois : Jean-Jacques Goldman apparaissait comme quelqu'un de discret, je ne dis pas effacé, mais discret, très réservé, et évidemment, le souvenir que j'en ai, est le souvenir de quelqu'un qui n'attirait pas particulièrement l'attention, mais dont on pouvait garder, ça ou là, un souvenir. En particulier, à la fin d'une épreuve d'anglais oral, le jour ou je l'avais interrogé sur un sujet aussi peu palpitant que le fonctionnement de la bourse en Grande-Bretagne, je lui avais posé une question sur la chanson - et j'ignorais tout à fait, lui aussi sans doute, quel serait son avenir dans ce domaine - je lui avais posé comme question "Connaissez-vous un certain Stéphane Goldmann ?", c'est un de mes chanteurs préférés. Il m'avait répondu, comme toujours d'ailleurs, de façon assez évasive, oui, oui, sans doute, peut-être. C'est le souvenir le plus marquant que j'en ai. C'était quelqu'un qui se situait dans le milieu du tableau, dans la deuxième moitié de tableau sur le plan des résultats dans le domaine commercial. Je crois me souvenir qu'à l'époque, son point fort était plutôt le droit que les matières quantitatives. Je pense enfin que c'est quelqu'un qui a traversé les études commerciales gentiment, poliment, discrètement.

Evelyne Pagès : Il ne manque pas d'humour M. Bourgois, professeur d'anglais à HEC Lille !

Jean-Jacques Goldman : Il me fait sourire parce qu'il a très très bien vu les choses. En fait, il n'y avait rien à voir ! C'était probablement quelqu'un d'intéressant et de passionnant, ne serait-ce que pour enseigner à l'EDHEC, je crois qu'il fallait avoir de grandes compétences, et j'ai pas souvenir non plus d'un professeur spécialement abject. Je pense que c'était quelqu'un de très sympathique. Les rapports que peut avoir un élève dans une promotion de 90 ou 100 personnes [NDJM : il y a maintenant 300 personnes par promo à l'EDHEC Lille, et environ 200 de plus à l'EDHEC Nice] avec un prof d'anglais commercial, c'est assez limité... Je n'ai jamais eu de rapports spécialement intimes avec aucun de mes professeurs, mais j'en ai haï assez peu ! Franchement, le souvenir que j'ai de mes quinze ou vingt ans d'études, c'est cette horloge grise derrière, ronde avec ces minutes si lentes alors qu'elles me paraissent tellement rapides maintenant. Vraiment, je ne pardonne pas ça. Je ne pardonne pas ça. Entre six ans et vingt ans, on a tellement mieux à faire - on pourrait faire les études de façon tellement passionnante que là, il y a vraiment un problème.

Evelyne Pagès : A ceux qui nous écoutent aujourd'hui - qui vont nous dire "ah, c'est bien, Jean-Jacques Goldman, il a fait des études poussées", aux parents qui vont dire à leurs enfants, "tu vois, Jean-Jacques Goldman, que tu admires tant, mon petit chéri, il a fait des études poussées", qu'est-ce que vous diriez, vous ?

Jean-Jacques Goldman : Je dirais qu'un garçon n'a pas besoin d'études, contrairement à ce que disent les gens, que les filles n'en ont pas besoin et qu'il faut pousser les garçons. Je crois que c'est tout à fait le contraire. Un garçon, s'il veut s'en sortir, il peut toujours s'en sortir, et par contre, il faut absolument pousser les filles dans leurs études, parce qu'elles ont besoin d'un métier. Il y aura un moment, entre vingt-cinq et trente ans, ou trente-cinq ans, où elles seront bloquées, par leur famille, par leurs enfants, et donc elles auront besoin, à ce moment-là, de s'appuyer sur un bagage. C'est mieux, quand même, d'être médecin pour travailler à mi-temps, d'être psychologue, ou d'être prof... Le diplôme, c'est quand même la porte pour l'aménagement du temps, pour une femme. Moi, je pousserai beaucoup mes filles à faire des études ; par contre, un garçon, non. Il peut s'en sortir en vendant des jeans sur un marché, il y a des tas de métiers où il est plutôt mal vu de faire des études. Pour devenir directeur d'une maison de disques ou preneur de son, ou musicien, ce sont des choses qui s'apprennent à côté. A la limite, un diplôme, ça peut plutôt les perturber. Quand on a un diplôme de vétérinaire, en général, on devient vétérinaire. Peut-être que ce n'est pas ce que l'on avait envie de faire... C'est peut-être plutôt une contrainte que l'on s'est tracée qu'une liberté que l'on s'est ouvert.

