Jean-Jacques Goldman : en gris clair et gris foncé

Essais

L'oeuvre de Goldman oscille entre deux poles bien distincts. Entre espérance lucide d'une part et fatalité réaliste de l'autre, en quelque sorte.

Ces deux tendances sont les témoins des paradoxes qui animent la plupart d'entre nous, accessoires indispensables au reflet d'une certaine realité, et d'un équilibre à toute épreuve, caractéristique notoire de Jean-Jacques Goldman.

Si Goldman est bien l'auteur de titres comme Bonne idée ("Y'avait du soleil, des parfums de la pluie, chaque jour un nouveau réveil, chaque jour une autre nuit (...) je m'suis dit, bonne idée..."), comme C'est ta chance ("Tout ce que le sort ne t'a pas donné, tu le prendras toi-même"), comme Envole-moi ("A coups de livres je franchirai tous ces murs") ou comme Au bout de mes rêves, c'est bien de sa main que des textes tels que Des vies ("Des vies où l'on aura eu peu si peu à choisir, des parties qu'on aura cru jouer, lesquelles n'etaient pas programmées ? des vies où l'on aura eu peu si peu à écrire") tel que On ne change pas ("On croit que l'on fait des choix..."), Natacha ("Je sais mieux choisir un chemin, me mefier d'une main, tu vois je ne sais rien"), Chanson d'amour ("En vérité, qui pourrait m'en citer un seul qui lui ait donné plus de liberté") ou encore J'l'aime aussi ("Dites-moi qui, qui mérite ici, l'exclusivité de toute une vie ?") ont pris naissance.

Si n'importe quel auteur, comme n'importe quel vivant, passe par des heures d'enthousiasme quasi-hystérique et par des phases quasi-dépressives, il est rare de déceler au sein d'une même oeuvre tant d'espoirs fondamentaux associés à tant de fatalité profonde.

Dans un des derniers textes écrits à ce jour, Goldman pousse même plus loin et mêle ces deux pôles dans un seul et même texte, On ira, ou l'enthousiasme ne se conjugue jamais sans son pendant désabusé et où la phrase clé, qui résume une bonne partie du "système" Goldman, réside en ces quelques mots : "Oh belle, on ira, on partira toi et moi où ? Je sais pas... y'a que les routes qui sont belles, et peu importe où elles nous mènent (...) même si tout est joué d'avance, on ira".

Ainsi, chez JJG, le "bonheur", l'étincelle, paraissent davantage assurés par la reconnaissance de ces petits riens ("Des spaghettis, Frédéric Dard, et Johnny Winter aussi") qui colorent la vie, que dans les formes socialement reconnues d'épanouissement bien qu'il ne condamnera jamais celles-ci (les études lorsqu'il chante "le diplome c'est pas tout, tu sais y'a la vie aussi, mais sache que sans le sous tu te payes une drôle de vie" ou l'amour "et puis y'a toi qui débarques en ouvrant grand mes rideaux, et des flots de couleurs éclatent et le beau semble bien plus beau").

Mais le plus souvent, pour Goldman, c'est dans la quotidienneté des choses que les vies se trouvent. Cette quête est salutaire en ce sens qu'elle est aussi bien à la portée des "laissés pour compte" du système, qu'à celle des "grands" de ce monde. Il changeait la vie illustre à merveille ce propos. Le monde est aussi ce qu'"un cordonnier sans rien de particulier", "un simple professeur" ou "rien qu'un tout p'tit bonhomme" en ont fait. Et c'est en confectionnant "des souliers si jolis, si légersé, en pensant que "tous les moins que rien n'ont pour s'en sortir que l'école et le droit qu'a chacun de s'instruire", ou "en pleurant sur son saxophone" que chacun peut se réaliser. Ou encore en faisant la liste de "ces choses qu'on amasse sans y penser, sans y compter, sans savoir" (Il me restera).

C'est en ce sens là que JJG est un auteur sacrément positif. Il n'attend guère des pouvoirs politiques (Plus fort) ou du ciel ("je prie l'amour et nos cerveaux, qu'on imagine et qu'on se bouge et sans trop compter sur là-haut", Prière païenne) qu'ils remédient à nos angoisses et à notre condition. Sa foi inébranlable en l'individu, et en une prise en charge personnelle ("ne laissez plus vos sens dans les mains du hasard (...) décide donc toi-même d'être bien, d'être mal...", Jeanine Medicament Blues) constitue chez Jean-Jacques un mot d'ordre absolu.

Finalement, sans jamais avoir tenu à laisser de réels messages, Jean-Jacques aura tout de même marqué de son emprunte la chanson des années 80 et 90. En affichant au premier plan des valeurs parfois considérées comme secondaires, il aura trouvé les moyens d'un nouvel optimisme. Sans se bercer d'illusion et en contant sans compter les fatalités incontournables du temps, de l'usure, et du conditionnement, il aura çà et là tourné 7 fois le couteau dans la plaie.

Pour en définitive façonner une oeuvre à l'image de la vie des hommes : Entre gris clair et gris foncé.

(c) Julien Schroeter

25 avril 1999 Tous droits réservés