Evelyne Pagès : Vous considérez que les différences entre les sexes - vous en parlez dans une chanson : "ces différences qui deviennent des chances" - ...

Jean-Jacques Goldman : Il y a vraiment une grande différence. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ce sont vraiment les femmes qui font les enfants.

Evelyne Pagès : Ça, j'avais remarqué ! Il faut quand même être deux. Vous parlez des différences...

Jean-Jacques Goldman : C'est beaucoup plus rapide pour nous ! Beaucoup plus rapide !

Evelyne Pagès : Mais c'est tellement agréable pour nous, vous savez... Vous en avez combien des enfants ?

Jean-Jacques Goldman : J'en ai trois.

Evelyne Pagès : Que des filles ?

Jean-Jacques Goldman : Non, j'ai deux filles et un garçon.

Evelyne Pagès : Bon, alors les filles...

Jean-Jacques Goldman : Les filles, je les emm... je les embêterai au niveau des études.

Evelyne Pagès : Oh les pauvres ! Alors, le garçon, il peut vendre des jeans sur un marché...

Jean-Jacques Goldman : Oui, parce qu'il aura du temps, ils peuvent s'investir à 100 %. Il y a une grande inégalité physiologique. Il n'y a pas les choix fondamentaux que doit faire une femme à 30 ans.

Evelyne Pagès : J'aimerais beaucoup écouter une chanson choisie par vous maintenant. Une chanson de quelqu'un.

Jean-Jacques Goldman : Vous ne l'avez pas mentionné pour l'instant, puisque que l'on est arrivé directement à la fin des études, une chose qui m'est arrivée, qui a été fondamentale dans mon existence un peu grise, un peu sans désirs et sans grands plaisirs. Un jour, j'étais dans une boite par hasard - je ne sortais pas beaucoup, ça devait être pour le nouvel an - je devais avoir quatorze ou quinze ans, et j'ai entendu "Think" par Aretha Franklin. Je peux dire que c'est l'événement qui a probablement bouleversé ma vie.

[Suit la version originale de "Think"]

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman, nous parlons de votre vie, de votre jeunesse, depuis plus d'une demi-heure, nous avons entendu votre frère Robert. Vos débuts, débuts, dans la chanson. Nous avons un témoignage de Jean-Jacques Goseland, qui a été un peu le découvreur. Vous nous parliez du choc musical Aretha Franklin. Vous avez entendu Aretha Franklin dans une discothèque, et vous vous êtes dit, je veux exactement faire ça. Ça comme musique, ou ça comme métier ?

Jean-Jacques Goldman : Je me suis dit, là, je suis en train de ressentir quelque chose qui me donne un plaisir, qui est hallucinant. Je suis devenu fou en écoutant cette chanson, alors que j'étais vraiment un enfant très calme. Vraiment, ça m'a procuré une sensation... Ça faisait dix ans que je faisais de la musique classique sans recevoir la moindre chose. Et en rentrant en contact avec cette chanson, je suis devenu fou, je ne pensais plus qu'à ça. A ce moment-là, j'ai tout changé. J'ai arrêté le violon, j'ai appris la guitare avec un copain qui jouait du blues, j'ai commencé à jouer dans des groupes. Je ne pensais qu'à ça, à jouer de la musique. Je ne composais pas du tout. A rejouer cette musique, à l'écouter, je passais mon temps à ça.

Evelyne Pagès : Et alors là, vous avez rencontré professionnellement, Jean-Jacques Goseland. [NDJM : C'est hallucinant de constater à quel point cette interview a été mal préparée ! La réponse ne se fait pas attendre...]

JGG : Oh là là ! C'était après quinze ans de vie de groupe ! J'avais déjà 28 ou 29 ans...

Evelyne Pagès : Le groupe, c'était Tai Phong...

Jean-Jacques Goldman : C'était auparavant. Et Tai Phong était même à la fin de plein d'expériences qui n'ont pas eu du tout de notoriété, de groupes de bal, de groupes de discothèque, que je faisais parallèlement à mes études....

Evelyne Pagès : On en arrive donc à une rencontre un jour dans un bureau avec Jean-Jacques Goseland, qui était directeur artistique d'une grande firme de disques.

Jean-Jacques Goseland : J'ai reçu une cassette de démo qui m'a été remise par un copain qui m'a dit, c'est bien, tu devrais écouter. Tout de suite, j'ai eu un coup de cœur. On a eu droit aux phrases classiques au sein de la maison : "ça ressemble à untel". Dans ce cas-là, on m'a dit que ça ressemblait beaucoup à Balavoine, on a aussi dit qu'il faudrait peut-être qu'il change de nom, parce que ce n'était pas très bien pour un chanteur. Ça a été un peu difficile, mais ça s'est fait, et j'en suis très content. Il était comme il est, très calme, pondéré, souriant. C'est quelqu'un qui pose beaucoup de questions, qui écoute beaucoup, mais toutes les décisions finales, c'est lui qui les prend. Il a réussi le tour de force de s'entourer de gens compétents dans chaque domaine différent. On est reste très liés, ce qui est rare, je crois.

Evelyne Pagès : C'est rare de rester lié avec son découvreur ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne suis pas resté lié avec lui parce que c'est mon découvreur. En général, je ne suis pas spécialement fidèle par devoir. Je suis resté lié avec lui parce que c'est quelqu'un de sympathique, avec lequel j'aime passer du temps. Je me suis attaché à lui, aux membres de sa famille.

Evelyne Pagès : Il vous a proposé de changer de nom. Il y avait déjà Stéphane Goldmann, qui était un chanteur rive-gauche, dont parlait tout à l'heure votre professeur d'anglais.

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas. Ils auraient peut-être préféré que je m'appelle Francky Jordan, (rires) un truc qui sonne, quoi. C'est vrai que Jean-Jacques Goldman, ça ne fait pas trop chanteur ! (rires).

Evelyne Pagès : Il vous arrive qu'on invente des histoires sur vous, parce qu'on ne peut pas vous rencontrer. Vous refusez énormément d'interviews. Neuf sur dix, vous m'avez dit.

Jean-Jacques Goldman : Pour l'instant, je n'étais pas suffisamment dans l'actualité pour que des gens inventent des choses. Il y a tellement de choses qui se passent que, si moi je n'étais pas libre, ou pas disponible, ils prennent quelqu'un d'autre. Il y en a beaucoup qui se présentent au portillon, donc je n'ai pas eu ce problème-là. Je l'ai eu une fois pour la presse jeune, où j'ai vu un article auquel je n'avais pas participé, où je parlais, à la première personne, avec des guillemets. J'ai téléphoné à la rédactrice en chef qui m'a expliqué gentiment que eux, leur gagne-pain, c'était de parler des chanteurs, que les mômes, quand ils téléphonaient, ils demandaient des nouvelles de Jean-Jacques Goldman, et que je veuille, ou que je ne veuille pas, ils parleraient de moi. C'est simplement vital pour cette presse jeune. Je n'ai pas d'autre moyen... Soit j'envoie des papiers bleus, ce qui n'est pas trop mon genre pour l'instant, soit j'essaie de coopérer.

Evelyne Pagès : On écoute une chanson, de quelqu'un, que vous aimez. Un peu de classique, si cela vous fait plaisir. Vous avez fait beaucoup de classique.

Jean-Jacques Goldman : J'ai vraiment vraiment fait beaucoup de classique, et je peux vraiment dire que je n'aime pas du tout la musique classique. Je n'ai jamais rien ressenti en écoutant de la musique classique. Plus j'en entends, et moins je ressens quelque chose. [NDJM : Il faut préciser que la plupart des invités d'Evelyne Pages sont généralement des écrivains "classiques", des musiciens "classiques", des ténors, des chefs d'orchestre, des scientifiques, mais rarement des chanteurs populaires. Lors de ces émissions habituelles, au moins un tiers de la programmation souhaitée par l'invité est de la musique classique...]

Evelyne Pagès : Bon. Et si l'on écoutait Goldman. Est-ce que cela vous ferait plaisir d'écouter un morceau fait avec le groupe Tai Phong ?

Jean-Jacques Goldman : Pourquoi pas.

Evelyne Pagès : Comme cela, ça va nous rafraîchir un peu la mémoire. Comme l'on va retrouver dans les témoignages qui vont suivre pas mal de vos amis qui étaient dans ce groupe, ça va nous mettre dans l'ambiance. [NDJM : C'est à pleurer quand on voit le rapport entre la suite des témoignages et Tai Phong...]

Jean-Jacques Goldman : Ah bon ? Ils ont été cuisinés aussi, alors...

[Suit "Sister Jane", évidemment.]

Evelyne Pagès : Grand Format Jean-Jacques Goldman, avec toute une série de témoignages, toute une série de garçons, dont trois viennent de l'enfance, de l'amitié. Thierry Suc, Bernard Schmitt, Marc Lumbroso. Au fur et à mesure, vous nous direz un peu ce qu'ils représentent pour vous ?

Jean-Jacques Goldman : Oui.

Evelyne Pagès : Thierry Suc, c'est le tourneur, l'homme qui organise les représentations, les galas, qui partage donc pratiquement 365 jours de votre vie. Lui aussi nous brosse votre portrait.

Thierry Suc : C'est quelqu'un de très très professionnel, qui aime s'occuper de tout, de voir un peu tous les détails de l'affaire. Il s'occupe aussi bien du réglage des lumières, que le son soit bon, que les musiciens soient bien. C'est quelqu'un de fantastique. Il est très très professionnel, et il va au bout de ce qu'il a envie de faire. C'est quelqu'un de profondément généreux avec les autres ; il sait ce qu'il veut, il ne supporte pas - je crois que son principal défaut, qui est en fait une qualité, c'est de ne pas supporter la médiocrité. Il veut que tout le monde soit à sa place, et fasse ce qu'il a à faire. C'est comme cela que l'on essaie de faire qu'un spectacle soit de la meilleure qualité possible. Il se détend très peu. Jean-Jacques est quelqu'un qui a besoin de se reposer, comme toute personne qui a fourni un effort, et la principale chose après un concert, c'est d'aller dîner, et aller dormir, de manière à pouvoir assurer les 400 km qu'il y a en général entre chaque ville, pour pouvoir, toujours, présenter un spectacle de qualité idem. Si on passe toutes ses soirées en discothèques et en boite de nuit, il est quand même très difficile de pouvoir être en pleine forme le lendemain soir à 20 h 30, dans une salle ou sous un chapiteau.

Evelyne Pagès : Boire ou conduire, en somme, il faut choisir. C'est à dire qu'on ne peut pas être à la fois la nuit et le jour.

Jean-Jacques Goldman : Pour chanter, il faut beaucoup de sommeil. Ce n'est pas systématique. La vie de tournée est passionnante, et vite usante aussi. Il faut sortir avec les musiciens de temps en temps, et il m'arrive de visiter ces lieux de nuit, ne serait-ce que pour voir autre chose que des kilomètres, des hôtels et des salons tchèques. Je n'ai tourné qu'avec lui, pour l'instant.

Evelyne Pagès : Il vous reproche d'être un peu perfectionniste, mais on reproche ça à beaucoup de professionnels.

Jean-Jacques Goldman : Je ne suis pas très perfectionniste, mais je ne fais pas beaucoup confiance. Je mets mon nez un peu partout. Je délègue, mais je suis sûr que, par exemple, ce que je demande à Thierry, il y a beaucoup de tourneurs qui n'accepteraient pas ça. Que je mette mon nez un peu partout, que je vérifie comment ça marche, que je lui fasse des reproches quand ça n'a pas bien marché, et que je le félicite quand ça marche bien aussi. Et c'est aussi la raison pour laquelle je l'ai choisi : parce que c'est quelqu'un d'ouvert, qui peut, sans problèmes d'ego - parce que je n'en ai pas moi non plus - on peut travailler ensemble, sans qu'il dise, toi, tu vas sur la scène, tu chantes, et puis après, tu vas à ton hôtel ou danser en discothèque et je m'occupe du reste. Ce n'est pas le genre d'attitude qui m'intéresse, et lui, il est assez intelligent et assez ouvert pour accepter cette attitude.

Evelyne Pagès : Il vous arrive de remettre en cause complètement un spectacle, sur un petit échec ou un incident ?

Jean-Jacques Goldman : Ça ne m'est pas encore arrivé. Ça m'arrivera sûrement. J'essaie d'être très ouvert à ce qui se passe autour, de ne pas être trop sûr de moi. On fait des spectacles pour le public, si ça ne plaît pas, il faut changer le spectacle, parce qu'on ne peut pas changer le public.

[Peur de rien blues]

Evelyne Pagès : On a entendu Thierry Suc, avec qui vous passez des jours et des nuits au cours des galas, des nuits pour travailler, des nuits de route, c'est difficile la vie de gala. Il y a Bernard Schmitt, également, dans votre entourage, avec qui vous travaillez, et alors là, je pense que c'est votre ami d'enfance. Nous écoutons Bernard Schmitt. Il a des tas de questions à vous poser sur vos rapports professionnels.

Bernard Schmitt : C'est très facile de travailler avec lui, parce qu'il est très intelligent. Il sait exactement ce qu'il veut, il a des idées sur ce qu'il veut, et c'est toujours agréable. Il est très créatif, c'est à dire qu'il a souvent des idées plus originales que ce que l'on pourrait penser quand on n'a vu que le personnage public. Il est prêt à prendre plus de risques que ce que l'on pourrait penser. Il ne demande qu'à aller un peu trop loin, souvent. Son principe, c'est qu'il faut toujours trouver la solution. Il n'est absolument pas capricieux. Sur le tournage d'un clip, on peut l'avoir de huit heures le matin à quatre heures du matin ; il attendra dans un coin, que l'on ait besoin de lui, sans dire qu'il veut deux loges à lui, et qu'on s'occupe de lui. C'est quelqu'un de très agréable. Il a une manière, parfois, de se fermer complètement, quand il a un problème. Il peut tout à coup s'enfermer dans un grand silence qui peut durer pas mal de temps et on ne sait pas pourquoi. On se met à culpabiliser autour, sans que cela soit forcément une raison de culpabiliser.

Evelyne Pagès : Je vous ai vu pour la première fois réagir comme si Bernard Schmitt vous apprenait quelque chose ?

Jean-Jacques Goldman : Il analyse bien les choses. C'est vrai, c'est ma façon de fonctionner.

Evelyne Pagès : Reprenons. Une manière de se fermer. Parce que lorsque vous êtes agacé, vous trouvez que c'est trop long d'expliquer, qu'il vaut mieux...

Jean-Jacques Goldman : C'est ma façon à moi de m'exprimer, de fuir, d'éclater. C'est peut être le seul besoin fondamental que j'ai, d'être tout seul de temps en temps. Je n'ai pas besoin de gens autour de moi, je n'ai pas besoin de gens qui m'accompagnent, qui me parlent, une tribu, une espèce de cour autour de moi. Je ne supporte pas ça. J'ai besoin, très souvent, d'être tout seul. Ce n'est pas par mépris pour les autres. C'est vraiment un besoin physique. Et lui, il l'a très bien ressenti. Dans ma famille, c'est pareil. De temps en temps, je me ferme, et il y a des semaines où je ne parle pas, où je ne suis pas accessible, où je ne suis pas attentif.

Evelyne Pagès : On devrait le comprendre. Vous êtes auteur-compositeur. Ce que vous écrivez, ça vient vraiment de votre ventre et de votre cœur, et vous le dites, "Je marche seul".

Jean-Jacques Goldman : C'est une chanson vraie. Le texte a l'air bien futile, c'est une chanson de danse, mais c'est une chanson que je ne renie pas du tout au niveau du texte. C'est une chose que je ressens très très fort, ce plaisir de se retrouver anonyme, de marcher dans les rues, c'est une liberté pour moi, "je suis riche de ça mais ça ne s'achète pas"; je me dis que c'est vraiment la chose dont je ne *pourrais pas* me passer.

Evelyne Pagès : "Les chansons sont souvent plus belles que ceux qui les chantent". C'est une phrase très importante que tout amateur de Goldman doit lire sur la pochette. Vous dites, méfiez-vous des idoles en somme.

Jean-Jacques Goldman : C'est cela, oui. Je me heurte beaucoup à ça. Actuellement, je reçois beaucoup de lettres de rupture de fans, déçus par moi, parce qu'ils m'ont approché. Parce que je ne suis pas aussi attentif, je ne suis pas aussi sincère, je ne suis pas aussi désintéressé, je ne suis pas aussi non-indifférent que mes chansons pourraient le laisser croire. Je crois que les gens mettent beaucoup d'eux-mêmes, et de fantasmes, et d'idéalismes en entendant les chansons. Ils ont tendance à faire un portrait du chanteur qui correspond à ses chansons. Je suis loin d'être aussi beau que ce qu'ils pensent en écoutant les chansons. Je suis bien conscient de ce décalage, et c'est cela que je veux leur expliquer. Je ne suis pas cette espèce d'être qu'ils pensent fabriquer à travers l'écoute des chansons.

Evelyne Pagès : Ecoutons "Je marche seul" avec deux fois plus d'attention, maintenant que nous avons le mode d'emploi.

[Je marche seul] Evelyne Pagès : Encore un témoignage sur Jean-Jacques Goldman professionnel, homme public et homme privé. Les deux se rejoignent grâce à votre éditeur, Marc Lumbroso, un ami d'enfance également [NDJM : Jean-Jacques l'a rencontré à l'âge de 27 ans ! ! !]

Marc Lumbroso : C'est assez habituel de dire des gens qu'ils n'ont pas changé lorsque l'on veut tracer un portrait flatteur d'eux. Dans le cas de Jean-Jacques, c'est exactement la vérité. Il est resté totalement lui-même. Aujourd'hui, il est le même personnage que celui que j'ai connu en 79. Ce qui le caractérise, c'est sa volonté, sa lucidité, et le fait que ce soit un travailleur acharné. C'est aussi quelqu'un qui a des idéaux très précis, qui a l'intelligence de mettre son réalisme au service de son idéal. Je ne crois pas que ce soit quelqu'un qui ait des passions dans la vie en dehors de la musique. C'est peut-être quelqu'un qui aurait tendance à sacrifier une partie de son côté rêveur pour arriver à son but. C'est quelqu'un qui par nature a besoin de rationaliser un peu tout, et qui s'efforce de le faire. Cela peut avoir un côté un peu négatif parfois.

Jean-Jacques Goldman : C'est vrai que je pourrais éventuellement regarder les étoiles dans les Cévennes, et je suis dans ce studio en train de faire une interview ! Je crois qu'il tient les deux côtés. D'un côté, c'est vrai que j'aime bien flâner, passer du temps. Je m'habitue très bien aux vacances, à l'oisiveté totale, mais d'un autre côté, il y aussi l'envie de faire des choses, de réaliser des choses. Ce sont deux choses qui s'opposent, mais il faut vivre avec cela. Je crois que c'est le cas de tout le monde. On a tous envie de temps en temps de partir sur une plage avec des cocotiers, de l'eau bleue, et de ne penser qu'à la couleur de notre bronzage, et au bout d'un mois, on en a marre. On a envie de retrouver Paris, son oxyde de carbone, son agressivité et son activité.

Evelyne Pagès : Vous êtes un homme des villes, pas de la campagne.

Jean-Jacques Goldman : Par habitude. J'ai toujours vécu en ville, je suis né en ville, mes parents étaient des gens de la ville, et je suis habitué, j'ai besoin de la ville.

Evelyne Pagès : Quand vous pouvez pratiquer vos sports favoris - je crois que vous aimez le ski et le tennis - est-ce que là aussi, on vient vous retrouver, vos fans vous poursuivent et vous remettent dans le cadre de l'O.S. de choc et de charme que vous êtes par la force des choses. Vous êtes aussi un ouvrier spécialisé dans votre métier ?

Jean-Jacques Goldman : Oui, mais les ouvriers spécialisés, lorsque qu'ils rentrent chez eux, ils sont tranquilles. Mais c'est vrai que j'ai des gens devant chez moi, j'ai des gens sur les courts de tennis qui prennent des photos. Comme je skie bien, ça va, sur les pistes de ski, j'arrive à les semer. Ce n'est pas dramatique, ça existe, et puis voilà. Dans ce métier, il y a des tas de choses qui sont bien aussi. Comme dit Michaël, il faut prendre le bon et le mauvais.

Evelyne Pagès : Michaël, on va l'écouter dans quelques minutes, après une chanson. Mais vous dites aussi : "Les rockers engagés sont nos derniers des justes". Vous êtes un rocker engagé ?

Jean-Jacques Goldman : C'est une phrase ironique, dans une chanson où je dis "Il y en a des plus gros, des bien plus respectables, moins ringards et rétros" etc. Les rockers engagés, qui sont pour moi le comble du ridicule et de la pédanterie... Vous n'avez qu'à lire "Rock & Folk" et "Libération", et vous verrez quel genre de chanteurs ils adulent, sur lesquels ils fantasment. Je trouve cela tellement ridicule. C'est un peu une chanson ironique à ce sujet-là.

[Suit "Minoritaire". Comme quoi, à la programmation, ils n'ont pas tout suivi non plus...]

Evelyne Pagès : Michaël Jones, c'est vraiment un ami des premiers temps. Il a l'air tout jeune tout jeune...Jean-Jacques Goldman : ... C'est bien. Ça prouve que la musique conserve !Evelyne Pagès : Exactement. Il était avec vous dans Tai Phong, et maintenant, il est avec vous à la guitare électrique. Dans votre ombre ? Je ne sais pas. Ecoutons Michaël Jones.

Michael Jones : C'est quelqu'un qui travaille énormément la composition et les arrangements, qui savait exactement ce qu'il voulait. Quand on travaillait les chansons avec Jean-Jacques, on proposait des idées, il les acceptait ou il ne les acceptait pas. Très souvent, il savait déjà ce qu'il voulait à l'avance et il n'y avait pas grand chose à rajouter. Il est emmerdant parce qu'il sait jouer à peu près de tout. Il joue très bien des claviers, il joue très bien de la guitare, et il chante bien. Pour les autres, il n'y a plus grand chose à faire. C'est un très bon musicien, un grand mélodiste. Une des raisons pour lesquelles ses chansons sont telles qu'elles sont, c'est parce que c'est avant tout un musicien chanteur.

Evelyne Pagès : Vous l'agacez d'être trop parfait, si je comprends bien.

Jean-Jacques Goldman : Non ! Il a beaucoup le sens de l'humour, et j'aimerais bien chanter comme il chante.

Evelyne Pagès : Il chante avec vous dans "Je te donne". C'est lui qui chante en anglais.

Jean-Jacques Goldman : Il a une très belle voix. Il chante comme j'aimerais chanter. J'aime bien ma voix, mais je préférerais avoir une voix un peu rauque, un peu blues, comme Rod Stewart, Joe Coker, Tom Waits, Lou Reed. Des gens qui m'émeuvent beaucoup. Je suis moins ému par des chanteurs formidables comme Michaël Jackson ou Stevie Wonder. Pour moi, au départ, un chanteur, c'est un chanteur de rock, de hard rock, avec des grosses voix. J'ai pas cette voix-là, lui il l'a, ou il peut l'avoir. C'est un plaisir que de chanter avec lui.

Evelyne Pagès : Pour lui, vous êtes musicien d'abord.

Jean-Jacques Goldman : On s'est connu comme ça. On a joué l'un pour l'autre. On a une grande complicité à ce niveau-là.

Evelyne Pagès : Ce qui me frappe aussi, c'est que vous collaborez avec des musiciens aussi différents que Michaël Jones et Roland Romanelli, qui est, ooooooooh, un dieu. J'adore ce qu'il fait, il travaille avec Barbara. C'est venu par hasard, dans le studio, ou c'est vous qui avez choisi Roland Romanelli ?

Jean-Jacques Goldman : C'est moi qui l'ai choisi, mais il n'y a pas de grande différence entre les deux. Pour moi, Romanelli, c'est quelqu'un qui me passionne. Il a tout en lui. Au début, c'est un accordéoniste, et il s'est mis dans les synthés. Il a une maîtrise de la technique - et c'est très difficile à maîtriser toute cette technique - et qui l'occulte complètement. On n'en entend pas parler. Il met tout ça au service de son feeling et de son cœur. C'est vraiment un musicien de cœur.

Evelyne Pagès : Quand il joue de l'accordéon, quand il jouait, on avait l'impression qu'il s'arrachait le cœur.

Jean-Jacques Goldman : Mais vous le voyez sur scène. Même en studio, il joue, il n'y a pas un spectateur, vous avez l'impression qu'il est sur scène, il vit ce qu'il fait. Mais même pour une pub, il vit ce qu'il fait ! C'est incroyable, ce musicien-là, et c'est en ce sens qu'il ressemble à Michaël Jones. Ce sont des musiciens, pas des techniciens. Et Dieu sait si lui a un bagage technique hallucinant, Romanelli. Mais c'est toujours au service de son feeling, et de son cœur, qui est vraiment énorme. Il transpire d'humanité.

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman, on a tous, finalement, plusieurs vérités. J'ai l'impression que vous n'en avez qu'une.

Jean-Jacques Goldman : Je crois que je n'en ai aucune, en fait. J'ai fait des études parce que mes parents pensaient que c'était mieux pour moi, parce qu'ils n'en avaient pas fait, j'ai dit peut-être. Ensuite, je travaillais dans un magasin, je vendais des pompes, j'ai dit peut-être. Et maintenant, je suis chanteur, et je dis peut-être. Mais je n'en sais rien. J'en sais rien.

[Suit "A nos actes manques"]

Evelyne Pagès : On a donc feuilleté quelques pages de votre vie, avec votre accord. C'est très gentil, parce que vous nous avez dit en commençant que vous n'aimiez pas beaucoup les confidences. Je sais bien que vous ne voulez pas délivrer de messages, et vous avez dit que vos disques d'or ne vous donnaient pas ce droit, mais quand même, il y a, dans vos chansons, des thèmes de réflexion. "A nos actes manqués" par exemple. Ça a peut-être ouvert les oreilles ou les yeux de beaucoup. Personne ne savait très bien ce que c'était un acte manqué à moins d'avoir fait beaucoup de philo ou une psychanalyse. Qu'est-ce que vous vouliez dire par là, qu'on a tous nos actes manqués ? Que c'est des regrets, des loupés ? Que, finalement, on veut faire apparaître quelque chose que l'on ne veut pas dire et qui surgit malgré soi.

Jean-Jacques Goldman : Déjà, la musique est en contradiction avec le côté triste éventuel du texte, puisque la musique est très gaie. C'est ça l'intérêt avec une chanson : on peut dire beaucoup avec la musique. Rien que le fait que cette musique soit tellement légère, et tellement dansante, et tellement gaie, ça tempère déjà l'éventualité du tragique du texte. Mais même la première phrase dit : "A tous mes loupés, mes ratés, mes vrais soleils" et moi, je pense que dans mes actes manqués, et dans ce que j'ai manqué, il y a des choses positives. J'aime les échecs d'une certaine manière. J'aime bien mes succès aussi, mais il y a beaucoup d'échecs pour lesquels j'ai une petite tendresse.

Evelyne Pagès : C'est une petite leçon à méditer pour les jeunes qui nous écoutent, ou les vieux d'ailleurs. On se lamente sur un échec, alors que cela peut être tellement positif.

Jean-Jacques Goldman : Vaut quand même mieux être en bonne santé, et riche que pauvre et malade.

Evelyne Pagès : Jean-Jacques, j'ai remarqué que vous deviez être maniaque et perfectionniste. Vous détestez les néons dans la salle de bains, le désordre, les miettes, les trucs renversés, les toilettes sans papier... Je vous devine à travers cela, assez organisé.

Jean-Jacques Goldman : Pas du tout. Vous faites allusion à une liste qu'on a mis à la fin de cet album [NDJM : Fredericks-Goldman-Jones] et qui est le souvenir d'un repas entre quatre ou cinq quadragénaires de mon genre, et on avait fait la liste de tout ce qu'on avait manqué, et ensuite, la liste de ce qu'on trouvait vraiment épouvantable, mais en riant.

Evelyne Pagès : Les migraines féminines par exemple ?

Jean-Jacques Goldman : Voilà. Les penaltys sur la barre transversale, etc.

Evelyne Pagès : Et qu'est-ce qu'on fait dimanche ? Et dimanche quinze heures qui sentent les lundi matin. On se retrouve quand même beaucoup. On a tous nos actes manqués. J'ai lu un sondage qui m'a beaucoup intéressée, un peu par hasard, et j'ai pensé à vous : "Portrait-robot de l'homme idéal". Et c'est fou ce que ça correspond à votre silhouette. On les préfère en jeans. Il ressemble plutôt à Jean-Hugues Anglade qu'à Gérard Depardieu. Il cocoone avec nous, il a de l'ambition pour deux, il est brun ébène. J'ai encore un truc pour vous. Il nous préfère intelligente - je crois que votre épouse a un très très bon Q.I. - ; alors, il dit "je t'aime" tous les jours, ça, ça ne me regarde pas... ?

Jean-Jacques Goldman : Non, jamais je ne le dis.

Evelyne Pagès : Vous ne l'avez jamais dit ?

Jean-Jacques Goldman : Je ne crois pas.

Evelyne Pagès : Ah bon. Il épargne, mais n'est pas avare de surprises. Je voulais savoir si vous épargnez un petit peu, je pense à votre avenir.

Jean-Jacques Goldman : Bien sûr oui.

Evelyne Pagès : Et ça consiste en quoi.

Jean-Jacques Goldman : Ça consiste à ne pas tout claquer ! Et avoir quelqu'un qui s'occupe de cela, parce que l'on fait un métier à haut risque.

Evelyne Pagès : On est sur la corde raide en permanence ?

Jean-Jacques Goldman : Plus ou moins raide. Plus raide pour certains que pour d'autres.

Evelyne Pagès : Et quand Philippe Labro parlait de ce déclin que vous attendez sagement, qu'est-ce que cela veut dire ? Une retraite pour vous, ce ne serait pas une catastrophe ? Vous pourriez écrire un bouquin ? Vous pourriez peindre ?

Jean-Jacques Goldman : Je vais me faire des ennemis. N'importe quel chanteur n'a pas le même succès après quarante ou quarante-cinq ans qu'avant. Il n'y a pas de contre-exemple, et je ne pense pas en être un.

Evelyne Pagès : Comme dans le sport, finalement.

Jean-Jacques Goldman : C'est un peu la même chose. Sauf que c'est quand même beaucoup plus facile pour nous de continuer à exister de façon très digne. On a les grands exemples très présents de Sardou et d'Hallyday, mais également de Trénet qui font vraiment leur métier de façon très digne à n'importe quel âge, alors que ce n'est pas possible dans le sport. On ne peut pas penser faire des salles énormes avec dix mille jeunes qui s'évanouissent.

Evelyne Pagès : Jean-Jacques Goldman, merci. Bon été, bonne tournée. On sera là pour vous écouter et pour vous applaudir.

Jean-Jacques Goldman : Merci.

[Né en 17 à Leidenstadt]


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